En marge de son concert à l’Amalgame en première partie d’Igorrr, nous avons eu la chance de pouvoir nous entretenir avec le jeune prodige de la synthwave internationale, James Kent, aka Perturbator.
C’était cool, vraiment cool. Plus de gens que ce que j’avais prévu, ce qui est une bonne surprise. Je suis content, les gens ont bougé et tout.
Tu as pressé récemment ton tout premier EP ‘Night Driving Avenger’ sur vinyle, qu’est-ce que cette réédition t’évoque ?
Une partie de moi en a honte parce que j’avais 17 piges quand j’ai fait ça et clairement, c’est pas mon meilleur travail. Mais je ne me peux pas m’empêcher d’être très content de savoir qu’un truc que j’ai fait quand j’avais 17 ans ressort maintenant, en vinyle, et si j’avais encore cet âge-là, je serais hyper fier. Maintenant, je suis juste content. Bien content.
Sur cet EP en particulier, on retrouvait des sonorités chiptune, relativement absentes de tes productions ultérieures. Est-ce que c’est un genre qui te botte ?
À la base, Perturbator était un projet que je destinais plus ou moins à la chiptune, et ça s’entend sur mes premiers travaux. Cet EP là, mes premiers remix, même ‘Terror 404’ un peu, possèdent des passages un peu chiptune. C’était mon idée originelle pour Perturbator, mais ça a vite évolué, je trouvais ça un peu surfait – pas tant le genre en général, mais il y a des mecs qui le faisaient mieux que moi, et j’avais les moyens de proposer quelque chose de plus personnel. Jusqu’à ‘Dangerous Days’, j’ai arrêté de faire de la chiptune. C’est un truc qui me branche, mais si je voulais faire un projet chiptune, je ne le ferais pas dans le cadre de Perturbator.
Après la sortie retentissante de ton dernier album ‘Dangerous Days’, qui a fait explosé ta popularité, est-ce que tu sens un pression pour le prochain opus, ‘The Uncanny Valley’, à venir en 2016 ?
Je ne vais pas te mentir, lorsque j’ai écrit ‘The Uncanny Valley’, il y avait une grosse pression. Mais je me suis dit au final, je vais faire un truc qui me plaît à moi avant tout, et ceux qui accrocheront accrocheront, et ceux qui ne voudront plus suivre parce que l’album leur déplaira, tant pis. Je ne souhaitais pas faire un Dangerous Days-bis, j’avais envie de faire quelque chose d’un peu différent. Mieux ou pas, je ne sais pas, mais différent en tout cas. Quant à ceux qui n’aimeront pas, ce n’est pas trop grave. Je me suis fait à l’idée qu’il y en aura.
Doit-on s’attendre à un changement de direction aussi violent que Power Glove l’a fait sur son deuxième EP ?
Non. Je préfère opérer un changement plus… délicat. (rires)
C’était ‘Reign In Blood’ de Slayer. Je ne l’avais pas acheté, je l’avais piquée dans la collection de ma mère. Je possédais un petit walkman, j’avais trois ou quatre ans. J’étais terrifié, j’avais l’impression de faire quelque chose de très très mal. Et c’est ce qui m’a fait apprécier le metal après coup, cette impression d’être dans le mal.
Justement, au sujet du metal, oserais-je te demander le groupe qui orne ton t-shirt ? Je ne reconnais pas le logo.
No Zodiac ! Un groupe de hardcore, américain.
Quelles sont tes relations avec le black metal ? J’ai entendu que tu avais un side-project dans ce genre.
J’ai une relation un peu bizarre. Je ne dirais pas que je suis « dans » la scène black metal. Beaucoup de gens maugréent : « Ouais, Perturbator, il se prend pour un type du black metal… » Mais en fait pas du tout, c’est juste la musique que j’écoute personnellement, en tant que James Kent, quand je suis seul chez moi, principalement du black et du death. Après, sans que je le fasse exprès, c’est vrai que ma musique flirte parfois avec la scène black metal. Je ne saurais dire d’où ça vient, mais ça me fait plaisir. C’est une scène qui me plaît, ça m’a donné l’occasion de rencontrer beaucoup de musiciens que j’admire. J’ai par exemple pu approcher les mecs de Mayhem, de Svartidauði, je pourrais t’en citer plein, et ça, grâce à Perturbator. Ce sont des gens qui, au premier abord, ne renvoient pas cette image, mais ils sont au final assez ouverts musicalement.
