Pour le vingt-cinquième anniversaire de cette association mythique et mythiquement menacée, nous en avons appris beaucoup grâce à Clément, Pierandré et Barnabé, membres de la permanence de l’Usine qui nous ont fait le plaisir de nous accorder un peu de leur temps live.
En quoi consiste votre travail ?
Clément : On s’occupe de la relation à l’extérieur, aux médias, à la police, aux autorités et à l’intérieur, on s’occupe d’organiser les réunions hebdomadaires, les ordres du jour, les PV ainsi que de mettre de l’huile dans les rouages quand il y a des frictions.
Comment est organisée l’association ?
Clément : C’est un collectif à géométrie variable. On ne centralise pas, mais on crée le lien entre toutes les associations présentes dans l’Usine.
Pierandré : Toutes les associations ou groupes de programmation, comme je préfère les appeler, prennent part aux décisions de l’association faîtière.
Et du coup, qui s’occupe du nettoyage des locaux ?
Pierandré : Ce sont les groupes de programmation sauf pour les espaces communs, abandonnés et que personne ne veut.
Barnabé : Ceux-ci, c’est moi qui m’en occupe. Ce sont les couloirs, les ascenseurs. Les entretenir, faire quelques petites modifications, etc. Mais ce qu’il faut comprendre c’est que le bâtiment appartient à la Ville et qu’on ne peut pas le modifier comme on veut.
Vous avez eu beaucoup de problèmes avec le voisinage ?
Clément : Ben au début il n’y avait pas beaucoup de voisinage, mais depuis trois ans il y a eu des problèmes liés au bruit et au comportement.
Pierandré : Le premier gros problème qu’on a eu était une affaire de justice et non un procès, puisqu’on n’avait enfreint aucune loi, et on l’a gagnée. On se préoccupe beaucoup du voisinage, on ne fait pas du bruit pour faire du bruit.
Clément : Maintenant le grand problème ce sont les gens dehors. Il y a eu une période où le Zoo fermait ses portes à minuit, minuit et demi et il y avait deux mille personnes qui traînaient sur la place.
Pierandré : Mais on remarque que même si l’Usine est fermée, la place des Volontaires reste vivante, ça c’est sûr et certain. On fait régulièrement des appels au public pour qu’il se comporte de manière civile.
Vous étiez sur la sellette il y a trois ans, non ?
Pierandré : On est toujours sur la sellette.
Vous n’avez pas peur que l’Usine ferme ?
Pierandré : On est habitués depuis vingt-cinq ans (rires).
Barnabé : Je pense que le lieu même a tendance à être menacé de disparition. Il n’y a pas une année ou on a pu se reposer sur nos lauriers, mais d’un côté, c’est un peu motivant de savoir qu’on est toujours là.
Clément : Il y a quand même un côté stressant. Parfois, on fait des programmes sur six ou douze mois alors lorsqu’on entend que le bâtiment pourrait fermer d’un jour à l’autre, c’est un peu pénible.
Pierandré : Oui, surtout qu’on prend soin du public, ce ne sont pas des clients. C’est vrai que c’est par moments c’est un peu lassant de voir qu’une ville pour qui on fait du travail social et culturel n’a pas été capable de dire merci une fois en vingt-cinq ans. On ne demande pas qu’ils nous adorent, mais juste qu’ils reconnaissent le travail qu’on fait.
Vous êtes bénévoles ?
Clément : Non, on est salariés. Il y a environ cinq cent salariés par année.
Pierandré : Ce qui fait quand même une belle offre d’emploi, mine de rien, même si ce sont des petits salaires. Et puis à côté de ça, il y a des membres bénévoles.
Pierandré : C’est un choix qui a été fait, c’est pas juste qu’on veut être mal payés. C’est de l’auto-exploitation consciente en sachant que si on se paie plus, on aura moins d’argent pour faire les choses.
Comment peux-tu expliquer que, les squats ayant fermé, l’Usine soit le dernier bastion de cette vie-là ?
Pierandré : Que l’Usine soit encore là aujourd’hui, c’est parce qu’elle est très fréquentée et que fermer l’Usine c’est pas si évident politiquement parlant, mais je pense que si on se lassait et qu’on fermait de notre plein gré, il y en aurait deux/trois qui seraient contents, voilà.
Clément : Mais je pense que c’est pas la ville qui a créé un espace dédié aux cultures émergentes, c’est vraiment ce réseau de personnes-là qui ont demandé ce lieu et qui l’ont obtenu. La question des salaires et aussi souvent débattue. C’est à dire, est-ce que l’Usine doit devenir une employeuse responsable, bien payer ses gens et leur permettre de vivre bien ou au contraire, est-ce qu’il faut garder cet engagement militant à raison de plus de 50% de bénévolat.
