Nicke « Royale » Andersson, dans son pays, est une icône de la scène rock underground. Cerveau des Hellacopters, l’ancien batteur d’Entombed se plaît à emprunter d’autres sentiers roc(k)ailleux : c’est ainsi qu’il s’octroie une escapade en terre soul avec The Solution ou prête main forte à Lucifer (dont la belle chanteuse Johanna Sadonis n’est autre que sa dulcinée) derrières les fûts. Après cinq albums en sept ans, il était temps pour Imperial State Electric de laisser un témoignage, pour la postérité, de l’énergie incroyable qu’il déploie sur scène. D’où ce double vinyle (mais simple CD), ‘Anywhere Loud’, dont le principal intéressé nous a parlé.
Après toutes ces années passées sur la route, où trouvez-vous l’énergie pour écrire, composer, enregistrer et tourner?
Nicke Andersson : Parfois je me le demande moi-même. Évidemment, nous avons nos jours de doute et de fatigue, mais après tout nous faisons de la musique, non? C’est notre passion. C’est tout ce que je fais et c’est tout ce que je veux faire. Je n’ai aucune intention de faire quoi que ce soit d’autre. Nous n’apprécions pas spécialement de voyager, mais il le faut si nous voulons jouer ce soir ici (ndlr: au Z7 de Pratteln). Je n’ai rien contre cette ville, mais je ne pense pas que je vais y déménager non plus. Faire de la musique implique inévitablement de voyager, mais je préfère voyager dans mon imagination que dans un bus ou un avion. Voyager est nécessaire et en vaut la peine. C’est aussi simple que ça. Nous avons le sentiment d’avoir une bonne vie. L’alchimie au sein du groupe est bonne et sommes satisfait de pouvoir livrer des bonnes prestations scéniques à notre public.
Vous avez publié cinq albums dans un laps de temps très court, comme dans les années 70.
Dans les années 70, nous n’aurions pas été considérés comme un groupe très productif. Si nous avions pu, nous aurions souhaité pouvoir sortir davantage d’albums. Nous avons des chansons en stock, mais il nous faut attendre que notre label soit prêt. Les temps sont différents. Notre musique vient du cœur et de l’âme, elle est simple, directe, et il ne nous faut pas longtemps pour la produire. C’est ainsi que toute musique devrait être: plaisante et pleine d’âme. Nous aimons ce que nous faisons et espérons avoir un tout petit peu de talent. Nous n’avons pas besoin d’une année pour produire un album.
Pour les fans, c’est le top. Pas besoin d’attendre des années pour profiter de nouveaux morceaux.
C’est aussi ainsi que je le vois, car nous sommes nous-mêmes des fans avant d’être des musiciens. Si nous faisons trop patienter les fans, le risque est qu’ils se tournent vers d’autres groupes et nous oublient.
Que pouvez-vous nous dire au sujet de votre premier album live, ‘Anywhere Loud’ ?
Nous voulions déjà sortir un album live après notre troisième disque. Dans les années 70, c’est ce que la plupart des groupes faisaient, comme les Ramones et Kiss, les deux groupes qui sont le plus près de mon cœur. Nous ne voulions pas le sortir pour les fans, parce que la demande n’était pas forcément là, mais pour nous. Un live après trois albums, c’est un excellent moyen de documenter une période précise d’un groupe. Comme au bon vieux temps, c’est un double vinyle avec la pochette qui s’ouvre et vingt-trois titres, ce qui est beaucoup.
Le visuel de cet album live est-il un clin d’œil à ‘Alive!’ de Kiss ?
Tu t’adresses à des experts de Kiss ! Tobias (Egge, l’autre guitariste) et moi pouvons t’affirmer que ce n’est pas le cas. Je vois ce que tu veux dire, mais nous n’avons pas envisagé le visuel comme ça. Ce sont juste quatre musiciens sur scène.
Êtes-vous d’accord si je vous dis que le véritable esprit du rock’n’roll ne se manifeste plus dans les stades et peu souvent dans les arènes, mais qu’il faut aller dans de petites salles pour le trouver ?
