Suite au succès d’Entre-deux (2021), lauréat de nombreux prix, dont la tournée de spectacle s’est étirée sur plus de trois ans entre le Québec, l’Europe et le Canada, le Fransaskois Étienne Fletcher lance son second opus Kauai O’o le 7 mars 2024.
Intitulé au nom d’une espèce d’oiseau d’Hawaï, éteinte depuis une trentaine d’années, l’auteur-compositeur-interprète s’inspire de son triste sort comme métaphore éclairante qui reflète les réalités auxquelles sont confrontées les minorités linguistiques et culturelles. Ces enjeux existentiels touchent sa propre communauté francophone en Saskatchewan et ce fil conducteur l’habite au-delà de son œuvre. Comme reconnu, Fletcher vole au vent du folk-rock alternatif à travers ses sept nouveaux titres, tous coréalisés avec Madison Nicol et enregistrés au Bad Apple Studios à Régina.
L’artiste opte pour un ton revendicateur aussi inédit que surprenant sur Poètes où il chante sa déception face à la classe politique en préférant l’art comme vecteur d’espoir pour l’avenir. Cette déclaration franche et assumée mérite d’être saluée. Il ose l’optique de la conscientisation sans chercher à donner de leçon, en l’accompagnant d’une mélodie mémorable et dynamique. Bilingue, le Fransaskois se démarque sur Precious Company, la seule de langue anglaise, dans laquelle on le sent pleinement dans son élément. On y retrouve une progression en crescendo et des harmonies vocales, tous soutenus notamment par le guitariste Sean McCannell et le bassiste Neil Robinson, fidèles acolytes, ainsi que son batteur de tournée Mat Vezio.
Comment élaborer un concept d’album aussi fort que la survie d’une culture sans symbole politique? La pièce instrumentale Berceuse pour Riel parle d’elle-même, grâce à sa légèreté et ses arrangements soignés, texturés d’échantillonnages de voix d’enfants et des chœurs de Fletcher. Si Kauai O’o repose sur une ambiance posée aux sujets réflexifs, le rock se manifeste sur Pas le temps, une pièce joyeuse et décontractée. La chanson-titre, au texte coécrit avec Daniel Beaumont, termine le court album de façon poignante : on y entend le chant de l’espèce disparue dont l’usage de cet échantillon peut s’interpréter comme un puissant symbole de résilience.
« Une vie entière à la quête d’un sens
Les feuilles qui tombent
Sans qu’on remarque leur danse
Silence
Jour et nuit plus haut
Jour et nuit écho »
–Kauai O’o
À partir d’une idée conductrice ambitieuse aux multiples possibilités, Étienne Fletcher présente un nouvel album tout en nuance, mais moins uniforme et défini que son prédécesseur. Toutefois, ses moments forts confirment que Kauai O’o gagne en écoute. L’auteur-compositeur-interprète garde cette volonté de solidarité et d’un meilleur vivre-ensemble à travers son art. Il nous en convainc tel un chant de l’Ouest canadien qui brandit au loin ses couleurs distinctives. Étienne Fletcher demeure un ambassadeur de la chanson fransaskoise au sein d’une francophonie qui a besoin plus que jamais d’unicité dans sa diversité culturelle.
