Palézieux, mais alors quoi d’autre ?!?
Tout un périple pour découvrir ce sympathique festival de poche perdu dans la campagne vaudoise.
Pas facile à trouver en sortant de la gare, en plus sous le cagnard. Après une quinzaine de minutes de marche, une grange frappée d’infrabasses apparaît au loin. Oui, oui une grange !
Nous apercevons quelques stands de nourriture sur lesquels nous nous jetons, littéralement affamés et assoiffés par notre promenade. Le risotto aux tomates séchées est excellent ! Une petite mousse bien fraîche et nous repartons en direction de l’entrée.
Dès notre arrivée, nous sommes pris en charge par Roland, affable et roublard organisateur ainsi que son équipe de dénicheurs de talents.
Cette troisième édition de Rockobattoir avait commencé deux jours plus tôt par une soirée de soutien à l’association du festival avec Stacey King, la demie-finaliste de The Voice France. Il en faut pour tous les goûts (elle en maîtrise plus d’un) et il lui faut reconnaitre une puissance vocale assez impressionnante.
Le deuxième soir débuta par Baby genius, groupe pop de Lucerne, suivi par Elvett, plus connu il y a peu sous le nom d’Aloan, l’un des meilleurs représentants du trip hop helvète. Puis From Kids, duo pop qui clôture cette soirée un peu chiche en public fervent.
C’est plutôt la troisième soirée qui nous intéresse, commencée dès l’après-midi par un tremplin présidé par Stacey King, Jay Fase (compositeur/réalisateur) et le célèbre Philippe Ligron, l’inventif chroniqueur radio, homme de bien passionné de musique et emblème gastronomique de l’Ecole Hôtelière de Lausanne. Le gagnant de ce tremplin bon enfant et formateur sont les folkeux de Paper Boots.
Le premier concert ne commence qu’à 21h et nous avons le temps de prendre un verre sur le jardin terrasse où un duo de festivaliers improvise un mini set à base de Cure, Blur et Shocking Blues, franchement acclamé par leurs troupes. A notre grande surprise, une danseuse-papillon de lumière prend le relais, encouragée par un dj toastmaster venu d’une Jamaïque fantasmée.
Nous partons au moment du concours de twerk (!) pour interviewer Esben and the Witch, rencontré quelques instants plus tôt après leur soundcheck.
Ce trio anglais, limite shoegaze, se présente en duo, les très charmants Rachel et Thomas.
Après 7 ans d’existence, Esben and the witch nous livrent un troisième album plus épuré (‘A New Nature’), atmosphérique et moins claustrophobe qu’à leurs débuts.
Si celui-ci est plus organique et mélodieux c’est qu’ils ont privilégié l’humain, laissant tomber la boîte à rythme.
Rachel écrit les paroles, très personnelles, enrichies toujours plus par sa culture littéraire, cinématographique et les personnes rencontrées lors de leurs tournées. Cela peut sembler bateau, mais ça ne l’est pas. Thomas, lui, compose ces derniers temps, à l’aide de photos prises lors de ses voyages.
L’exploration sonore et humaine est extrêmement présente dans ce dernier album, à l’aulne des Swans ou de Godspeed YouBlack Emperor .
La conversation avec eux ne relève pas de l’interview pure, les références ne sont là que pour mieux imager le propos, aucune fatuité. Nous passons sans cesse d’un sujet à l’autre, des groupes qu’ils aiment, les séries qu’ils nous recommandent, la crise grecque, les sauteurs à ski norvégiens des années 90 (Hello Karim), les livres de contes pour enfants de Salman Rushdie…
La veille ils étaient au Montreux Jazz Festival voir leurs potes de Thought Forms avec qu’ils ont sorti un split record l’année dernière. D’ailleurs ils sont là, ce soir dans le public. Bel exemple de solidarité entre groupes.
En une petite demie-heure de conversation, on a l’impression de discuter avec des potes. Ils sont chaleureux à l’anglaise, avec beaucoup de politesse, de gentillesse et de belle intelligence.
