Deuxième passage au Hellfest, après le Metal Corner vous avez investi la Hell Stage, comment vous avez vécu ce concert ?
Thomas Courtin : je ne craignais pas de jouer devant beaucoup de monde, c’est toujours électrisant. En revanche, j’avais beaucoup d’appréhension vis à vis de notre passage en journée, car je ne pensais pas pouvoir déployer un spectacle immersif. Le concert inclut désormais de la danse contemporaine, de la scénographie et une création lumineuse. C’est important de proposer le show dans ces conditions. Finalement, la présence d’un ring de catch en face de notre scène, installé par le Hellfest en prévision d’une autre performance, était opportune puisque Melvin Coppalle et Pierre ont pu s’en emparer, le franchir et performer au milieu des spectateurs pour leur plaisir.
Melvin Coppalle : Je ne suis pas du tout habitué à ces scènes là. A côté de Mantra, je fais mes projets de solo de danse, et les lieux qui m’accueillent sont tout à fait différents. La Hell Stage c’était pour moi un énorme choc dans l’énergie qu’est capable de transmettre le public et dans les possibilités d’exploitation de l’espace. C’était aussi le moment où l’on devait s’assumer en entier : la musique, la mise en scène particulière, la place donnée à la danse, etc. Si nous y étions allé timidement, je pense que cela n’aurait rien donné.
Alors là vous avez annoncé la sortie de votre prochain album, on va y revenir, mais déjà revenons en arrière, quel regard vous portez sur votre dernière production “Laniakea” ?
Thomas : j’en suis toujours très fier, mais forcément je grandis et les sensibilités évoluent. Avec du recul, je trouve la basse de Laniakea très agressive. L’expertise du studio a permis de trouver un meilleur équilibre sur le troisième album, il y a plus de textures, d’ambiances et les sons de basse sont plus variés.
Simon Saint-Georges : ça a été un projet très important pour l’évolution du groupe. Il nous a permis pour la première fois d’aller au bout de notre concept en construisant un album complet autour du thème de la préhistoire. On a ensuite pu le décliner sur les visuels, la scène, les vidéos… ça a été la clé pour faire avancer le groupe sur de nouveaux terrains, et c’est bien là-dessus qu’on a choisi de s’appuyer pour écrire la suite de l’histoire de Mantra. “Laniakea” était notre premier projet de cette ampleur, donc ce fut parfois difficile car on avait vraiment mis la barre très haut. Ça nous a tiré vers le haut je pense !
Alors, vous allez donc sortir votre prochain album, en quoi est-il meilleur que le précédent ?
Simon : il est plus spontané et cohérent, déjà, car il a été écrit en un temps plus restreint, environ 6 mois. Et je pense qu’on est moins dans la démonstration sur cet album : chaque musicien est vraiment au service de la musique et du concept de l’album – on ne cherche plus à “en mettre plein la vue”, on se concentre sur la réalisation d’une musique inspirante, qui puisse à la fois nous représenter et explorer des chemins nouveaux. Le concept de MEDIUM repose sur la séparation du corps et de l’esprit : il est constitué de 2 morceaux qui représentent chacun une face de l’album. Ce format est donc plus propice à l’immersion et à l’écoute en pleine conscience !
Thomas : à toi de décider si tu le trouves meilleur, pas à nous ! Il est avant tout différent car plus nuancé.
Vous aviez travaillé en 2017 avec la compagnie Izanami et vous avez retravaillé cette année sur un show concept. Parlez-nous un peu de la genèse du projet et un peu de ce que vous avez proposé dans ces shows ?
Thomas : C’est une rencontre avant tout. Mantra avait, il y a 2 ans, rendez-vous à Rennes avec de nombreux acteurs culturels. A cette occasion, Melvin présentait son projet solo aux participants. Lors de sa présentation, il évoquait des pistes d’inspiration que nous avions, avec Mantra, exploré : chamanisme, introspection…. Il était évident pour moi que nous avions à discuter autour d’un café, sans forcément imaginer de grands projets. Sitôt la réunion terminée, on a échangé nos numéros pour commencer une collaboration. L’univers de Melvin est chamanique et puissant, je me doutais que nous aurions des inspirations réciproques à tirer.
Melvin : En ce qui me concerne, je ne pensais pas du tout rejoindre un projet comme celui-ci au cours de ma carrière de danseur. Cependant l’aventure de la transdisciplinarité m’a complètement charmé. Au départ j’avais peur, car ma danse peut déjà dégager quelque chose de sombre et de violent. Je craignais qu’avec la musique metal cela fasse “couche sur couche”. Je pense que nous avons tout de même réussi à établir un bel équilibre. Il reste perfectible, bien entendu. Lors du show, je ne m’interdis rien : me jeter dans le public, aller directement à sa rencontre, le toucher, le renifler, etc. Cela me permet de chambouler l’interaction entre « regardant » et « regardé ». De plus, en fonction de la scène, je vais m’adapter au dispositif afin d’optimiser les possibles. Par exemple, sur la Hellstage nous avions un ring, il me paraissait indispensable de me jeter dessus, d’inviter quelques spectateurs à faire un peu de catch avec moi, de me pendre aux cordes, etc… Une fois sur scène, le fauve est lâché. Cependant il ne s’agit pas en permanence d’être dans une énergie explosive. Je me concentré tout autant à proposer des mouvements dansés qui, pris dans l’ensemble de la mise en scène, invite à la contemplation et à la « poésie metalleuse »!
