A la fin de l’an passé, Marc Storace passe gentiment près d’une heure en conférence vidéo avec Daily Rock pour nous parler de la sortie de son nouvel album. La version courte de cette interview a été publiée dans notre magazine papier de décembre.
Tu es en train de sortir « Crossfire », ton deuxième album solo. Es-tu satisfait du résultat final et des réactions que tu as reçues jusqu’à présent ?
Je suis vraiment content de la façon dont ça s’est passé. Tommy (NDLR : Henriksen, guitariste des Hollywood Vampires et d’Alice Cooper, et producteur pour cet album) m’a dit : « Marc, je veux enregistrer ton prochain album solo ». Et j’ai dit oui, c’était juste après un super concert que nous avions donné à la dernière édition de « Rock the Ring » en Juin 2022. J’ai vraiment de la chance que Tommy ait voulu le faire alors qu’il sortait d’une tournée avec son propre groupe Crossbone Skully. Le résultat a été mixé par Olle Romo, l’ingénieur son personnel de Mutt Lange (NDLR : producteur de notamment trois albums successifs d’AC/DC : Highway to Hell, Back in Black et For Those about To Rock !).
Peux-tu nous expliquer le processus de création que tu as suivi avec Tommy, Olle et les autres ?
Avec Tommy, nous avons beaucoup travaillé en ligne – une production moderne – car il est tout le temps sur la route, mais aussi chez lui car il vit à Zurich avec sa famille. Mais ma façon préférée de création a toujours été comme « Live and Let Live », qui a été enregistré totalement à l’ancienne, tous ensemble dans le studio pendant deux semaines ; j’avais alors utilisé un vieux pupitre Neve et un magnétophone Studer, ce qui coûte un peu plus cher. Nous nous sommes enfermés et je me suis dit qu’il n’y avait rien de mieux à faire, que c’était un bon investissement parce que je croyais vraiment aux chansons, et ça s’est bien passé. Pour « Crossfire », nous avons enregistré la batterie avec Patrick Aeby près de Bienne dans le studio de notre nouveau guitariste, Serge Christen.
Puis ça a été fait par petits bouts en imaginant que le puzzle serait super à la fin. Lorsque je suis allé chez Tommy pour commencer à écrire, il avait déjà toutes ces idées et le premier grand obstacle à franchir était de décider sur quoi nous allions travailler. La première chanson que j’ai choisie était « Sirens », un morceau qui ne correspond pas au reste de l’album, qui est lui un retour au hard rock de base, au vieux boogie rock que l’on peut comparer à du Krokus. Les idées de Tommy, les riffs qu’il trouvait et les idées lyriques, les directions proposées étaient vraiment une source d’inspiration pour moi. Et il a aussi fourni quelques invités de son groupe Crossbone Skully, comme Anna Cara, une incroyable guitariste et puis Jon Levin, le guitariste de Dokken ; Tommy a aussi fait de la basse, car il a commencé sa carrière comme bassiste et son jeu de basse est proprement phénoménal, c’est un vrai moteur !
Tommy m’a aussi dit : « tu dois donner aux fans ce qu’ils attendent de toi ». Donc au lieu de faire un autre « Live and let Live », nous avons fait cet album et il déchire vraiment. On ne se voyait pas souvent lors de la création de l’album, mais quand c’était le cas, on travaillait très vite parce qu’on était très bien préparés.
Et comment est-ce que tu te prépares pour un tel nouvel album ? Est-ce que tu mets de côté des idées de chansons ou des sujets, ou ce que tu aimerais atteindre avec ta voix ?
Quand Tommy venait avec des riffs et des trucs, ça a toujours été assez ouvert et je pouvais mettre des mélodies et des paroles, de la même manière de ce que j’ai toujours fait avec Krokus. Et puis quand on se rencontrait, on pouvait se dire ouvertement : « changeons ça, ça pourrait sonner mieux si c’était comme ça… ». C’est une question de confiance quand tu travailles avec quelqu’un et qu’il te suggère des idées, de savoir aussi si tu dois les accepter ou non et si elles vont convenir à toi et à ton groupe.
Il était vraiment concentré sur la bonne direction et tout s’est bien passé : l’album laisse la musique parler. Et je suis vraiment heureux – comme tu me l’as demandé tout à l’heure – de toutes les critiques que nous avons reçues de la part des journalistes. J’ai fait beaucoup d’interviews grâce à Frontiers – qui est le nouveau label – parce qu’avant je n’avais même pas de vrai label. En effet, pendant la période de blocage Covid, personne ne voulait signer un nouvel artiste, ce qui était logique, car le business était en train de s’effondrer, les gens faisaient faillite, les gens mouraient, perdaient leur emploi … Alors j’ai créé ce label, « Cream of Rock » juste pour pouvoir l’installer quelque part dans une maison. Et j’ai financé toute la production du studio pour mon premier album au Power Play Studios. C’est à Zurich et assez cher, mais je me suis dit que ça valait le coup, c’est ma carte de visite et ça va faire tourner la roue. Maintenant avec Frontiers, c’est passé au niveau supérieur : Frontiers est indépendant et fait vraiment ce qu’il veut ; de plus il y a une communication incroyable que je ressens en ce moment en faisant toute la promotion, en organisant les horaires pour les interviews, par exemple.