Ils savent qui ils sont et ce qu’ils représentent.
Et nous donne envie, sans se forcer, de découvrir leur univers de sorcières.
Là maintenant, le sabbat commence et c’est à Cheyenne, de Lausanne, d’ouvrir les hostilités.
Et c’est loin d’être de la pisse de coyote.
Une sorte de blues sale hypnotique mené par une chanteuse à la voix rappelant Grace Slick des Jefferson Airplane ou Nico (cf. VU, entre autres). Et aux charmes de dresseuse de crotales. Dommage qu’il n’y en ait pas plus dans le public. Leur présence scénique est plutôt glaciale (pas encore assez de concerts dans les jambes probablement).
Mais là n’est pas le plus important. La moiteur, la crasse et la lascivité de leurs chansons fait penser à ce que pourrait écouter la famille Firefly du Devil’s reject, si elle sillonnait encore les routes à la recherche de victimes bien chaudes.
Nos favoris débarquent enfin, le public également. Pas forcément prêt au chaudron sonique que va lui asséner Esben and the witch.
Les organisateurs sont aux anges, notamment Olivier le directeur de la programmation. Ils avaient découvert ce groupe de Brighton il y a de nombreux mois et ont décroché les étoiles avec cette sorcière.
Leur joie et leur enthousiasme contrastent avec le jeu intense auquel se livre Rachel, la bassiste et chanteuse littéralement possédée, Thomas le guitariste impassible et Daniel le frappeur de fûts qui en détruit l’une de ses peaux sur le hanté ‘No Dog’.
Une vraie claque dans nos gueules de vieux briscards. Le son est limpide ( bravo à l’ingé son) et puissant. Rien à jeter. Les chansons sont magistrales, tendues, pas nécessairement faciles d’accès. Pourtant pas un souffle dans la grange. Un film mental défile sous nos yeux et dans nos esgourdes.
Des regards fiévreux, volé à l’arrachée, nous donnent l’impression de vivre un moment un peu à part, l’avènement d’un groupe qui restera en marge mais qui mérite d’être plus que reconnu.
La redescente au bar de la pelouse devant des cracheurs de feu renforce ce sentiment d’irréalité.
Mais pas envie de nous y attarder. Nous retrouvons nos nouveaux amis sorciers qui nous dédicacent un de leurs t-shirts. Classes jusqu’au bout ces Anglais.
Les premières notes d’Inception (?) qui ouvrent le concert des très attendus représentants de la République du Kadebostan rameutent les forcenés battant la campagne vaudoise.
Pleine à craquer, la grange fait plaisir à voir, pour le groupe et les organisateurs.
Et comme c’est bon.
La majorité des titres de ‘Pop Collection’ s’enchaînent avec souplesse. De l’électro avec de vrais musiciens talentueux et faisant le show. Et cette voix !
Amina, la diva, vit ses textes ; on pourrait être 300 ou 30 000, l’intensité serait la même. Son complice, président de sa république auto-proclamée se la joue Freddie Mercury (et c’est un véritable compliment) Derrière ses claviers et ordinateurs, il insuffle une énergie pop/rock qui galvanise notre foule.
On reprend en cœur les hymnes « Hey » ou « Castle in the snow » et quelques couples dansent sur leur magnifique reprise de « Crazy in love ».
Le pari de Roland et de toute son équipe bienveillante et bénévole est largement gagné.
Amener dans un endroit qui ne s’y prête pas forcément des groupes pointus et de grande qualité.
Encore une fois, si on donne à bouffer de la daube au public, il en mangera, forcé, plus ou moins manipulé.
Mais si on lui donne de la confiture, il s’en délectera.
Le public, vous, eux, moi, n’est pas constitué, dieu n’en plaise, de cochons se bâfrant de tout et n’importe quoi.
Des perles, les groupes, les passionnés et les associations qui permettent de réaliser leurs rêves, existent.
Rockobattoir l’a indéniablement démontré.
Rendez-vous l’Eté prochain. Avec impatience. [Frédéric Saenger]