Pierandré : Pour l’instant on n’a pas trouvé d’autre solution, à part le milliardaire qui pourrait nous offrir secrètement ses fonds et qui nous permettrait de faire les deux.
Clément : Autre chose, aussi, il existe une idée qui est pas nommable, mais qui tient tout ensemble. Ce qui est intéressant c’est que c’est pas le mémorial ennuyeux des vingt-cinq ans, c’est qu’on est toujours là avec les même enjeux et ça je trouve que c’est beau. J’y viens tous les jours et je me bats pour ça et c’est dans cet engagement que notre travail prend du sens.
Pierandré : Bien sûr, et il y a aussi le fait que c’est une source d’apprentissage phénoménale, l’Usine. C’est pas une chose cloisonnée, malgré le fait qu’il y ait des espaces cloisonnés avec des activités particulières. On y apprend plein de choses différentes.
Pierandré : C’est bien la preuve qu’il y a un état d’esprit permanent qui n’était pas simplement l’état d’esprit des gens qui ont voulu cet endroit, c’est ça qui est touchant pour moi qui suis une vieille chose. C’est drôle qu’on nous appelle, nous la permanence. Il y a vraiment quelque chose de permanent mais qui est perpétuellement en mouvement.
Dans tous les cas, on vous souhaite encore vingt-cinq ans de plus.
Pierandré : Merci, et du pognon (rires)
Nous avons voulu aussi faire le point par mail, avec Dam, un vieux de la vieille….
Quel est ton rôle au sein de l’Usine ?
Dam : Je suis arrivé en juillet 1989 à l’ouverture, pour donner des coups de mains à PTR (service d’ordre, sonorisateur). Puis à État d’Urgence pour le Kab (permanent, DJ résident et sonorisateur), j’ai parcouru à peu près toutes les assoc’ de l’Usine depuis ces vingt-cinq ans avec une polyvalence à 300% dans pratiquement tous les domaines passant de cuistot à électricien, nettoyeur de chiottes à serveur de bières,… Mais la plus grosse partie a été la programmation avec plus de quatre mille groupes invités, les vingt festivals Underground, le fanzine Info Rock, les soirées electrodark, la création des disco all styles comme la vache à lait du (fut) KAB. Là mes activités au sein de l’Usine ont été réduites au label, au shop et à l’organisation de show case, des diffusions et des bouffes à thèmes. Je produis aussi pas mal de groupes et projets, déjà cent trente sorties avec notre label. Mon activité artistique reste dans la prog, le mix, l’enregistrement, les concerts, le DJ set et la photographie.
Qu’est-ce qui t’a motivé à créer Urgence Disk ?
Dam : Urgence Disk à été ouvert en mars 1990 comme lieu de distribution des musiques alternatives, des fanzines, t-shirts et autres articles liés aux mouvements qui nous touchent de près. C’est aussi devenu un nom de référence pour des échanges avec d’autres lieux internationaux, pas mal d’échanges et de tournées se sont créés depuis sa création. Après, en 1999 j’ai décidé de créer le label ‘Urgence Disk Records’ au début pour mes projets (Fade, Artmode et BAK XIII), ensuite pour des groupe suisses et internationaux. Le fait de tout gérer fait que tout va beaucoup plus vite et personnellement nous n’avons eu que de mauvaises expériences quand on compte sur des distributeurs et certains crétins du monde de la scène musicale. Là, Urgence Disk a depuis trois ans passé le cap supérieur en organisant des événements beaucoup plus régulièrement et en continu, les co-productions avec d’autres labels, d’autres lieux et d’autres pays.
Comment expliques-tu le fait que l’Usine soit encore autant active et ‘vivante’ après vingt-cinq ans ?
Dam : C’est logique car l’Usine est un électron libre dans le domaine culturel. Je ne connais pas d’autres lieux où il se passe autant d’activités sur une semaine, c’est vraiment magique et pour ça le Genevois capricieux ne se rend pas toujours compte de sa chance. L’usine a une perfusion branchée non-stop où débarque régulièrement du sang neuf, mais pour qu’un lieu comme celui-ci continue à vivre il faut absolument que les dirigeants genevois comprennent qu’il faut ouvrir un maximum d’autres espaces pour éviter que la culture étouffe. Sa diversité est ce qui lui permet de survivre à l’art. Dans tous les styles possibles, nous avons les moyens de devenir une capitale européenne culturelle car on a énormément d’acteurs présents pour la gérer. Et franchement Genève des débuts 90’s était une référence mondiale….