À l’exception de Necrobutcher je pense…
Pas Necrobutcher non probablement (rires) Mais ce n’est pas à lui que j’ai parlé.
Contrairement à des formations comme Miami Night 1984 ou Mega Drive, une partie de ta fanbase vient du metal. Est-ce que ça t’ennuie ?
Au contraire, ça me fait vraiment plaisir. En fait, je n’aurais pas envie d’avoir la même fanbase que quelqu’un d’autre. J’ai envie que celle-ci soit propre à Perturbator. Et c’est un peu bizarre, je croise à mes concerts des mecs avec des t-shirts Obituary, d’autres en cosplay Hotline Miami, … Mais ça me fait vraiment kiffer de voir ce mariage entre différents horizons. Je m’en fiche un petit peu que tous mes fans soient des fans de Mitch Murder ou Miami Night 1984 – qui sont des potes d’ailleurs. Ça serait peut-être trop sectaire. Et ça contribue à faire de Perturbator quelque chose d’un peu unique, même au sein de la synthwave.
Notamment à la sortie de Drive, nombreux ont vu dans la synthwave la nouvelle tendance de la musique électronique, et ta success story pourrait le refléter. Est-ce que tu penses que la vague va retomber ?
Ça m’étonnerait que ce genre de musique devienne le truc que tout le monde va écouter. C’est dur à vendre aux salles comme dans les bacs. C’est dur à expliquer : « C’est de l’électro, mais c’est pas David Guetta ; ça attire les fans de metal, mais il n’y a ni guitares ni batterie… » Et les gens n’aiment pas lorsque c’est dur à expliquer. Ils préfèrent ne pas se prendre la tête : c’est de l’électro, c’est du metal, ou que sais-je. C’est à mon avis un des facteurs qui empêcheraient la synthwave de devenir à la mode. On pourrait aussi relever qu’il y a beaucoup trop de musiciens qui en font, quel que soit leur niveau, amateur ou très professionnel. Peut-être que la synthwave va subir le même sort que la dubstep, en acquérant une certaine célébrité avant de vite retomber.
Tout d’abord, faire partie de la bande-son de Limitless ne m’a pas apporté plus de fans que de figurer sur celle de Hotline Miami, notamment parce que CBS ne crédite pas les musiciens, ce qui était écrit dans le contrat. Pour revenir à la question précédente, je crois que les mecs de CBS sont malins ; ils savent ce qui marche en ce moment. Après de l’autre côté, les spectateurs de Limitless ne connaissant rien à la synthwave, en entendant ‘Future Club’ (ndlr : de l’album ‘Dangerous Days’) ils se diront : « Oh, bah, c’est de la techno quoi. » Je ne crois pas que ça les amènera vers la synthwave. Après j’espère, oui, mais je suis un peu pessimiste.
Je crois savoir que tu es à présent en mesure de vivre de ta musique. Quels en sont les avantages et inconvénients ?
Tout d’abord, mes revenus ne sont pas constants. Sans donner de chiffres, je peux gagner telle somme un mois et rien du tout le suivant, et c’est la principale source de pression. De même, si je sors un album qui n’est pas apprécié, peut-être que je gagnerai moins, peut-être même que je perdrai des sous en sortant l’album. Mais je le vis plutôt bien, je m’en fiche un peu, parce que ce qui me fait plaisir avant tout, c’est de faire de la musique. Et même si je ponds un album que les gens n’aiment pas, qui me fait perdre des sous, alors que de mon côté j’en suis très fier, je ne regretterai pas. Je peux toujours aller bosser au McDonald’s.
Une partie essentielle de Perturbator, c’est les lives, lorsque beaucoup d’autres groupes de la scène ne se produisent jamais devant un public.
