À l’heure où les festivals se multiplient en se consacrant à des genres musicaux spécifiques, il est devenu facile de trouver un événement qui satisfait les goûts les plus pointus et exigeants. Alors, pourquoi parcourir 3’000 km pour un festival qui fait tout le contraire, en présentant une diversité de styles musicaux et en mélangeant joyeusement groupes émergents et grosses têtes d’affiche ? Tout simplement parce que ça fonctionne ! En cinq volets, nous allons vous expliquer pourquoi.
Jour 0 mardi 6 août 2024 : une ouverture en grande pompe dans une ambiance intimiste
L’Øya Festival a démarré avec un « kick-off » que seul un événement dans une grande ville peut offrir : le Clubs Day. Avant d’investir pendant quatre jours le parc Tøyen, en plein centre d’Oslo, des dizaines de concerts et DJ sets sont proposés la veille dans toute la ville. Des petites salles intimistes aux grands clubs, on déambule dans Oslo, se laissant imprégner par l’ambiance festive et accueillante, où les rencontres se font naturellement.
L’accent est mis sur les artistes locaux, car Øya prend très à cœur sa mission de promouvoir la musique norvégienne. La première chose qui frappe, c’est l’enthousiasme du public, qui chante, danse et applaudit avec une sincérité contagieuse. Même si nous ne comprenons pas les paroles en norvégien, l’énergie est communicative : nous voilà prêts à entrer dans le cercle d’Odin.
Rien de tel que le trio féminin ULD pour ouvrir les festivités, avec leur musique inspirée à la fois de chansons folkloriques norvégiennes, d’indie et de jazz ; en plus d’écrire leurs propres textes, elles s’inspirent de poètes norvégiens tels que Jon Fosse et Gunvor Hofmo, nous délivrant une musique folk moderne et émouvante, immédiatement hypnotisante.
Remplis de cette poésie viking, nous sommes prêts à explorer des contrées plus sombres et nous déplaçons au live du duo darkwave osloïte ZERO BATS. Ils ont su maîtriser une montée en puissance implacable, évoluant entre une électro envoûtante et des sonorités darkwave mélancoliques. Petit à petit, ils nous entraînent dans une danse qui se termine dans un lâcher-prise total.
Conquis par nos premières découvertes, nous poursuivons notre déambulation sans but précis, portés par la confiance en la programmation du festival. Nous atterrissons alors au légendaire club Blå. Un DJ commence son set, et à notre grande surprise, il s’agit de Jarvis Cocker, le chanteur dandy de Pulp. Non annoncé au programme pour éviter les foules, il nous livre en toute simplicité un set audacieux qui fait danser quelques 200 heureux privilégiés.
En quelques heures à peine, nous ressentons déjà ce qui rend ce festival si spécial. La détermination à offrir un événement exceptionnel est palpable. L’excitation est communicative, et l’accueil, parfait. D’ailleurs, nous acceptons avec plaisir une proposition originale, visiter la ville le lendemain matin… en kayak.
Jour 1 mercredi 7 août 2024 : se déplacer à pied et en… kayak
Jusqu’à ce jour, j’étais naïvement convaincue qu’aucun festival ne pouvait encore me surprendre. Légèrement blasée mais sans arrogance, je constatais simplement que les expériences avaient tendance à se répéter : des scènes plus ou moins grandes, des espaces plus ou moins naturels, une décoration plus ou moins réussie, un public plus ou moins réceptif. Mais jamais on ne m’avait proposé de visiter la ville en kayak avant d’arriver sur le site.
C’est précisément ce qui rendra inoubliable la 25ème édition du Øya Festival. Était-ce dangereux ? Non. Excitant ? Oui ! Bien que la rivière fût calme, je n’avais jamais imaginé traverser Oslo en kayak, encore moins ramer à côté du célèbre musée d’Edvard Munch. Ce petit frisson a suffi à libérer juste assez d’adrénaline pour bien commencer la journée, titillant mon goût pour l’aventure et éveillant ma soif de décibels, prête à être ssouvie.
