Je ne suis pas un grand fan de Laurent Ruquier , mais quand Manœuvre est annoncé pour la deuxièmes fois en quelques semaines, je ne peux m’empêcher d’allumer mon ordinateur, pour lancer le replay des dix minutes accordé au « plus Vieil ados de France ». Il y a des jours comme ça où l’on regrette de ne pas avoir hiberné, et me voilà embarqué dans un des dialogues les plus hallucinants de l’histoire de la critique rock.
Le bonhomme vient pour promouvoir un concept des plus douteux, qui consiste à réunir 1000 « virtuoses » dans le stade de France, et de leur faire rabâcher les classiques comme de bons fonctionnaires du show business.
Ce concept, déjà légèrement ridicule ouvre la voie à un discours Angolien des plus délirants. La voilà donc qui nous explique que, pour entrer à la postérité, un genre doit rabâcher son « répertoire » , et que c’est en gros la mission sacrée que ce serait donné ce rock critique, devenu une parodie de lui-même.
Devant mon écran, je m’imagine déjà notre PhilMan national relativiser le propos, après tout, nous avons affaire au chantre de la simplicité rock, qui nous à rabattu les oreilles avec la sainte formule guitare basse batterie. Mais non, l’homme est là comme Louis XVI au milieux de ses courtisans, il remercie , et se dit touché par les délires d’une chroniqueuse qui est aussi à l’aise avec l’argumentation qu’un unijambiste dans une course de haie.
Le lendemain, je pars chercher le derniers trésors Zappaien comme s’il s’agissait d’une bouffé d’air frais dans un monde où le spectaculaire et le clinquant ont remplacé le talent et l’inventivité.
Quand Zappa prend place sur cette salle de New York, il n’est déjà plus le petit compositeur rock galérant à payer ses factures. Après avoir congédié les Mother Of Inventions historiques, le moustachu s’est lancé corps et âme dans le jazz rock, produisant ainsi une musique moins rigide et laissant plus de place aux talents individuels de ses musiciens. Il a aussi réussit à rendre ses folles expérimentations plus abordables et le résultat ira du plus instrumental « hot rats », au plus accessible « Overnight » sensation, qui reste son seul disque d’or avec apostrophe.
L’homme avait soif de reconnaissance, et ne supportait pas de voir les Beatles sacralisés, alors que son premier album les a largement inspiré, lors de la création de Sergent Pepper. Résultat, il a creusé son sillon jazz rock de 1972 à 1974, entrant pour la première fois dans le sillons d’une époque ou Miles Davis et Soft Machine donnaient leurs visions du jazz rock. Cette période c’est elle aussi clôturée sur un live , « The Roxy and Elsewhere » , qui le voyait se libérer de son rôle de chef d’orchestre pour jammer avec un big bang jazz rock. Le live au Roxy a d’ailleurs, lui aussi, bénéficié d’une réédition luxueuse, présentant l’intégrale des prestations dans cette salle légendaire.
Pour le live in New York , les producteurs ont encore soignés la présentation, et on ne peut que les remercier. A une époque ou le streaming à désincarné la musique, il est plaisant de revenir avec le précieux carton sous le bras, l’ouvrir avec précaution, et étaler ses disques comme autant de trésors sorties de terre. La chose se présente dans un coffret sous forme de plaque d’égout, symbole d’un artiste qui passa sa vie à rire des déchets produits par son pays.
Le premier disque présente l’album original, produit avec les master analogique d’époque, et le résultat est époustouflant. On a littéralement l’impression d’être dans la salle, et de voir Zappa renouer avec son amour pour la musique contemporaine. Les percutions folles reprennent un rôle centrale, et Zappa enfile de nouveau son costume de chef d’orchestre. Celles si atteignent des sommets de complexité et d’inventivité sur « The Black Page » , folle pièce conçue comme « un solo de batterie ». Les cassures rythmiques s’enchainent à une vitesse folle , guidés par une mélodie loufoque comme seul Zappa sait les composer. Quand le saxophone vient calmer un peu le jeu, plaquant un solo langoureux au milieu de cette folie rythmique , ce n’est que pour mieux affirmer que Zappa est passé maître dans un art qu’il est seul à maîtriser.