Ça reste peu par rapport à la scène électronique en général. Mais c’est vrai que la synthwave est un genre où les artistes ne sont pas habitués à faire des lives. De tête je pourrais citer Carpenter Brut, Gost, Dan Terminus, Dance With The Dead, … Mais je ne saurais en citer davantage. Je sais que Power Glove a donné un unique concert. À cause de cette particularité, on en est toujours à expérimenter, lorsqu’on se produit en live. Il n’est pas très connu, on ne sait pas encore dans quelle mesure ça fonctionne en concert. Et encore une fois : c’est assez dur à vendre. Un sous-genre décalé de l’électro, … C’est toujours compliqué à l’expliquer aux salles et aux promoteurs. Ça pourrait expliquer la relative rareté des lives, et pourquoi certains artistes synthwave préfèrent rester ce qu’on appelle des ‘bedroom producers’, en se limitant au confort de leur maison, un peu timides. De mon côté, j’aime bien faire du live, et j’ai l’impression que ma formule s’y retrouve assez. Il y a des trucs à améliorer, évidemment. Et pour avoir Carpenter Brut sur scène, je trouve que ça marche très bien aussi.
Toujours au sujet des prestations scéniques, d’où proviennent tes visuels ?
J’ai quasiment un contrôle absolu dessus. La vidéo, ce n’est pas moi qui ai tout édité, mais j’ai choisi les films, le style de montage, puis un mec m’a aidé. Ensuite j’amène la vidéo, c’est également moi qui achète mes propres lumières. Tout ce qui se voit sur scène – lights, stroboscopes, … – je l’ai payé de ma poche. Et durant le concert, je contrôle tout directement depuis mon ordinateur. Je garde toujours un ingé son et ingé light derrière la console où cas où il y a un truc qui part en couilles, mais c’est davantage une bouée de sauvetage.
J’ai retrouvé le nom de ton projet dans une critique de Peste Noire, dans la bouche d’un chroniqueur très pédant qui cherchait, semblerait-il, à faire de toi le héraut de son ouverture d’esprit, qu’en penses-tu ?
J’ignorais qu’on citait Perturbator dans des chroniques de Peste Noire, c’est vachement cool, il faudra absolument que tu me montres. J’aime bien Peste Noire d’ailleurs. Sinon, c’est vrai que dans le black metal, il y a toute cette attitude trve, qui se préoccupe systématiquement de savoir si ça c’est ok, ou ça ça ne l’est pas. Récemment il y a eu cette polémique autour de Deafheaven. Alors c’est pas trop ma came, mais lorsque j’écoute quelque chose comme ça, j’essaie de rentrer dedans, et au cas où ça ne marche pas, de devenir pourquoi ça ne me plaît pas. Et je pense que d’autres se prennent trop la tête, pour tout enfermer dans des cases. Après, je ne crois pas qu’il y en ait tellement. Comme évoqué, j’avais rencontré un type de Mayhem, et lorsqu’il m’a avoué être fan de Perturbator, je ne m’y attendais pas du tout. Le petit instant fanboy : le mec de Mayhem, quoi… Question trve, il y a pas plus trve. Et si avec lui, je peux parler pendant deux heures de musique classique et d’électro – il songeait à se mettre à l’électro d’ailleurs, avec Attila. Bref c’est le genre d’anecdotes qui me font dire que c’est trop bête de s’enfermer dans un style musical. Comprends-moi, c’est génial le black metal, trve ou pas trve, mais ce serait dommage de se dire : « Ça ce n’est pas du black metal, donc je n’aime pas. » Personnellement, j’aime les groupes qui sont sincères. Même Igorrr, dont certains aspects pourraient me rebuter, comme les influences drum’n’bass, me convainc parce qu’il le fait à sa manière.
Au fait, il paraît que tu avais un side-project de black metal, c’est toujours le cas ?
Oui, il est cependant encore en phase fœtale. On a des morceaux, et on compte sortir un EP. Je ne sais pas encore quand, pour l’instant je me concentre sur Perturbator, plus particulièrement sur les lives de Perturbator. C’est aussi plus difficile à mettre en place parce que ça fait un bail que je n’avais pas travaillé avec d’autres musiciens, et qui dit autres musiciens dit aussi autres égos, ce qui peut être un très bonne chose comme une très mauvaise chose. Personnellement, je ne crois pas qu’il soit difficile de travailler avec moi, mais ça reste compliqué de tous se mettre d’accord. Ensuite il s’agira d’enregistrer dans un studio, et cette fois un vrai studio, pas simplement chez moi. Je pourrais le faire, mais ça serait un peu cheap. Je tiens à faire une belle sortie, un bel album de black. Quoique, black, je ne sais même pas si ça va être du black au final. Mais du metal en tout cas. J’y bosse à mes heures perdues.
