En bon journaliste d’investigation musicale, en voyant l’affiche de ce soir, je me suis forcément demandé combien il pouvait bien y avoir de menhirs en terres fribourgeoise. Une information qui s’est avérée particulièrement difficile à trouver. Je ne pense pas qu’il faille crier au complot, mais plutôt sur l’Office fédéral de la statistique qui n’est décidément jamais là quand on a besoin de lui. A priori, à part quelques cailloux comme le Moléson, semble-t’il une sorte de fierté locale, le paysage est plutôt plat. Clairement il n’y pas beaucoup de menhirs pour boucher l’horizon du côté de Bulle. Alors pourquoi faire appel à des ramoneurs spécialisés qui plus est de les faire venir depuis la Bretagne ? C’était tellement louche que j’ai poursuivi mon enquête en me rendant sur place le samedi 1er mars 2025.
La salle est sold out, ce qui fait forcément plaisir en cette période un peu sinistre où les clubs de rock historiques grimacent tous un peu suite à une baisse de fréquentation qui malheureusement se confirme chaque semestre depuis le Covid. Ce soir, la première partie est confiée au duo genevois Bound By Endogamy. J’ai pu les découvrir sur scène aux Docks de Lausanne l’an passé pour une soirée post punk organisée par le Romandie et j’avais bien apprécié leur musique très énergique. C’est toujours du postpunk, même si techniquement ils jouent avant les punks bretons ce soir, et cela envoie encore une fois avec beaucoup d’entrain. La chanteuse ne tient pas en place. Dans l’interview qui a suivi le concert, elle m’a confié avoir fait de la boxe et clairement ceci explique bien sa condition physique de premier plan. Particularité du groupe, ils ont un vrai batteur qui tape bien fort. Sur le dernier morceau, ils inversent brièvement les rôles entre chant et batterie avant de terminer la chanson à leur place respective, le tout sans interrompre le titre. Jolie performance qui sera d’ailleurs suivie avec attention par Loran des Ramoneurs, venu se mêler au public pour quelques morceaux. La salle est déjà bien remplie et Bound By Endogamy sort de scène sous les applaudissements.
Un peu avant 22 heures, les Ramoneurs au complet investissent l’espace avec leur matériel. On leur avait dit qu’ils avaient une heure seulement pour jouer leur set, donc pas question de débuter en retard. D’emblée, Loran prend la parole et nous rappelle pourquoi son groupe a une place si particulière dans notre estime. D’abord, il s’adresse à une jeune spectatrice du premier rang venue avec sa maman en lui disant que si elle ne se sent pas bien pendant le concert, elle peut monter sur scène et se tenir à côté de lui. Ensuite, il nous informe qu’il est exclu de ne jouer qu’une heure, que ce sera minimum une heure et demie et enfin, à une époque où tout est convenu d’avance, il nous informe que les Ramoneurs n’ont pas de setlist prédéfinie pour leurs concerts. Il nous propose donc de tirer les titres au hasard dans un chapeau qui circule dans les premiers rangs. Autant de bienveillance et de spontanéité, cela fait du bien avant même que le concert n’ait vraiment débuté.
Chaque titre ou presque fait l’objet d’une introduction, ce qui n’est pas inutile lorsque les paroles sont en breton ou en kanak. C’est le même groupe depuis des années sauf Richard Bevillon qui a cédé sa place à Jérôme. Eric Gorce et Gwenael sont toujours là. Avec 4 musiciens de front, la scène est bien remplie et dans le public, l’ambiance est totale. Cela saute et se pousse avec un bel esprit fraternel. Une splendide soirée sur les thèmes de l’insoumission, de la solidarité, du rejet du racisme et du patriarcat. Mention spéciale aussi aux forces de l’ordre qui n’ont souvent plus grand chose à voir avec leur titre historique de gardiens de la paix, comme le rappela Loran en contant les circonstances de la mort de Steve lorsque 17 jeunes furent balancés à la flotte par la police en pleine nuit en 2019 lors d’une fête de la musique à Nantes qui ne dérangeait personne. L’occasion de nous jouer ‘Police Oppression’ des Angelic Upstarts. Evidemment, comment pourrait-il en être autrement, il y a quelques morceaux des Bérus dans le set, comme ‘Vive Le Feu’ ou ‘Porcherie’ avec quelques clins d’oeil à notre pays, en citant notamment l’UDC au milieu d’une liste de gens aussi dangereux que Poutine ou Le Pen. Quelques chansons plus tard, les Ramoneurs auront aussi une pensée pour Louise Ebrel qui les avait régulièrement accompagné sur scène et sur disque.
Péprpetuel insoumis, Loran lâche un « Vive la Gruyère Libre » sur scène qui déclenche un écho de ferveur dans la petite salle fribourgeoise. Comme à son habitude, le groupe n’oublie pas de remercier le staff et le public pour leur accueil, rappelant que sans eux il n’y a tout simplement pas de concert. Remerciement aussi au groupe d’ouverture et à tous pour la bonne ambiance et l’esprit de fête et de partage. Après une heure de set, Loran nous fait remarquer que ce serait quand même bête que cela s’arrête maintenant, comme c’était prévu dans le programme initial. Rebelote après 90 minutes, il s’excuse auprès du DJ qui va passer des disques ensuite et nous informe que par respect, ils ne vont pas trop dépasser l’horaire. Facile, à dire personne ne veut que cela s’arrête, ni le groupe, ni le public. Je soupçonne même le DJ d’être dans le public et de partager notre enthousiasme. Mais toutes les bonnes choses ont une fin et c’est sur un dernier titre qu’une partie des spectateurs monte sur scène pour un ultime moment de partage. Je crois que les seules personnes déçues par cette soirée sont celles qui n’ont pas pris leur billet à temps. L’an prochain, les Ramoneurs fêteront leurs 20 ans de carrière et forcément, ils reprendront la route pour notre plus grand bonheur.
Merci à Ebullition, Bound By Endogamy et aux Ramoneurs de Menhirs
