Avec sa programmation d’une très belle richesse, d’une formidable diversité, la onzième édition du festival offrait d’écouter la Suisse en format jazz, pop, hip-hop, folk et naturellement rock pour notre plus grand plaisir. Dans un dédale de lieu et de genre, la soirée du dimanche aux Docks était l’un des temps fort pour notre magazine.
Ce moment passé du côté de Sévelin, était construit autour d’une ascendante progression électrique amenant de la douce ondulation à la décharge sous très haute tension, sans oublier d’en passer par le courant alternatif.
La douceur initiale était donc bien une manière fort agréable de se faire happer à l’intérieur, alors que la bise fraîchissante accompagnait les spectateurs jusqu’à la salle. Baignée d’une lumière chaude, la soul d’Olympic Antigua vous attrapait d’entrée par ses chœurs radieux, ses guitares rondes et ses claviers chaloupés. Et une fois le corps enfin revenu à une température agréable, les rythmiques classieuses du combo lémano-valaisan pouvaient commencer peu à peu à remonter le long de l’échine, allumant un après un les sens, dérouillant les articulations. Avec ce petit quelque chose bien senti d’influences Stax et Motown, le groupe maîtrise la variation des instrumentations, joue avec le croisement des voix de Tiziano Zandonella et d’Igor Métrailler, enlumine ses compositions par la juxtaposition de leur timbres cuivrés et aériens. Basse, guitare, saxophone ou claviers changeant de mains au fil des titres, le quintet a habité la scène en souplesse, trouvant même le bon équilibre pour dynamiser sa prestation en alternant sonorités brillantes avec des structures plus granuleuses et dynamiques, juste au moment où une certaine monotonie rythmique aurait pu s’installer.
A peine la douce moiteur dissipée, il n’a fallu qu’une seule mesure pour que la pétulante Gini Jungi, les yeux roulant comme des billes, agrippe l’audience et impose, de sa voix rêche et pointue, le rock salement grunge de son combo Annie Taylor. Les riffs du quartet zurichois grognent, la batterie bétonne un rempart imposant. Pourtant rien de tout cela ne serait possible sans une véritable tour de contrôle, la basse, qui trône au centre de la musique. Précision, mais aussi équilibre astucieux entre ligne droite et détours mélodiques, elle offre une assise solide à la musique. Plus la prestation avançait plus la formation a choisi d’étirer les lignes de son rock, d’une touche pop parfois, de stries rythmiques cassées à d’autres moments. Et la chanteuse de venir au milieu du public pour en prendre le pouls, pour un moment de partage. Un peu de psychédélisme, une large rasade de poussière, rarement le combo n’a levé le pied. Chez Annie Taylor même les chansons d’amour se jouent à cent à l’heure. La température était encore montée d’un cran, l’électricité avait pris le pas sur la douceur.
Et c’est sous un roulement de batterie lourd, libérant d’un coup l’énergie du tout frais « Bandwagoning » issu de leur futur album, que Coilguns pouvait lancer son onde dévastatrice sur le public. Louis Jucker, le regard plongé dans le public, avait lui aussi déjà laissé son corps vibrer sous les pulsions de leur musique et sa voix habiter l’espace. Avec les Chaux-de-Fonniers le déluge est toujours rythmique, la batterie lourde et hypersonique, les guitares enflammées et la basse tendue vers l’avant. Pourtant en proposant pour moitié une prestation construite autour de l’album « Odd Love » à sortir le 22 novembre, le set a pris des allures d’exploration miraculeuse et donné l’occasion de sentir un groupe qui a encore gagné en densité, en mélodicité. Dans le sillage des bravades façon « Watchwinders » les musiciens pouvaient alors lancer sans frémir la ligne tortueuse de « Generic Skincare » ou plus tard la longue et sublime intro ombrageuse de « Featherweight » tout en donnant à son public l’énergie qu’il était venu chercher et qu’il était prêt à lui rendre. Nudité mélodique et chœurs lumineux pour autant de déferlement métallique, Coilguns a offert une prestation de très haute tenue, gorgée invariablement d’un vibrant message de partage et de fraternité, que Jucker est venu distiller les bras grand ouverts au centre de la salle. Et ce qui est fantastique avec ce groupe, c’est que quand bien même on a l’assurance de se prendre une claque, de se faire maltraiter le palpitant, à la fin on en ressort toujours avec la banane, conquis de plaisir.
Texte : Yves Peyrollaz
Photos : Alex Pradervand & Yvey Peyrollaz