Rolling Stones parlait de rock fusion, Lennon affirmait qu’il était le seul à mélanger le rock et la musique classique de façon aussi cohérente, en réalité on a plutôt affaire à une nouvelle formule arrivée à une symbiose parfaite. Alors oui, les cœurs flirtent largement avec le doo woop , les percutions font renaître la folie rythmique de varèse , et les cuivres font passer ce mélange savant à grand coup de solo réconfortants.
Mais, ce que Zappa à voulu montrer sur ce live, c’est une musique plus complexe et riches, qui tourne clairement le dos aux jams du live précédent. On retrouve aussi les intermèdes burlesques des Mothers Of Invention, comme ce dialogue libidineux au milieu de Tities and Beer, pièce où les percussions sont encore à l’honneur, et où Nixon est évoqué entre deux délires lubriques. Ce n’est pas pour rien que tous ces titres , joués en exclusivité ici, collent aussi bien avec les extraits de « Overnight Sensation » , un des disques les plus complexes de Zappa, sorti un an avant ce concert.
A ce titre, si un live mérite d’être qualifié d’œuvre majeur, celui-ci ne peut être rayé de la liste. Et, quand le maître de cérémonie lâche sa baguette, pour poser son solo sur le Doo Woop délirant «The Illinois Ennema Bandit » c’est le rock qui se voit transformer. L’affaire ce clos sur « The Purple Lagoon » , superbe pièce montée de 17 minutes , et permet à Zappa de retrouver sa place de plus grand (et seul ? ) compositeur rock de tous les temps.
L’objectif était claire : Créer une œuvre ambitieuse en direct, tout en gardant l’excitation d’une prestation live. Et cet objectif était clairement tenue. Mais , sachant que Zappa avait une capacité fascinante à réinventer son répertoire au fil de ses concerts, on ne peut s’empêcher d’aborder la suite de ses séances , qui sont dévoilées pour la première fois dans ce coffret , avec une réel impatience. Et qui démarre par un second disque plus « accessible ».
On a ainsi droit à « Peaches and Regalia » , titre jazzy honteusement oublié lors du live au Roxy et sans doute choisi pour son solo de guitare hallucinant. On se régalera aussi du blues « The Torture Never Stop », une perle issue du trop sous estimé « Zoot Allure ». Cette dernière permet aussi au percutions de marquer une pause, pour laisser le feeling bluesy du titre s’exprimer, ce qui constitue une respiration appréciable avant le déluge que constitue « The Black Page ». Et la respiration est de taille, 11 minutes de jams bluesy absolument lumineuses, qui constitue un des moments les plus remarquables des plus de trois heures de musique présentées dans ce coffret.
Et voilà pourquoi ce coffret est indispensable à tous Zappaphile , il montre toute la créativité du maître , à une époque où il est encore au sommet de son art. Il était difficile de donner une autre dimension à un disque aussi indispensable que « live in New York », ce coffret y parvient magnifiquement, alternant les petite vignettes musicales, les morceaux de bravoures virtuoses , dont un « Black Napkin » nous offrant près d’une demie heure de folie percurssive, et les respirations bluesy ou jazzy.
Il y aura clairement un avant et un après ce concert historique, comme si Zappa avait tout donné lors de 20 années folles. On pourra bien sure encore saluer Joe’s Garage et Sheik Yerbouti , dernier disques cultes d’un génie condamné à finir sa carrière dans un relatif anonymat, mais ces disques montraient un artiste désormais soumis au tendance de son époque.
Il se rattrapera plus tard, composant encore quelques folles pièces musicales, mais aucune ne deviendra aussi culte que ce live, et les disques qui l’ont précédé. Ce coffret est donc un document aussi essentiel que jouissif. C’est aussi la preuve que, plus que les moyens mis en œuvre, seule la créativité compte. Le rock n’a jamais eu comme ambition d’être respecté, célébré, ou de passer à la postérité et des artistes comme Zappa sont encore écoutés religieusement, c’est justement parce que leurs créativités les plaçaient au-dessus des calculs mesquins du show business.