Je suis d’accord jusqu’à un certain point. Il y a peu, j’ai ouvert pour les Rolling Stones avec mon autre groupe, The Hellacopters, dans un stade à Stockholm devant 50’000 personnes. C’est la plus grande foule devant laquelle j’ai joué. C’était très difficile de sentir le public, même le premier rang était très éloigné de la scène. 50’000 personnes, c’est beaucoup trop. Je crois qu’il est possible d’avoir une super ambiance avec 10’000 personnes, mais au-delà cela devient difficile. Pour être franc, aucun groupe ne devrait jouer devant 50’000 personnes. Comment être dans l’ambiance quand on se trouve à plusieurs centaines de mètres de la scène ? D’un autre côté, certains festivals peuvent générer un très bel esprit rock’n’roll. Hier, nous nous sommes produits dans un club devant 200 personnes, et c’était fantastique! C’est le genre de club qui est parfait pour nous. Le Z7 de Pratteln est déjà trop grand pour nous. Nous avons besoin de voir les gens qui nous regardent.
Comment expliquez-vous que la Suède a donné naissance à tant de bons groupes depuis vingt ans (The Hellacopters, Backyard Babies, Opeth, Graveyard, Black Trip, Ghost) ?
J’y vois plusieurs raisons. En Suède, nous savons depuis longtemps comment intégrer la culture musicale d’autres pays. Dans les années 50 déjà, nous étions capables d’adapter à notre façon le jazz américain. Nous n’avons pas une culture musicale propre, nous avons donc dû, par la force des choses, nous inspirer de ce qui se faisait ailleurs. La culture suédoise n’est de loin pas aussi forte que la culture française ou allemande. Même si l’on regarde notre culture folk, elle n’est pas aussi forte que la culture folk américaine, qui est constituée du blues et de la country. La culture suédoise s’est inspirée, pour le meilleur et pour le pire, de la culture américaine. En Suède, nous avons une politique sociale de très haute qualité. En tant que jeune, il est assez facile d’avoir accès à la musique, et notamment à un local de répétition. Il est plus facile de fonder un groupe de rock que dans d’autres pays.
Sur votre dernier disque, ‘All through the night’, il y a ce surprenant titre country, ‘Break it down’. Votre manière d’adapter la musique country à votre style est très réussie.
C’est tout bonnement parce que nous sommes incapables de jouer de la country comme il se doit. Je suis entré en contact avec la musique country grâce à des groupes qui savaient s’en inspirer tout en gardant leur identité propre. Les Rolling Stones par exemple. Quand ils jouent ‘Dead flowers’, cela ne sonne pas comme de la country, cela sonne comme les Stones. ‘Break it down’ ne sonne pas comme de la country de Nashville, parce que nous ne sommes pas de Nashville. Et c’est très bien ainsi. C’était pour nous un essai, je pense qu’il est réussi. En tant que gamin, je n’aurais jamais imaginé écouter ou jouer un jour de la country. Mais avec le temps, on réalise que peut-être ce genre musical est relié au rock et on s’y intéresse. Chuck Berry est rock’n’roll, mais Chuck Berry est country également.
Qui est cette fille qui interprète le duo avec vous?
C’est Linn Segolson. Elle vient de Detroit et a travaillé plusieurs fois avec nous. En 2005, quand j’ai monté un groupe de soul inspirée des sixties, The Solution, elle en faisait partie. Elle a chanté sur nos deux albums. Elle a fait des chœurs sur un album des Hellacopters et sur nos deux précédents albums (‘Reptile brain music’ et ‘Honk machine’). Nous l’avons choisie pour ce duo parce que justement elle ne vient pas de la country, elle vient de la soul. Elle est juste excellente.
Chacun des dix titres de ‘All through the night’ possède sa propre couleur musicale. On y trouve du boogie, du glam, des harmonies très Beatles, de la country. Il semble que vous n’ayez aucune barrière.
