On ne peut pas vraiment dire que le Tuska ait le charme du Metaldays, ni même celui de son concurrent direct, le Nummirock, niché au bord d’un lac et qui se déroule à quelques 300 km d’Helsinki le week-end précédent, en plein solstice d’été, alors que le soleil se couche à peine. Mais ne vous y trompez pas, le Tuska a ses propres arguments !
Logé dans la banlieue d’Helsinki en zone industrielle, à côté du quartier alternatif de Kallio, le festival s’étale sur du béton et du gravier, autour d’une structure circulaire en ruine qui a donné son identité visuelle au Tuska. Trois scènes – la Radio Rock, scène principale en open air, la Helsinki stage, sous tente, et la Inferno stage, la plus petite, en salle – promettent de faire trembler les murs sur trois jours, avec un programme éclectique !
Le premier jour commence sous un ciel gris, avec des rafales de vent froid qui ne nous quitteront presque plus de tout le festival. Celui-ci commence pour nous de façon peu conventionnelle, puisqu’après quelques minutes à voir Crowbar balancer son set avec entrain et un son très propre entre deux rafales de vent, nous filons à la seule table ronde en anglais, modérée par Toni-Matti Karjalainen, également organisateur de la Modern Heavy Metal Conference, sur le « critical headbanging ». Autour de la table, des chercheuses et des musicien.ne.s, dont Einar Solberg et Tor Oddmund Suhrke de Leprous. Le débat tourne essentiellement autour des thématiques du féminisme et du véganisme, avec des échanges parfois musclés autour du rôle que les musicien.ne.s peuvent ou doivent endosser. Nous fermerons avec ce débat la porte sur le volet académique de notre séjour, mais certainement pas sur les réflexions qu’il a ouvert sur notre rapport au metal, à sa communauté ou sur notre propre comportement. D’autres tables rondes viendront compléter le programme du Tuska, mais cette fois en finnois, si bien que nous nous en tiendrons au seul programme musical qui, lui, transcende volontiers les langues.
Encore que ! À notre sortie de la salle où se trouvait la table ronde, nous tombons sur Turmion Kätilöt, soit un groupe du coin (Kuopio), qui propose en quelques sortes sa propre version, en finnois et avec les moyens du bord, du metal industriel d’un Rammstein par exemple. Avec forces artifices – en tout cas suffisamment de pyro et autres armes dégueulant des flammes pour tenir chaud au chanteur en pagne –, Turmion Kätilöt déroule son show devant un public assez clairsemé, mais acquis à sa cause. Le décor de zone industrielle délabrée ajoute un certain cachet au show du groupe.
Après la main stage, nous allons inaugurer la plus petite, l’Inferno, pour le duo allemand/turc Mantar et leur black metal/doom/punk, comme ils se caractérisent eux-mêmes. Pour conjurer les chaleurs de l’enfer, Erinc officie en calçon à la batterie pendant qu’Hanno, à la guitare/voix se tortille comme un damné, torse-nu, complétement possédé. Même sans basse, Mantar sait envoyer du lourd. Pas de gimmick avec ce duo d’enragés qui s’inspirent clairement du punk pour proposer un son et un show « raw » et torturé ! Malheureusement, nous en profiterons peu étant donné le dispositif que propose cette salle. La scène est coincée au fond d’un vieux bâtiment décrépi absolument pas pensé pour le live. Le public est enserré de part et d’autre par d’immenses colonnes de béton qui bouchent la vue à une bonne part de l’audience, sans compter la qualité du son, brouillon, qui peut créer une ambiance vraiment garage autant qu’elle peut gâcher quelque peu le plaisir du son.
Il faut savoir aussi qu’en Finlande, les règles concernant l’alcool sont nettement plus dures que chez nous, si bien que pour éviter la vente d’alcool à des mineur.e.s, les espaces où l’on peut boire de l’alcool sont délimités. Une petite soif ? Il va falloir alors opter pour l’une des zones autorisées, passer sous l’œil de la sécu qui scrute le public pour identifier les mineur.e.s, commander sa bière, la boire en regardant le concert de loin et sortir de la zone qu’une fois la canette vide. Devant l’Inferno et la Helsinki stage, le public est donc séparé en deux, avec d’une part la zone alcool, de l’autre la zone ouverte ; quant à la grande scène, la zone se trouve en retrait. Regarder son groupe préféré une bière à la main depuis les premiers rangs ou même juste derrière le pit est donc chose impossible : boire ou pogoter, il faut choisir ! Heureusement, donc, que le Tuska ne propose pas un line-up équivalent au Hellfest ! Même avec ses quelques quinzaines de groupes par jour, planifier quand aller s’en boire une entre deux concerts peut rapidement relever du tour de force, même s’il n’y a heureusement quasiment pas de queues. D’autant plus qu’en Finlande, on ne déconne pas, la bière c’est 0.5 ou 1l. ! Bref, pour l’Inferno, le dispositif de la salle est tel que, du moment que tu veux boire une bière devant ton concert et bien tu ne verras à peu près rien, puisque tu te retrouves coincé.e derrière les énormes colonnes de béton. Pour ces raisons, on délaissera quelque peu cette scène pour le reste du festival. Bien dommage, car ce n’est en tout cas pas la qualité des groupes qui laisse à désirer !