Est-ce que tu dissimuleras le lien avec Perturbator ?
Ça reste encore à déterminer. Dans tous les cas, je n’ai pas envie que les gens se penchent dessus comme sur le « projet black metal du mec qui a fait Perturbator ». J’ai envie que les gens l’écoutent pour ce que ça sera. Pour cette raison, j’hésite à cacher la parenté entre les deux projets, mais c’est encore en discussion.
Pour continuer dans l’aparté black metal, qu’est-ce que tu penses du « cas » Peste Noire ?
Je n’ai jamais autant écouté que j’ai écouté Deathspell Omega ou Blut Aus Nord – surtout Deathspell Omega qui est probablement un de mes groupes préférés dans le genre. Mais de ce que j’en connais, j’aime beaucoup. Je sais qu’il a des positions politiques particulières, mais je ne vais pas te mentir, je m’en cogne un peu. Je dissocie totalement le créateur et sa création. Il y a aussi de nombreuses rumeurs qui circulent sur Deathspell Omega, et là pareil, je distingue l’œuvre et son auteur. Ça peut me déranger un peu plus quand ça se retrouve dans les paroles, mais c’est avant tout les mélodies qui me plaisent, l’écriture des morceaux. Et à ce niveau, Peste Noire est hyper sincère, hyper crade, et j’aime beaucoup. Après concernant le gars de Peste Noire, Famine, je ne le connais pas très bien, je n’ai jamais lu ses interviews ou autres, j’ai juste écouté sa musique.
Oui, c’est vrai. Je me souviens qu’un type avait mis en vente sur Discogs le vinyl glow-in-the-dark de ‘Dangerous Days’ à 1’200 balles. Et, après s’être concertés avec mon label Blood Music, on avait mis un un exemplaire en vente à 1000 balles pour lui faire concurrence, et en affichant dans la description : « Ce vinyl est vendu par Blood Music directement. Si vous l’achetez, Perturbator en personne se rendra chez vous pour prendre un café. » Je déconnais pas, si quelqu’un l’achetait, je serais vraiment allé chez cette personne prendre un café.
Mais du reste, pour cette histoire de spéculation, ‘agacé’ c’est le bon mot. Ça ne m’empêche pas de dormir la nuit, c’est juste que je trouve un peu bête d’acheter un vinyl uniquement pour le revendre plus cher, sachant que si un vinyl est sold-out – par exemple ‘Dangerous Days’ l’est au moment où je réponds à tes questions – on ne tarde jamais à proposer une réédition. C’est idiot d’acheter un vinyl 1000 euros alors qu’il va ressortir inévitablement, pour moins cher.
Pour provoquer un peu, n’est-ce pas la faute de Blood Music, qui met en vente des tirages insuffisants par rapport à ta popularité ?
Ce n’est pas exactement de sa faute. Quand j’ai signé chez Blood Music, ni moi ni lui n’avions aucune idée d’à quel point je vendais, et de la popularité de Perturbator. Il m’a demandé une estimation du nombre de vinyles qu’on devait presser, et j’avais dit un chiffre un peu au hasard en ne pensant même pas qu’ils allaient tous s’écouler. Tu connais l’histoire : tout est parti en dix minutes. Blood Music et moi, on était sur le cul.
Au total il y a eu trois pressages. Les deux premiers se sont déroulés de manière catastrophique. Les gens les voulaient absolument, en rafraîchissant la page en boucle. Ça m’énervait de voir que certains n’ont pas réussi à en avoir. On a donc essayé d’en faire plus, rien à faire. J’ai même posté un message d’excuse sur ma page Facebook pour dire que ça n’arriverait plus. On a juste pas réussi à estimer la demande. Le prochain album, ça devrait le faire. On vise 10’000 vinyles pressés. Et si cette fois, ça s’écoule directement et que certains sont mécontents, franchement, je n’aurais pas fait exprès. On compte faire en sorte qu’il y en ait assez.
Label : Blood Music
Website : www.perturbator.bandcamp.com
Note : 4/5