Je débuterai cette essoufflante chronique de spectacle par une histoire des plus personnelles, et pas aussi brèves que je ne l’aurais espérée. Nous sommes quelque part en 1998. J’ai 14 ans, j’habite à Laval, et je commence à m’intéresser à la musique plus sérieusement. Je suis membre de la Maison Columbia, ce club «sélecte» où tu peux te commander du divertissement par la poste. J’y dépense ma maigre allocation en disques compacts en me fiant à rien de plus qu’aux descriptions de trois lignes qui servent à vendre les produits. Sans savoir si j’apprécierai, je commande chaque mois des nouveautés ou des classiques pour renchérir ma collection en devenir. Que pour la découverte. Rappelons aux plus jeunes lecteurs qu’au tournant du millénaire l’Internet se faisait encore rare. Les possibilités qui s’offraient aux mélomanes pour découvrir des artistes se résumaient à acheter des albums, à écouter Musique Plus ou les radios universitaires, à lire le journal Voir ou à aller voir des spectacles.
Le premier album de Finger Eleven intitulé Tip fait son apparition dans les nouveautés de Maison Columbia ce mois-là. L’album prendra une 15aine de jours ouvrables avant de parvenir jusqu’à moi. Ce fut, dès la première écoute, une révélation, une fascination, presque aussi importante que Nevermind, Ten ou Dirt.
J’ai usé à la corde l’album du groupe de Burlington, Ontario à essayer de répliquer les rythmiques de batterie et à mémoriser les textes d’une manière un peu maladive.
Le groupe lance 3 ans plus tard The Greyest of Blue Skies, leur deuxième opus que je considère encore aujourd’hui comme un peu inégal mais qui comporte les meilleurs morceaux de la carrière du quintette, entre autres First Time et Drag you Down.
Je n’ai alors que 16 ans lorsque le journal Voir m’annonce que Finger Eleven sera de passages aux Foufounes Électriques. Le bruit qui court à notre polyvalente à cette période c’est que sans fausse carte, tu ne rentres pas aux Foufs. Bien trop peureux pour ça, je débarque tout de même aux Foufs ce soir-là, avec un ami, en espérant un miracle.
Nous tenant un peu à l’écart pour ne pas attirer l’attention, on observe le portier demander les cartes d’identité de tous ceux en lignes qui attendent de pouvoir entrer. Le désespoir nous envahit, on juge nos chances de voir notre groupe préféré à ce moment-là de moins de zéro. Mais la patience est l’adage des sages. Alors que la file d’attente se termine, le portier a besoin de pisser. Nous suivions ses pas s’éloigner alors que les nôtres s’approchaient précisément à la même vitesse. On a saisi le moment comme Eve qui croque dans la pomme. On s’est faufilé, on s’est éloigné, on a tenté de se cacher. On a hésité à savoir si on devait se commander une bière pour mieux nous fondre dans la masse. On s’est ravisé se disant qu’on pourrait toujours nous demander nos cartes au bar alors que nous étions si près du but. On s’est englouti un moment dans les chiottes, juste pour laisser redescendre la tension.
Ce spectacle résonne encore dans ma tête comme un des concerts le plus intense auquel j’ai assisté. Leur musique était plus complexe que tous les groupes rock-alternatif de l’époque. Elle était aussi, par moments, bien plus agressive se rapprochant dangereusement du son Nu-Metal qui commençait à sérieusement envahir les ondes radiophoniques et les palmarès de vente au début du millénaire.
J’ai vu Finger Eleven à une quinzaine d’occasions depuis ce jour. Des Club Soda à guichets fermés, un Spectrum à moitié-vide, Woodstock en Beauce, le Festivent de Lévis, en extérieur en plein centre-ville de Montréal. Le spectacle de jeudi dernier au Café Campus était annoncé comme une soirée des plus grands succès et ce fût le cas. La grande majorité des morceaux interprétés provenaient des deux premiers albums du groupe. C’est avec First Time que F11 débuta ce concert parfait qui n’a jamais eu un seul moment de faiblesse. Même si l’apport du batteur Rich Beddoe en était pour beaucoup dans l’originalité du son du groupe, son départ en 2014 n’aura en rien ralenti la quête des Finger Eleven vers le «riff» absolu ou la «groove» ultime. Leur tentative de devenir un groupe d’aréna clairement identifiable dès leur quatrième album aura été infructueuse, leurs fans préférant de loin les pièces plus obscures du répertoire et c’en était aisément palpable dans ce Café Campus comble. La pièce Sick of it all n’avait pas été joué en spectacle depuis 20 ans. Si on divise en deux la carrière de Finger Eleven, c’est à peine deux chansons de la deuxième moitié qui fut interprétées soit Paralyzer et Together Right, tout le reste provenait de la première moitié, à l’exception de la sublime reprise de Pink Floyd Welcome to the Machine.
Le groupe avait lancé un E.P. enregistré en spectacle au Café Campus au tournant de 98 ou 99. Près de 25 ans plus tard, après avoir joué sur d’immenses scènes et avec des groupes de renom, F11 se retrouvent à nouveau à la case départ. J’entends de loin leur déception, mais entendent-ils notre «enfin!»?