Woodstock, terre promise que tous rockers aimeraient fouler une seconde fois, sensation grandiose que les survivants de l’époque aimeraient revivre, et que leurs enfants aimeraient découvrir. Mais le moule est cassé, l’utopie brisée, et l’ogre capitaliste a aujourd’hui dévoré les moyens qui permettraient de revivre une telle communion spontanée.
Si un tel événement devait avoir lieu de nos jours, il faudrait le déclarer deux semaines avant, prévoir tout le confort indispensable au nouvel homme infantilisé, sans compter qu’on ne serait pas près de trouver un autre Max Yasgur, pour louer son terrain à une bande de dangereux utopistes.
Voilà ce qui fascine dans Woodstoock , ce grand bazard à peine organisé , cette amateurisme de gérant qui ont dû dompter une foule de 500 000 personnes, alors qu’ils n’en attendaient que dix fois moins. Névrotiques et consuméristes, nos générations ont ruiné toutes tentatives de résurrection du festival, qui furent le théâtre de viols ou tout simplement annulés à causes du désistement d’actionnaires frileux.
« The dream is over !» mais la machine à cash tourne à pleins tubes, exhumant des prestations inédites, et des coffrets onéreux, dont le contenu n’est qu’à moitié marquant. Janis et Hendrix n’étaient pas au mieux de leurs formes , les Who ne furent pas meilleurs qu’à Hull , et le Gratefull Dead défoncé endormit une foule déjà fatiguée par des conditions de campement rudes.
C’est d’ailleurs aussi pour cela que, alors qu’il signa le premier pour ce grand concert gratuit, Creedence refusera pendant des années de laisser sortir l’enregistrement de sa performance. Comme le band, qui fut lui aussi lumineux, le groupe s’en mordra les doigts pendant des années. Privé de ce témoignage, l’image du gang de John Fogherty n’a pas autant marqué les esprit que Janis , dont la performance fut pourtant moyenne.
Woodstoock était le Mont Rushmore du rock , l’endroit où il fallait imposer son visage pour être reconnu par la postérité. Rincé par la pluie, endormi le dead , le public imposait à Creedence un défi taillé pour lui , rallumer la flamme vacillante du rock. Ame du Bayou , partisan d’un rock sec joué pied au plancher , Creedence lance sa prestation avec un « Born On The Bayou » rugueux et énergique.
Lentement , la foule prête à partir tend l’oreille , les progressiste freaks redécouvrent le plaisir de ce rock de pierrafeux , de ces mélodies qui ont la simplicité des vieilles ritournelles pops. La force de Creedence réside dans le fait qu’il joue comme si le rock était né la veille, ses musiciens semblant inventer une version rock de « la guerre du feux ».
Le feu en question est cette simplicité viscérale, cette force vitale d’autant plus libératrice qu’elle va droit au but, en un mot c’est cette vision du rock si bien résumé par Chuck Berry : « apocalapoboumboum ! ». la seule coquetterie que Creedence s’autorise ce soir-là , c’est les chœurs de « The Night Time Is Right Time », le titre gardant cette rythmique lancée comme une locomotive en folie sur les rails désertés du rock basic.
La bataille est rude, le groupe balançant coup sur coup « Born On The Bayou » , « Green Giver » et « Bad Moon Rising » devant un public de zombies. La musique donne vraiment l’impression que nos héros frottent le silex de toutes leurs forces, les étincelles allumant quelques flammèches sans raviver le brasier humain auquel ont eu droit country Joe ou Johnny Winter.
Puis , après « Proud Mary » , c’est l’explosion , les hippies ressuscitant pour saluer la bravoure de ces forçats. Le reste n’est qu’une pure célébration, le groupe s’étirant sur quelques minutes orgiaques lors d’un « Keep On Chooglin » hallucinant. Ce sacrifiant au rituel de la longue divagation instrumentale, Creedence ne va pas pour autant se perdre dans des solos nombrilistes. Plus soudé que jamais, le groupe martèle un rythme binaire, qui semble au contraire devenir de plus en plus primitifs, la rythmique ramenant le groupe à l’âge de pierre.
Et que dire de « Suzie Q » ? A part que le gang de John Fogherty est le seul capable de jouer un rythme pareil sans avoir l’air de réciter son Chuck Berry. Et, au milieu de tout cela, il y a bien sûr le blues chauffer à blanc de « I Put A Spell On You » , oú le groupe semble peindre la Louisiane à coups de riffs langoureux.
Mais voilà , John Fogherty ne supportait pas cette première partie , où le public manquait de ferveur. Il aura donc fallut attendre cinquante ans pour découvrir que, ce soir-là , son groupe fut le vrai héros de woodstock.