Alors, sur votre prochaine tournée pour votre prochain album, on va avoir le droit à un set concept ou ce sera juste un show axé sur le nouvel album ?
Thomas : le concept du spectacle va de pair avec celui de l’album. Il reste quand même beaucoup de libertés, puisque Mantra reste un groupe de rock et que le concert laisse encore de la place pour de l’improvisation. Nous avons déjà expérimenté l’intégralité des nouveaux morceaux dans ce show au cours d’une quinzaine de dates ce premier semestre, partout en France. L’accueil était bon. On va approfondir la recherche de mise en scène, avec de nouveaux éléments immersifs ou des détails plus pointus du spectacle. Ce sera à découvrir dans la seconde moitié de la tournée, à Nantes, Rennes, Montflours…
Pour vous quel est le meilleur moment, le meilleur contexte pour profiter pleinement d’un live de Mantra, car ceux-ci sont quand même des sets qui sont très intenses, on peut vous voir en transe pendant vos concerts ?
Thomas : chaque concert est intense. Je me fiche du contexte. Je crois que chacun dans Mantra réussit à suffisamment déconnecter son esprit pour oublier qu’il se situe devant 300 ou 10 individus. On n’a jamais moins transpiré sous prétexte que la date n’en valait pas la peine. Même quand il y a peu de monde, l’ambiance reste tendue et électrique car les lieux sont rock, les caves suintantes. Pour les plus attentifs, c’est certain qu’un concert dans une salle équipée de lumières et d’une scène est idéal. On souhaite désormais toucher des conditions plus décentes, mais on garde conscience qu’on est un groupe souterrain et qu’on continuera d’arpenter des lieux alternatifs. Ça prend du temps. Je ne veux pas me leurrer : ce n’est pas avec du metal expérimental que notre visibilité va exploser. Mais je veux toujours autant partager l’énergie communicative du concert, peu importe les conditions. Je n’oublie pas que je suis passé par des teufs, des caves, des cafés…
Cet état de transe est indispensable pour pouvoir retranscrire en live les sentiments et contrastes de votre musique ?
Thomas : oui, j’ai besoin d’assez vite oublier que j’ai des proches devant moi, des connaissances… pour pouvoir être spontané. Mais je n’appelle pas ça de la transe, c’est plutôt une bulle impénétrable.
Melvin : Personnellement, je n’aime pas beaucoup la notion de ”transe”. Plus précisément : je m’en méfie. Aujourd’hui c’est un terme très galvaudé, il y a de nombreuses manières de définir et de vivre la transe de part le monde et les disciplines. Cependant, c’est évident que le show nécessite un certain lâcher prise. Cela étant dit, et en ce qui me concerne, je me dois de rester dans un état de conscience très attentif pour faire attention au plateau, aux spectateurs, aux musiciens, … Il ne faudrait tout de même pas qu’il y ait des blessés !
Simon : interpréter un concert comme celui qu’on propose demande beaucoup de concentration. Certaines parties demandent une véritable précision dans l’exécution pour l’ensemble du groupe. Donc on ne se laisse pas complètement aller, je le vois plus comme une forme de “pleine conscience” encore une fois. Par contre le fait de rejouer le set d’un soir sur l’autre en fait vraiment une forme de rituel !
Qu’est ce qui aujourd’hui pourrait sublimer le son Mantra ? Du matériel ? Un cadre d’enregistrement ? Des instruments tradi ?
Thomas : on a toujours envie d’expérimenter. Ce nouvel album a vu arriver plus de textures, des larsens de basse, des voix gutturales… Avec Gabriel, on a parlé il y a quelques mois de la possibilité que Mantra ne soit plus un groupe de metal à l’avenir. Ce qui nous intéresse, c’est de traduire une histoire en musique. La frénésie du metal n’est pas forcément le meilleur outil. Je voyage souvent beaucoup plus avec un album de Plaid qu’un disque d’Amen Ra. Pourtant, j’adore les deux.
Simon : difficile à dire. Notre façon de bosser depuis quelques années, c’est de se saisir d’un concept et de dérouler le fil pour voir jusqu’où ça peut nous amener. Donc vraiment, on ne sait pas où on va atterrir, on essaie de ne pas de fermer de portes. On expérimente de nouveaux sons, en studio on peut notamment se permettre de tester plein d’amplis et d’effets. Sur l’instrumentation, on a utilisé le piano et la flûte à plusieurs reprises, on verra ce que l’avenir nous réserve !