Je me sens bien, je me sens bien mieux qu’avant. Et ça ne peut que s’améliorer car mon groupe habituel a déjà commencé les répétitions à Bavois et je vais les rejoindre : c’est toujours bien quand le groupe commence seul et vérifie tout. Pour l’instant, nous ne jouerons en concert que trois nouvelles chansons de l’album « Crossfire », mais l’année prochaine, nous mettrons plus de chansons quand nous partirons en tournée. Je préfère quand les fans ont déjà écouté un nouvel album, qu’ils commencent la fête en chantant, en connaissant certaines des paroles et qu’il se passe quelque chose d’important, comme une grande communication entre le groupe et le public ; pour moi, c’est la quintessence d’un bon concert.
Il y a deux ans en décembre 2022 je t’ai vu au Mühle Hünziken et c’était absolument génial, plein à craquer, tout le monde chantait tes chansons, et Tommy Henriksen était là. Ma question est donc la suivante : tu discutais déjà avec lui à l’époque du futur projet d’album ?
Pas vraiment, il y a deux ans, pas en profondeur ; en fait tout a vraiment commencé après ce concert. Je connais Tommy depuis peut-être dix ans, je ne me souviens pas exactement. Mes amis dans le groupe de hard rock suisse China avaient besoin de chœurs, je suis allé là-bas et j’ai été présenté à Tommy Henriksen. Il y a ces pauses café où vous discutez beaucoup et j’ai réalisé que c’était un mec cool, très créatif et au top des choses et toujours en train de travailler ; et nous avons gardé cette amitié.

Quand on s’est revus au Rock the Ring en 2022 sur le site du festival, sa femme était là, son jeune garçon aussi et il a vu notre performance, qui était historique. C’était historique parce que quand Alice Cooper a fini de jouer, il leur a fallu beaucoup de temps pour changer la scène. Alice Cooper vient en effet avec une énorme scène et le régisseur était malade dans sa chambre d’hôtel avec le Covid, il ne pouvait pas faire son travail, alors ils ont dû improviser et ça a pris une demi-heure de plus que prévu. Donc la pause entre la tête d’affiche et la fin du festival a duré une heure entière et on s’est dit qu’il n’y aurait plus personne. Mais quand nous sommes montés sur scène, ils sont sortis des bars et je dirais que 8/10 des gens étaient encore là. Bien sûr, certains d’entre eux étaient présent depuis le matin et avaient peut-être un peu trop bu. Mais nous avons tout donné, et pendant la chanson « No Place to Hide », qui est pleine d’énergie, presque punky, les spectateurs ont formé ce grand « mosh pit » et c’était le premier pour le groupe : ça nous a fait nous sentir géniaux. On se regardait les uns les autres, « Tu vois ça ? Whoa, c’est cool ».
Et comment tu as fait monter Mutt Lange à bord ? Par l’intermédiaire d’un Tommy Henriksen ?
Ouais. C’est Tommy. Tommy a toutes les connexions, tu sais. Il travaillait avec Mutt Lange pour son album « Evil World Machine » de Crossbone Skully qui sort le 22 novembre, à la même date que l’album Crossfire de mon groupe. Mutt Lange était son producteur exécutif (il vit toujours à Genève), il est donc dans le même pays et Tommy communiquait avec lui et ensuite me disait : « hey, attends d’entendre ces trucs, Marc ». Donc au fur et à mesure que les mois passaient, ça progressait. Ce n’est pas le genre de production « vieille école », où nous avions l’habitude de mixer directement dans le studio, sur la table de travail, mais il faut faire confiance et avoir la foi, Tommy est un bon et c’est incroyable ce qu’il a accompli. Bien sûr, le mixage se fait par ordinateur, mais à la fin c’est de la musique et je pense que tout ce qu’il a fallu, c’est que le mixage prenne une nouvelle dimension, ce qui est nouveau pour moi, et j’ai apprécié ce que j’ai entendu. Tommy a mis des tonnes de chœurs, et c’est aussi bien parce que ça intègre mieux le groupe sur scène, quand ils chantent avec moi.
Non seulement c’est beau, mais ça sonne mieux, c’est comme atteindre de nouveaux sommets ou quelque chose comme ça et après toutes ces années, ça sonne si net et frais, rafraîchissant, c’est génial.
