NEW-POST-NO-JAZZ
Par Dejan Gacond
Octobre 2016
Les étiquettes ! Il s’agit de se définir, de rentrer dans une catégorie qui ne peut exister qu’en fonction d’une autre… Une translation de l’organisation corporelle, urbaine et biologique… Depuis Linné c’est comme ça ; nommer, se positionner… Une construction identitaire de l’être imposé par ses actions et ses possessions… On parle de classes, de mouvements, d’espèces, de professions… Tout doit être explicable ; le néant, les errances mentales, la folie, les rêves, l’art, la musique…
Nous sommes en 2016… Le monde est incontrôlable… Kaléidoscopique, insensé, absurde… Nous avons été nano-catégorisés… Nos identités ont été pixelisées, numérisées, fragmentées et externalisées… Les
démons du passé rejaillissent en avance rapide sur nos tablettes intelligentes… Nos zones submnésiques sont soumises à une avalanche d’images envoyées à haut débit dans nos yeux fatigués… Pourtant d’une fuite opiacée à un rêve éthylique, d’un sang chimiquement modifié à une perception du réel rendue acceptable par les psychotropes, des espaces existent, des possibilités s’envisagent…
Nous sommes en 2016 dans le deuxième sous-sol d’un parking… Dans un local enfumé… Une cinquantaine de personnes viennent écouter Lydia Lunch ; son verbe incisif, sa voix puissante, enragée, dérangeante, fouillant dans les tréfonds des âmes depuis quatre décennies… Une poésie réveillant, parcourant les zones indistinctes de nos individualités prétendument définie… Elle parle d’autopsie, d’hystérie personnelle et collective, de guerres éternelles générées par un paternalisme infini, de traumas, de béances corporelles, d’une sexualité frénétique, de croyances absurdes… Son discours est entrecoupé des interventions chirurgicales de Weasel Walter à la batterie… Une rapidité démoniaque, des cymbales hurlantes, sur fond de bidouillages électroniques malfaisants… Les mots et les sons nous renvoient dans l’origine flottante d’une humanité en devenir… Avant les corps et le langage, dans la folie aqueuse d’un monde naissant, peuplé de créatures étranges et de bruits effrénés, de sang, d’hystérie, de spasme, de cris… Comme une superposition psychotique et duale d’un monde disparu et pas encore né, la poésie suintante de Lydia Lunch, remplie d’odeurs et de goûts, de sons et de colère semble plus vieille que l’humanité et plus contemporaine que le monde actuel… Un mélange de sagesse, de savoir, d’une conscience de la violence et de la folie génétiquement incrustée dans nos tissus…
Lydia Lunch nous rappelle qu’il s’agit de se dé-catégoriser… Lydia Lunch nous rappelle que le néant, la folie, les rêves, le sexe, l’art, la musique sont une nécessité organique, psychique et sensorielle… Et qu’ils sont la seule réponse possible, la seule expérience envisageable face aux oscillations cycliquement maladives des sociétés et des corps qui les composent…
Lydia Lunch nous rappelle qu’elle refuse simplement de fermer sa gueule.