Certains vous qualifient de groupe de prog, pour moi ça va bien au delà du concept musical c’est un tout (en définitive Mantra fait du Mantra), vous vous en pensez quoi ?
Thomas : j’ai ce problème quand je démarche pour trouver des concerts, ou quand je parle passionnément de Mantra à des gens qui veulent être pointus sur les styles. On ne sait pas où se situer, c’est inquiétant car on ne sait pas toujours à qui s’adresser pour grandir, comment intégrer de nouvelles scènes et toucher un nouveau public. Mais c’est aussi plutôt rassurant car ça donne envie de creuser, on n’est pas au bout de notre recherche.
Simon : je pense que ce n’est pas à nous de nous coller nos propres étiquettes ! On a toujours été au croisement de plusieurs genres et on l’assume complètement, c’est volontaire. On prend l’ambiguïté et la difficulté à se faire connaître qui va avec. Après c’est vrai qu’on a peut-être tendance à utiliser le terme “prog” pour dire “qui se fixe ses propres règles”, mais ça permet aussi d’indiquer à l’auditeur à quoi il a affaire. Comme tu le dis, ce que propose Mantra aujourd’hui va plus loin que ça, on essaye d’aller vers une expérience globale qui traverse les formats : sur disque, sur scène, dans les visuels, les vidéos… finalement ça fait longtemps que ce n’est plus seulement de la musique !
Avec tout ça, vous avez jamais pensé à vous faire un petit DVD, un court-métrage pour illustrer des clips, ou participer à une BO ?
Thomas : on a imaginé faire une captation intégrale du spectacle. On a une équipe de techniciens adorables et dévoués, et des amis qui nous soutiennent sincèrement dans ce genre de projet, donc je pense que ça arrivera un jour.
Simon : il y a des projets oui ! Mais tout ce qui est lié à la vidéo c’est toujours des projets assez lourds à monter, ça demande des compétences spécifiques, du matériel et du temps ! Donc il y a des choses sur les rails qui vont dans ce sens, mais le long-métrage Mantra, ce n’est pas pour tout de suite !
Les dernières questions : Quel est le dernier bon livre passé entre vos mains ?
Thomas : “Capacity” par Theo Ellsworth. C’est une incroyable plongée dans la psychée créatrice d’un auteur sans doute atteint de douance. La BD est dingue, elle brise le quatrième mur en permettant au lecteur d’être acteur du voyage. Le dessin est unique, très enfantin et bienveillant.
Simon : j’ai malheureusement de moins en moins le temps de lire des bouquins, mais je suis tombé il y a peu sur The Grand Design de Stephen Hawking. Ça parle de l’(in)existence de Dieu, de l’origine des lois de la nature… de quoi alimenter des débats infinis avec les autres membres du groupe !
Quel est le dernier bon album que vous ayez écouté ?
Thomas : Endless Computer, par Expander. Du punk hardcore vindicatif sur toile de fond dystopique, la bande son des caves de Blade Runner. Le riffing est agressif, c’est le genre de musique à ne pas mettre dans tes oreilles quand tu prends les transports en commun aux heures de pointe, au risque de buter le môme de la voisine qui chiale d’angoisse étouffante. A ce stade, je ne sais plus si c’est le môme ou la voisine qui pleure. Il y a des espèces de solo réverbérés angoissants qui côtoient une voix monocorde ultra écorchée, et des riffs qui donnent envie de tout casser. Et puis c’est Kurt Ballou à la prod, ça s’entend dès la première note, j’adore.
Simon : j’ai bien accroché au nouvel EP “Mythical” de Paul Masvidal de Cynic. Ce gars a un sens incroyable de la mélodie et de la composition. Je trouve qu’il est un très bon exemple d’artiste capable d’incorporer des éléments de musique “savante” dans sa musique sans que cela paraisse scolaire ou froid. L’EP contient beaucoup de sons binauraux, ce qui n’est pas sans rappeler le sound design présent sur notre album Laniakea, réalisés par notre batteur Gabriel Junod.
Et quel est votre plus vieux souvenir sonore (il peut être musical ou non) ?
Thomas : ma cassette de Music For The Masses (Depeche Mode) que j’écoutais en boucle dans ma chambre quand je devais avoir 6 ans.
Simon : la cassette du “Petit Prince” raconté par Gérard Philippe, je l’écoutais pour dormir. J’en ai d’ailleurs fait un album il y a quelques années avec Matthieu Monnier, qui officiait à la basse aux débuts de Mantra.
Je vous laisse le dernier mot et attends de vous voir en Franche-Comté .
Simon : merci pour tes questions ! J’espère qu’on aura l’occasion de jouer dans la région bientôt !
Thomas : franchement-content.
Photos : tigroo photopgraphie
merci à Laurent Finisterian dead end