Mais nous n’allons pas jouer du funk! (rires) Regarde les Rolling Stones: la plupart des gens te diront que ‘Sticky fingers’ est un excellent album de rock. Mais à y regarder de plus près, on trouve sur ce disque plusieurs styles musicaux. Mais à chaque fois, peu importe le genre, cela sonne comme les Rolling Stones. Attention, je ne nous compare aucunement aux Rolling Stones, que cela soit bien clair. En tant que fan d’un groupe, je trouverais ennuyeux qu’un disque comporte dix chansons similaires. Même les Ramones, dont le style semble à première vue très cadré, apportaient beaucoup de nuances dans leurs chansons. Mon disque favori, ‘Road to ruin’, a même une chanson country.
Je vais à présent m’adresser à l’expert de Kiss que tu es. L’influence de Kiss est parfois manifeste dans vos chansons, notamment au niveaux des soli de guitare qui évoquent ceux d’Ace Frehley. Êtes-vous d’accord si je vous dis qu’il était un guitariste très moyen techniquement?
Quoi ? Je ne suis pas du tout d’accord avec cette affirmation.
Je ne peux pas juger, car je ne suis pas musicien moi-même. Mais j’ai le sentiment, bien que grand fan de Kiss moi-même depuis 1979, qu’il est limité et qu’il nous jouait souvent les mêmes soli.
Et tu me dis cela à moi? Je fais les mêmes soli tout le temps! (rires) Nous n’avons pas besoin d’être d’accord. Je pense qu’Ace est le meilleur guitariste lead que j’ai entendu dans toute ma vie. Je ne dis pas cela uniquement parce qu’il m’a accompagné dans ma jeunesse, mais ce qu’il a fait autrefois est vraiment bon. Bien sûr, on ne peut pas le comparer à quelqu’un comme Steve Vai. Il avait un grand sens de la mélodie et un sens de la rythmique hors du commun. Il était capable de créer des accroches dans ses soli. Je me rappelle de ses soli autant que du refrain ou des paroles d’une chanson. J’attends d’un bon solo de guitare qu’il me reste en tête, pas qu’il soit techniquement compliqué ou très rapide. Il a ceci en commun avec Angus Young ou Keith Richards que leur son est identifiable à la seconde où vous les entendez jouer. Avoir un son propre, c’est ce qui fait un grand guitariste à mon sens. Ils ont un style unique, bien que techniquement d’autres soient meilleurs qu’eux.
Est-ce la version 2017 de Kiss retient encore votre intérêt?
Pour Tobias et moi, Kiss c’est avant tout une question de nostalgie. Nous avons grandi avec Kiss. Ce qu’ils font en 2017, c’est chouette, mais ce que nous aimons avant tout c’est ce qu’ils ont fait quand nous étions jeunes. Nous sommes avant tout fans de la version maquillée de Kiss des années 70. Cela reste un groupe divertissant, qui apporte du plaisir. Si j’avais pu produire leurs deux derniers albums, ceux-ci auraient sonné nettement mieux. Je reste nostalgique de ce qu’ils ont réalisé à leurs débuts, ce qu’ils font actuellement m’intéresse moins.
Est-ce que Lemmy vous manque, deux ans après son décès?
Non, je ne peux pas dire qu’il me manque à titre personnel, car même si je l’ai rencontré à plusieurs reprises, nous n’étions pas proches. Ce n’est pas comme si mon meilleur ami était décédé. Et puis il a vécu beaucoup plus longtemps qu’il aurait dû, vu la vie qu’il a menée. Mais heureusement il nous a laissé sa musique. Sa musique est toujours là et le sera toujours. Et il y a tellement de musique! Cela dit, ce serait chouette qu’il ait pu vivre encore un peu pour nous transmettre un peu plus de Motörhead.
Dans une encyclopédie du rock, qu’aimeriez-vous lire sous la rubrique ‘Imperial State Electric’?
Je voudrais lire: « Si ces gars avaient sorti leurs albums dans les années 70, ils auraient été immenses. Mais ce ne fut pas le cas, alors ils sont restés underground. »