Tu as une carrière très longue et très réussie, comment et pourquoi est-ce que tu as choisi, à ce moment-là, de former ton propre groupe?
Krokus était mon bébé depuis 1979, lorsque je l’ai rejoint et enregistré « Metal Rendez-vous ». Metal Rendez-vous était mon premier album avec Krokus, et quand il est sorti, il est entré en force dans les charts ; le téléphone sonnait tout le temps, le management n’arrivait pas à suivre et nous avons dû aller aux Etats-Unis pour trouver un co-management. Nous avions donc deux managers au début, une chose de spécial était vraiment en train de se passer.
Pour revenir à ta question, en 2018, il était question de faire la dernière tournée de Krokus et en 2019 nous avons fait cette dernière tournée, une grande tournée de festivals en commençant par la Suède, et la fin pour l’Europe ; en décembre au Hallenstadion on a joué à guichets fermés. C’était génial. C’était comme la Beatlemania, avec bien sûr un sentiment mélancolique à l’idée que c’était le dernier concert. Mais il nous restait encore d’autres concerts à terminer et nous avons recommencé l’année suivante, en 2020, avec la croisière des Monsters of Rock. Nous étions ensuite censés partir sur la route avec Saxon et faire quelques dates en Angleterre, puis au Canada, aux États-Unis et en Amérique du Sud mais malheureusement Covid a commencé, et pendant que nous attendions la fin de Covid, l’esprit du groupe est sorti par la fenêtre et les gars voulaient tout annuler ; les fans attendaient partout et malheureusement nous avons dû tout annuler. Mais nous allons refaire les Monsters of Rock avec Krokus, au début de l’année prochaine, en mars 2025.

Donc pendant le Covid je n’avais plus Krokus et je me disais : « qu’est-ce que je vais faire » ? Tu sais, j’avais toutes ces idées et ces archives, des paroles et des chansons qui remontent à 20 ans en arrière, et je me suis dit : maintenant j’ai le temps de regarder tout ça. La première chanson que j’ai trouvée était « Live and Let Live », qui faisait partie d’une trilogie de chansons d’environ une demi-heure, une chanson vraiment géniale. Mais évidemment, on n’est pas en 1960, et on ne peut pas produire ça ; donc pour cet album, on a réduit tout ce truc de « Live and Let Live » et on a utilisé la partie la plus accrocheuse, avec le refrain.
Il y a donc des choses que tu n’as pas faites ou pas pu faire, et tu vas maintenant te concentrer sur ces choses ou les reprendre ?
Oui, c’est ça. Par exemple, dans ma setlist de concerts : mon premier album n’a que dix chansons et nous avons joué la plupart d’entre elles, donc je devais compléter avec d’autres choses. J’ai décidé d’utiliser une chanson intitulée « Telephone Man » du groupe Easy Money, qui date de mon époque londonienne avant que je ne rejoigne Krokus (ndlr : au milieu des années septante). C’était entre le groupe Tea et Krokus, Telephone Man est super, le groupe Storace la joue vraiment bien. Et il y a une autre chanson, « You Can’t Stop the Rainfall », tirée de mon tout premier album – qui était censé être mon album solo – mais qui est devenu le « Blue Album ». Et comme je ne voulais pas que mon groupe ait du succès en étant un groupe de reprises de Krokus, j’ai pris des chansons que Krokus ne joue jamais ; l’une d’entre elles est « To the Top », vraiment bien, solide et avec un rythme direct. Et « Midnight Maniac », qui venait de l’album Blitz, c’était un tube aux Etats-Unis et au Canada, tout le monde connaît « Midnight Maniac » et Krokus ne l’a jamais rejoué. Et puis il y a quelques autres reprises que Krokus avait l’habitude de jouer. Je pense que la meilleure reprise que nous ayons jamais faite dans Krokus était « American Woman » des « Guess Who ». Et « Stay Awake All Night » était aussi une reprise très populaire à l’époque. On l’a faite et ça marche très bien en live. Nous avons réussi à traverser les trois dernières années avec un seul album, donc maintenant ça va être plus facile avec deux albums, on pourra même enlever quelques chansons et en mettre de nouvelles.
Pour ton nouvel album, tu as déjà publié quelques clips sur YouTube. Es-tu satisfait du nombre de vues ?
