Depuis 2013, Ghost a connu un succès fulgurant, et pour cause ! Les Suédois proposent un concept abouti autant musical que visuel autour d’un horror show satanique. Leur formule ? Un son rétro, parfois psychédélique, souvent démoniaque, toujours hypnotique, mêlé à une ambiance occulte et un visuel léché. Récit d’une soirée placée sous la surveillance du Malin.
J + 6. Les fidèles et les idolâtres se rassemblent une nouvelle fois en ce haut lieu de cult(ur)e qu’est l’Usine PTR pour célébrer à l’unisson une fête de perversité des plus délectables : le son brut du rock, hymne à la joie et à la liberté. Agréable suprise : le public est venu en masse dès la première partie. L’unique date suisse de la tournée de Ghost a ratissé large ; dans le public, on parle français, anglais, italien, allemand… Et comme à chaque fois, la bière étanche la soif, le son panse les plaies ; d’où qu’on vienne, on est chez soi.
Tout est là, il ne manque donc plus que la musique et c’est Dead Soul qui s’y colle le premier, proposant un show à fond les baffles, entre électro et chant bluesy. La carte électro est jouée jusqu’au bout, avec une boîte à rythme en guise de batterie. Dead Soul n’échappe pas alors à une certaine redondance dans le son, mais avec le mérite de donner plus d’espace au trio et à sa présence magnétique, mené par un Heisenberg au chapeau melon. La propreté de la rythmique contraste avec le son garage de la guitare, délivrant un savoureux électro-grunge, non sans évoquer un petit côté « Moby-à-la-dure ». Bref, intriguant et rafraîchissant.
Le clou du spectacle, c’est bien sûr Ghost qui, très rapidement, va mettre le public au diapason. Le changement de plateau fait déjà partie du show, avec diffusion de cantiques et effusion d’encens dans la salle. Tous nos sens sont en alerte et indiquent la venue imminente du messie. L’intro inquiétante de « Spirit », première piste du nouvel album, se fait alors entendre. Le son est parfait, le public serré comme des sardines, mais plus chaud que jamais ! Les élégantes goules entrent en scène et vont, tout au long du concert, virevolter autour de Papa Emeritus III, l’anti-pape au maquillage squeletique, portant mitre et croix renversée. Si les voies du Seigneur sont impénétrables, son serviteur se fait nettement plus locace et n’hésitera pas, entre les morceaux, à taquiner la foule et à encourager toutes sortes de fornications (« this is a song about fucking ! yes, again ! »).
C’est avec le single « From the Pinnacle to the Pit » que les choses sérieuses commencent. La foule s’agite et ne se fait pas prier pour s’égosiller en compagnie de Papa Emeritus, vraisemblablement satisfait de la prestation de ses « enfants » (c’est ainsi que le groupe appelle ses fans sur les réseaux sociaux). Le set met largement à l’honneur les deux derniers opus du groupe, ‘Infestissumam’ (2013) et ‘Meliora’ (2015) dans un partage assez équitable, alors que les retours au premier opus (‘Opus Eponymous’) sont plus anecdotiques. Seuls deux morceaux (« Ritual » et « Con Clavi con Dio ») en sont tirés, mais ces derniers sont l’occasion pour Papa Emeritus de mener sa messe noire ; sur l’un, il purifie l’audience de son thuriféraire, sur l’autre, il fait monter sur scène les « Sisters of Sin », deux nonnes qui vont donner le Saint Sacrement de l’Eurcharistie aux fidèles des premiers rangs (pour les intéressées qui ont toujours rêvé d’être nonnes, le groupe ouvre les inscriptions pour chaque ville sur Facebook !).
Mais l’excellence de Ghost vient aussi du fait que c’est un groupe à la croisée des chemins, empruntant à la fois – que ce soit dans le son ou le visuel – des éléments à Black Sabbath, Kiss, Alice Cooper, Opeth ou encore Iron Maiden. Leur live s’étend sur une large palette d’ambiances et c’est ainsi que l’emphatique « Per Aspera Ad Inferi » – qui nous donne l’unique privilège de faire du joghurt en latin – est suivi de quelques riffs typés rock sudiste, annonçant « Majesty ». La cohérence est assurée par la présence du groupe sur scène, qui confère à chacun de ses morceaux un je-ne-sais-quoi de sulfureux, de théâtralité, qui permet de guider le public d’un genre à l’autre sans casse. Après une rapide et élégante évocation des actualités – « This song is about eating flesh. Yes, this is what we can do in a free world. » – « Body and Blood » prend la relève dans une note plus doucereuse.
L’enchaînement « Cirice », « Year Zero » et « He Is » semble de loin le moment le plus attendu de la soirée. La rythmique prononcée des deux premiers morceaux envoûte la foule, alors que « He Is » est l’occasion d’un beau moment de partage avec un public qui connaît vraisemblablement toutes les paroles par cœur. Alors que le concert approche de sa fin, Ghost lève le pied le temps de quelques morceaux, dont une magnifique version acoustique de « Jigolo Har Megiddo ». Le groupe termine le set sur un trio tiré d’Infestissumam, avec « Monstrance Clock » en point d’orgue ; Papa Emeritus prédit un final « orgasmique » et il faut bien avouer que Ghost sait s’y prendre. Nous terminons donc sur ces paroles reprises à l’unisson : « Come together / Together as one / Come together / For Lucifer’s son », non sans repartir avec un ultime conseil de la part du maître de cérémonie : « in a time of trouble, it’s important that you all still go out ». La messe est dite. Ce soir, la musique a très vite repris ses droits en nous rappelant à l’essentiel. Ghost, c’est un univers à part entière qui ne peut se révéler dans toute sa splendeur que sur scène, là où sa théâtralité peut librement se développer. Nous sommes sortis et nous sortirons encore. Surtout à ne pas manquer à leur prochain passage !
Set List :
Spirit
Pinnacle to the Pit
Ritual
Con Clavi Con Dio
Per Aspera Ad Inferi
Majesty
Body & Blood
Devil Church
Cirice
Year Zero
He Is
Absolution
Mummy Dust
Jigolo Har Megiddo
Ghuleh/ Zombie Queen
If you Have Ghosts
Monstrance Clock
[Chiara Meynet]