«Malheureusement, je pense que le hard rock est arrivé à sa fin»
Ce jeudi soir, sur la «Main Stage» du Summerside Festival à Granges, Deep Purple viendra défendre son vingt-troisième album au titre énigmatique («=1»). En gentleman qu’il est, l’homme derrière l’orgue Hammond a levé un coin du voile sur les techniques d’enregistrement d’un groupe qui a contribué à cimenter les fondations du hard rock depuis 1968.
Lequel d’entre vous a-t-il émis en premier l’idée d’enregistrer un vingt-troisième album?
Don Airey: Lorsque Simon (ndlr: McBride, guitariste) a intégré Deep Purple pour remplacer Steve (ndlr: Morse, guitariste de 1994 à 2022), qui s’est retiré du groupe il y a deux ans pour s’occuper de son épouse qui était très malade, cela s’est si bien passé que nous nous sommes dit que nous devrions enregistrer un autre album. C’était l’esprit du moment. Au final, tout s’est enchaîné très rapidement, si bien qu’il s’agit de l’un des projets les plus expéditifs auxquels j’ai participé.
Êtes-vous entrés en studio avec des idées préconçues?
Tout ce qu’il nous faut pour entrer en studio, c’est un premier titre en chantier. Puis, chaque jour, nous travaillons sur trois morceaux: un titre doit être finalisé en fin de journée et un second doit être à moitié terminé. Quant au troisième, il doit en être au stade d’ébauche. Le second jour en studio, nous finalisons le second morceau et nous assurons que le troisième titre est à moitié terminé. Et ainsi de suite. C’est de cette manière que nous travaillons. Nous nous donnons les moyens de réfléchir sans nous mettre de pression.
Qu’est-ce qui vous vient en général en premier: le riff, la mélodie, la ligne vocale?
Dans le heavy rock que nous produisons, la mélodie vient en dernier. Tout débute par un riff de guitare. Puis nous construisons la structure du morceau et y ajoutons les solos. Pauvre Gillan, il doit alors faire une chanson de tout ça! C’est un travail dur. À la fin d’une telle journée, lorsque nous retournons à l’hôtel, nous sommes fatigués. Chaque jour, la concentration doit être totale. Beaucoup de gens pensent que nous menons une vie sauvage, mais ce n’est pas le cas.
Dans le clip vidéo de «Pictures of you», on y voit un groupe en studio, debout, en cercle, où chacun se regarde en jouant. L’enregistrement de «=1» s’est-il déroulé ainsi?
Absolument, nous étions tous ensemble dans la même pièce. Chacun pouvait voir l’autre. C’est notre secret. Mais nous travaillions déjà de la sorte lorsque Steve était avec nous, ce n’est pas nouveau. La concentration, c’est la clé. Rester conscient, écouter, être ensemble. C’est ça la musique, en fait. Chacun d’entre nous donne le meilleur de lui-même et capte le regard des autres. Rien ne vient facilement.
Cela contraste avec de nombreux groupes dont les membres ne se rencontrent même pas pour enregistrer, mais s’envoient mutuellement des fichiers.
L’ambiance d’un studio est très importante pour nous, nous sommes sensibles à l’atmosphère d’une pièce. La musique ne se doit pas seulement d’avoir été enregistrée sur un support, elle doit être un espace de vie et de respiration. Les disques des années 70, qui étaient enregistrés sur bande, étaient conçus dans de très grandes pièces, ce qui conférait à la musique un son particulier.
Deep Purple continue de publier des albums sur une base régulière, au contraire d’autres groupes légendaires qui n’enregistrent plus rien de nouveau ou alors de façon épisodique, et ce pour des raisons financières. Est-ce une preuve que votre passion est toujours intacts?