Direction le parc Tøyen. La découverte du site du festival se fait sous un soleil radieux et une température idéale de 25°C. L’organisation du site est à l’image du festival : remarquable. Un nombre impressionnant de toilettes attire immédiatement notre attention. Bars, jeux, tables : tout est pensé pour éviter les longues files d’attente. Des groupes de gens et des familles de tous âges se promènent joyeusement, une atmosphère de vacances flotte indéniablement dans l’air.
Six scènes accueillent une variété impressionnante de groupes et de styles musicaux. Nous nous concentrons principalement sur le rock, et notre première cible est sur le point de monter sur scène : The Kills.
Je pense sincèrement avoir rarement vu un duo aussi efficace. Alison Mosshart et Jamie Hince nous offrent un rock puissant, du genre qui ne s’invente pas. On l’a ou on ne l’a pas dans le sang, et une fois qu’il vous possède, il est impossible de le contenir. Même en plein après-midi, sous la lumière éclatante du soleil, l’intensité de leur performance a été absolue. On reconnaît la vraie puissance d’un groupe lorsqu’il peut se passer de light shows et autres artifices. Alison Mosshart a d’ailleurs partagé sur son compte Instagram que cette expérience en plein jour avait été étrange pour eux également, mais qu’elle avait particulièrement apprécié de pouvoir découvrir les sourires de son public. La preuve que je n’étais pas la seule à être ravie de les voir à ce moment-là.
C’est encore sourire aux lèvres que nous nous déplaçons pour voir PJ Harvey, une des artistes que j’attendais le plus, surtout parce que c’était ma première fois devant cette grande Dame du rock alternatif. Sans attentes précises, j’étais prête à me laisser surprendre, mais le contraste avec l’énergie de The Kills est foudroyant. Ici, pas de headbanging, de sauts ou de bras en l’air, mais un décor qui évoque une fissure dans la roche, un monolithe sonore qui s’écrase sur nous devant une image imposante mais subtile d’une PJ Harvey semblant figée hors du temps. Le respect est absolu.
Place à la découverte norvégienne du jour : Casiokids. Bien qu’ils ne soient pas vraiment des débutants, car au cours de l’été 2010, le légendaire groupe pop norvégien a-ha a remis quatre prix distincts d’un million de couronnes chacun à des artistes norvégiens qu’ils estimaient avoir le plus grand potentiel d’exportation à ce moment-là. Casiokids a été l’un des lauréats (avec Susanne Sundfør, Moddi et Shining). Ils ont probablement fait bon usage de cette reconnaissance, car le public les soutient en masse. Leur electropop, aux légers accents rock, électrise la foule et nous emporte dans leur monde fantastique, rempli de créatures étranges, hautes de plusieurs mètres, qui partagent la scène avec les musiciens.
Sans que nous nous en rendions compte, il est déjà temps d’assister à la tête d’affiche de la journée : Pulp. Personnellement, je ne les avais jamais vus auparavant, mais Stéphanie, notre photographe, est une ultra-spécialiste du groupe. Tout simplement, c’est son groupe préféré. Je me fie donc à ses réactions, et très vite, elle nous confirme que le concert est exceptionnel. « Ah, j’avais jamais entendu celle-là en live ! » Cool, me dis-je, quelle chance d’être là, d’autant plus que M. Cocker semble en pleine forme, même après sa soirée de DJ la veille. Effectivement, ils affichent une forme à faire pâlir les plus jeunes. Ils enchaînent les tubes et autres pépites de manière déconcertante. Une heure et demie intense, sans temps mort. Et même si Stéphanie nous a dit que M. Cocker saute désormais un peu moins haut, j’espère grandement avoir sa forme à la soixantaine.
Directement après la fin de Pulp, nous voyons la foule se diriger massivement vers la sortie du parc. Nous constatons que les stands sont déjà fermés, pourtant il n’est que 23h15. D’abord légèrement confus par ce tomber de rideau précoce, nous comprenons rapidement que la fête continue dans les clubs de la ville. Finalement, c’est un moyen astucieux de ne pas déranger les habitants et d’économiser de l’énergie. De toute manière, après les émotions de cette première journée, nous sommes ravis de pouvoir nous reposer, d’autant plus que nous avons reçu une autre proposition originale pour le lendemain : démarrer la journée avec une croisière…
Texte : Sandra Henny
Photos : Stephanie Meylan