Je pense que le nombre de vues a vraiment augmenté dernièrement, un grand bond en avant. Les pourcentages sont élevés par rapport à ce que nous avions, mais c’est aussi parce que la promotion est plus mondiale et plus cohérente. Ça fait partie du travail que Frontiers fait et cela a été d’une grande aide. Donc oui, je suis vraiment satisfait. Je suis également satisfait de la façon dont la vidéo « Rock This City » a été tournée : je voulais que le groupe soit là en vedette, pour que les fans voient les visages et surtout Serge Christen, qui est le nouveau guitariste. Et je voulais aussi aider un peu l’imagination : quelques images, de petits clips sur le clip pour expliquer le sens des paroles, ce dont il s’agit. Le clip de l’autre chanson, « We All Need the Money », est en fait une composition d’images de deux festivals. L’un était « Sion sous les étoiles », l’autre à Spreitenbach, près de Zurich, et les images sont vraiment bonnes. Le dernier clip qu’on a fait, c’était dans le studio de Serge Christen près de Bienne. Patrick (Aeby) y est allé avec Dominique (Favez) le soir précédent et ils ont tout mis en place. Le lendemain, tout s’est passé très vite, on a commencé le tournage à 10h du matin et fini à 14h. C’était vraiment rapide. Bien sûr, il a fallu faire le montage ensuite, mais le clip est très bien sorti.
Comment s’est passée la tournée jusqu’à maintenant ?
Très bien. Et on a changé de guitariste : tu sais, le guitariste principal est un homme très important dans un groupe, il est comme le deuxième homme de tête. Et quand il joue un solo pour moi, il est l’homme de tête et doit être présent. Je pense que nous avons une très bonne composition dans le groupe. Emi Meyer est une bassiste incroyable, je la connais depuis des années parce que nous avons tourné ensemble avec le « Rock Circus ». Avec Dominique (Favez), nous avons travaillé ensemble depuis 2003 et l’album « Rock The Block » de Krokus et aussi avec Patrick Aeby ; nous avions alors fait une grande partie des enregistrements à Lausanne et ensuite la plus grande tournée que Krokus n’ait jamais faite en Europe et nous avions également joué au Montreux Jazz Festival. Donc dans Storace il y a Patrick, Dom, Emi, Serge et moi. Et cette année il y a eu Spreitenbach, et c’était grand. C’est comme étape par étape actuellement, pour atteindre un niveau plus élevé et se battre pour encore plus. Pas seulement la perfection. Parce que la perfection seule ne fonctionne pas, tu as aussi besoin de l’esprit, de voir des visages heureux. Les musiciens s’amusent, ils sont tous heureux de commencer les répétitions du nouvel album et je suis un peu jaloux.
Quel a été ton moment fort de la tournée depuis le début de l’année ?
Spreitenbach a été le point fort de cette année, mais aussi Sion, qui était vraiment génial. Et c’était encore avec Turi Wicky à la guitare solo ; Turi avait quelques difficultés à gérer son agenda car il a beaucoup d’étudiants en guitare, ce qui le tient très occupé. Et il vit à Appenzell ; donc à un moment donné, il a dit qu’il ne pouvait plus faire ça. Serge était disponible par chance, parce qu’en plus de diriger un studio, il a aussi ses deux propres groupes, mais les choses se sont mises en place très rapidement. Un peu stressant peut-être pour Serge, mais c’est arrivé. Et il y a encore trois concerts jusqu’à la fin de l’année, on finit au Mühle Hünziken le 21 décembre.
Et pour 2025, tu es déjà en train de préparer votre prochaine tournée ?
Nous l’avons couché sur le papier, mais nous n’allons pas commencer physiquement. Nous avons besoin de faire une pause et de laisser le nouvel album travailler pour nous. Nous débuterons ensuite par quelques échauffements dans de petits clubs. C’est toujours bien de reprendre contact avec les fans avant d’aller jouer dans des festivals. Nous allons jouer les trois premières chansons qui sont sur les clips vidéo (NDLR : trois dates sont encore prévues en 2024) et ensuite, nous passerons de bonnes fêtes de fin d’année. Célébrer le Nouvel An avant de recommencer à jouer l’an prochain, et bien sûr avec Frontiers, nous espérons obtenir l’exposition dont nous avons besoin et ensuite notre agence de booking qui est là depuis le tout début va certainement organiser une grande tournée pour nous.
Et peut-être pour finir quelque chose de spécial à dire à nos lecteurs de Romandie ?
C’était vraiment génial de rejouer là-bas. Et vous savez, je pense qu’il faut que j’y joue beaucoup plus souvent, le groupe le pense aussi. Nous avons eu ce concert à Genève qui était vraiment spécial il y a un an (ndlr : Daily Rock festival en Janvier 2024) et je remercie Daily Rock d’avoir fait de la promotion pour ça. J’aurais aimé en avoir plus mais les choses se construisent étape par étape, année après année. Le plus important, c’est que tout le monde était content. En attendant, j’espère que tout le monde écoutera les nouvelles chansons et sera aussi impatient que moi de les entendre en live !
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[Jean-David Jequier]