Nous faisons partie du music business. C’est tout simple, ce nous faisons est constitué de 50% de musique et de 50% de business. Nous nous occupons de la musique, mais le côté business est très important aussi. Sans business, la musique ne pourrait pas exister. Ni Bach, ni Mozart ni Chopin n’ont jamais écrit uniquement pour le plaisir. Ils composaient pour des occasions particulières ou sur demande. J’aime cette histoire à propos des Beatles: John et Paul ont écrit à peu près 300 chansons avant d’avoir un contrat discographique. Sur ces 300 chansons, savez-vous combien ont fini sur leur premier album? Deux. Une fois leur contrat en poche, ils sont allés en studio pour enregistrer du nouveau matériel. Il leur fallait de la fraîcheur, de la nouveauté.
Les deux premiers extraits de votre nouvel album possèdent une forte dimension mélodique. Était-ce prémédité?
Non, ces mélodies nous ont été inspirées en plein enregistrement. Après l’enregistrement de «Pictures of you», nous sommes allés boire un café avec toute notre équipe. Tout le monde nous a dit alors: «Ce riff est extraordinaire!» Nous avons hésité à appeler ce morceau «The roadie riff» (rire).
Votre album précédent était une collection de reprises. Rendre hommage à vos principales influences a-t-il eu un impact sur la façon dont vous avez appréhendé «=1»?
Pas du tout. Lorsque nous avons enregistré ces reprises, nous étions un groupe différent. Pour celui-ci, nous nous sommes donné comme unique consigne de composer quelques riffs lourds, de nous regrouper autour d’un son compact. Bob Ezrin (ndlr: qui a produit leurs quatre derniers albums) a joué un rôle majeur dans notre démarche.
Considérez-vous Bob Ezrin comme le sixième membre du groupe?
Il y a un sixième membre au sein de Deep Purple, mais ce n’est certainement pas Bob. C’est une sorte d’esprit étrange qui semble toujours avoir été présent. Bob est un producteur qui sait exactement ce qu’il fait avec nous. S’il était membre du groupe, nous n’arriverions pas au même résultat. Il nous guide dans la bonne direction. Il n’apprécierait pas d’être considéré comme le sixième membre du groupe. Il est très fier d’être notre producteur, comme nous sommes fiers de travailler avec lui. C’est un homme de très agréable compagnie, mais il est très exigeant: c’est parfois difficile de collaborer avec lui. Mais nous apprenons beaucoup de lui.
De nos jours, peu de groupes rock – comme les Stones, ZZ Top, Scorpions ou Status Quo – peuvent se vanter d’avoir une carrière ininterrompue s’étalant sur cinq décennies. Deep Purple est actif depuis 56 ans: quel est le secret d’une telle longévité?
Continuer d’enregistrer des albums et de tourner. C’est aussi simple que ça. Si les gens apprécient notre musique, ils nous permettent de continuer. Sinon, tout finit par disparaître. Comme je le disais tout à l’heure, c’est un business. Lorsque nous avons débuté, nous nous sommes considérés comme des footballeurs en pensant qu’arrivés à l’âge de trente ans, notre carrière serait terminée. Mais nous ne sommes pas des footballeurs et nous pourrions continuer à jouer jusqu’à l’âge de nonante ans. On dit que Vladimir Horowitz, le pianiste russe, a atteint le sommet de son art à 80 ans. Les concerts qu’il a donnés entre 80 et 85 ans ont été les meilleurs de toute sa vie. Mais je ne peux pas dire s’il en est de même pour nous.
Vous faites partie des derniers grands groupes de hard rock.
Comment voyez-vous l’avenir du genre, alors que les derniers grands représentants du genre ont cessé leur activité ou sont sur le point de le faire?
Je pense que, malheureusement, ce genre est arrivé à sa fin. À l’époque, tout le monde pensait que le jazz des big bands allait durer éternellement. Personne ne se doutait que Chuck Berry et Little Richard allaient inventer un nouveau style de musique qui y mettrait fin. Je ne pense pas que le hard rock perdure pour toujours. Peut-être aussi parce que c’est un genre de musique difficile à jouer. Tout le monde pense que c’est facile, mais ça ne l’est pas. Je découvre toujours moins de groupes qui sont bons. Je suis toujours prêt à écouter un bon groupe, mais malheureusement c’est de moins en moins le cas.
Deep Purple, «=1», earMUSIC / Phonag Records