Onze ans après la parution de l’unique album, jusqu’à présent, de Forêt, son duo avec le guitariste émérite Joseph Marchand, l’auteure-compositrice-interprète Émilie Laforest dévoilait le 9 février dernier sa première œuvre solo intitulée Mea silva (du latin Ma forêt). Reconnue de ses pairs et pleinement investie à l’arrière-scène québécoise depuis près de dix ans, elle ose à nouveau franchir le rideau avec ses créations.
Les secondes qui inaugurent le bal nous transportent dans un univers électroacoustique aux allures progressives et contemporaines, ligne directrice des huit pièces francophones. L’artiste multidisciplinaire chapeaute la co-réalisation avec le pianiste et compositeur de trames sonores Mathieu Charbonneau, aussi membre de la formation folk Avec pas d’casque. D’emblée, on se laisse tenter par l’énigmatique pièce d’ouverture Un puits très profond. Déjà, le ton est révélé par les arrangements organiques et synthétiques, croisant l’art-pop et le post-punk par ses instruments à cordes et de la batterie, entre autres. Ces procédés artistiques sont palpables et atteignent des sommets tout particulièrement dans le morceau de six minutes Mon Loulou.
Formée en chant classique, la chanteuse nous charme par le lyrisme de sa voix cristalline, où la délicatesse règne, qui s’illustre notamment dans l’avant-dernière piste Tous les jours se meurent pour la première fois. Nos oreilles sont conduites vers des sonorités baroques avec la présence de Pierre-Yves Martel à la viole de gambe, comme dans l’hypnotique pièce Me souvenir. L’instrumentiste renommé en musique ancienne rend hommage à l’époque médiévale tout comme le musicien Alexandre Tharaud au piano baroque sur La malheureuse. L’interprète signe ici la totalité des musiques et des textes, excepté l’emprunt de quatre vers à la poète innue Joséphine Bacon sur Toundra (Mushuat). Par ses thèmes et ses mots, on perçoit des chansons à forte résonance poétique, et en toute subtilité, conçues par le ressenti et l’introspection.
Comme premier album solo, ce que nous offre Émilie Laforest, par sa pop expérimentale à la fois concise, mesurée et originale, démontre qu’elle n’a rien d’une première venue. Mea silva est une œuvre entière qui dégage une grande profondeur grâce à ses influences d’horizons divers et à sa théâtralité au large potentiel scénique. Une artiste inclassable, dira-t-on.