Alors que Mantar continue à se démener sur scène, on s’en va découvrir la dernière scène, la Helsinki, où évolue un autre groupe qui porte haut les couleurs de la Finlande sur la scène internationale : Moonsorrow. Le changement de décor est total : le son est cristallin, l’air pur. Les chœurs viennent donner au black de Moonsorrow un accent folk et viking de plus en plus marqué. L’exécution parfaite du quintet est relevée par le choix sonore vraisemblablement assumé de rehausser les aigus, en maintenant au minimum la puissance sonore de la basse et de la grosse caisse. Le résultat est épuré et vient souligner avec bonheur la nature mystique des compositions. La musique transporte la foule sous la tente bondée – bondée, mais pas dense pour autant, espace vital typiquement finlandais oblige.
Le concert de la journée, voire du festival, reste encore à mon sens (Chiara) à venir. Moonsorrow a placé la barre haute, mais Leprous est prêt à relever la tension encore d’un cran ! Les membres de ce bijou de rock/metal progressif ont d’abord forgé leurs armes en tant que musiciens live pour Ihsahn (à l’exception du bassiste) et même pour Emperor en ce qui concerne l’exceptionnel chanteur et pianiste Einar Solberg (faut dire qu’Ihsahn est son beau-frère !). Les Norvégiens de Leprous défendent le très bon Malina et ouvrent le concert sur son premier titre Bonneville, dont les envolées lyriques sont à donner des frissons. Le son est parfaitement balancé, la performance totale, le visuel léché, que dire ! La voix d’Einar couvre un spectre de notes extrêmement large, allant jusqu’aux aigus les plus inattendus, sans hésitation. Les propos engagés du groupe sont traduits sur scène par des écrans disséminés dans le décor sur lesquels passent des images – par exemple pour ce qui est de leur propos écologique – d’amoncellement de déchets. Seul regret du set : l’absence de l’excellent Slave (qui parle subtilement, pour faire le lien avec la table ronde qui se tenait quelques heures auparavant, du droit des animaux). Alain n’est pas insensible lui non plus au set des norvégiens, à l’exception d’un petit manque de punch au niveau de la basse, qui se ressent surtout sur certains bridges, comme celui de From the Flame, mais l’émotion est bien là ! Au sortir de ce concert, il ne nous tarde qu’une chose : enfin les voir en salle !
Sitôt le show tout en subtilité de Leprous terminé, c’est Arch Enemy qui prend en main la grande scène. Difficile à ce point d’écrire quoique ce soit de neuf sur le show des suédois tant la prod’ est en place. Alissa White-Gluz est impeccable au lead, le groupe est carré, au point qu’un concert d’Arch Enemy est tous les concerts d’Arch Enemy, d’autant plus que le public ce soir est bien docile et réagit à chacun des faits et gestes d’Alissa. Un bonheur pour les fans, plaisant pour les curieux et un peu lassant pour ceux qui ont déjà eu l’occasion de les voir et revoir. Étant donné ce qu’Arch Enemy tourne, vous pouvez deviner dans quelle case nous placer !
En attendant, le timide soleil du jour est de plus en plus chassé par un vent glacial qui nous poussera à chercher refuge dans la zone VIP, à la faveur d’une bière, d’un plat chaud et de discussions amicales. On a beau préparer le terrain, rien ne peut nous pardonner d’avoir raté la grande majorité du show de Meshuggah, on le sait ! Il nous en a fallu, pourtant, du courage, pour rassembler notre motivation et quitter le cocon pour affronter le vent mordant – le batteur de Crowbar lui-même venait tout juste de confirmer qu’il n’a jamais joué dans un vent si glacial – et cueillir les derniers morceaux du metal technique des Suédois. Après seulement 10 minutes de show, ô combien nous le regrettons ! Ou peut-être pas tant que ça… Vu l’intensité du show, que ce soit au niveau des lumières ou des compositions, pas sûr qu’on s’en serait sorti indemnes ! Les jeux de lumière rendaient justice au groove irrésistible de Meshuggah et à leurs riffs – de batterie surtout -, autant incompréhensibles que lourds.
Pour clore cette première journée déjà bien remplie, c’est Ice-T et son groupe Body Count qui s’y colle avec son rap-metal/thrash/hardcore punk ponctué de motherfucker, bitch et on vous épargne le reste ! Ice-T, du haut de ses soixante ans, ne va pas faire dans la dentelle ! L’entrée sur scène se fera sur une reprise de Raining Blood de Slayer, rien que ça, enchaîné sur Postmortem avec Dave Lombardo à la batterie. Ça se pose là. Ice-T et sa poésie légendaire fera le reste : « I am Ice motherfucking T, bitches ! » Accompagné de son fils sur scène, Ice-T tient le crachoir et enchaîne les morceaux, avec sa verve légendaire, prenant le temps d’échanger quelques mots avec les plus jeunes fans du premier rang (12 ans), tout comme celui d’envoyer chier le monde et dénoncer le racisme. L’enchaînement Talk shit, get shot/Cop Killer fait des merveilles dans le pit, avant un « virtual encore », où le groupe fait semblant de quitter la scène pour reprendre de plus belle sur une reprise de Suicidal Tendencies avant de conclure. Qu’on apprécie ou non le personnage et ce cross-over de rap et de metal, il faut bien admettre une chose : le type a son charisme et le show était dans l’ensemble plutôt divertissant ! Il est alors tout juste minuit, les dernières notes de musique viennent de s’éteindre, le soleil est encore bien là : tervetuloa Suomeen ! Chaque soir, le Tuska propose des after parties avec concerts (des pointures comme Lost Society ou des locaux comme Fear Of Domination) dans les bars de la capitale, mais après avoir déjà bien festoyé avec nos collègues de la conférence pendant les premiers jours, on préfère économiser nos forces pour le reste du festival, à demain !
Photos: Entropia Photography, Tuska Open Air
Chiara Meynet & Alain Foulon