– Que voyez vous ?
– Une tâche !
Le psychologue regarde son patient avec une mine dépitée, il n’a jamais vu quelqu’un lui résister. Les psychologues font partie des curés modernes, leur bénédiction est vivement recherchée par une nuée de mouton, dont la plus grande peur est de s’éloigner du troupeau.
– Faite un effort !
– Bon OK . C’est une tache noire !
N’y tenant plus, le psychologue range nerveusement la feuille dans son bureau, et annonce le prix de son épreuve.
– Ça fera 40 euros
– Et ben mon cochon ! 40 balles pour 15 minutes d’interrogatoire stérile ! Heureusement que t’es pas devenu flic !
Le psy ne bronche pas face à ce sarcasme, le client est roi, et énerver le vendeur de camelote est son droit le plus strict. Après ces séances , notre ami s’arrête chez le disquaire où il a ses habitudes, mais il ne restera pas des heures.
C’est que le dernier Blues Pills est sorti, et l’impatience de le découvrir l’emporte vite sur le peu de vie social qui lui reste. Le premier album du groupe était moyen, un sous Led Zeppelin honorable sans être transcendant. Puis vint Lady In Gold , disque magnifique d’un groupe qui sortait enfin du rang.
Fini les croassements puériles du premier essai, le groupe avait atteint une maturité rare à notre époque. Les mélodies étaient plus légères ,le silence augmentait le tranchant de riffs délicieusement psychédéliques. Planant au-dessus de cette mêlée virtuose avec la grâce d’une déesse suédoise, Eline Larson explorait des sommets laissés vierges depuis le trépas de Janis Joplin.
Alors il court vers sa chaine, laisse le lecteur engloutir la récompense de son dur labeur … Et manque de recracher le panaché grenadine tout frais qu’il venait de se servir. Pride Woman ouvre le bal sur un discours pompeux, comme pour donner plus de consistance à un texte d’une lourdeur indigeste. Ok, les textes n’ont jamais été le point fort du rock, mais là on est au moins à 10 sur l’échelle d’Angus Young. Et encore, les chanteurs d’ACDC ont toujours pondu des textes stupides, mais ils collaient au rythme.
Le fan de rock est un être primaire, tu peux lui chanter la digue du cul ou la danse des canards, mais arrange-toi pour caller un bon rythme dessus. Hors, là, la chanteuse s’égosille au milieu d’un glaviot informe, un monolithe boueux et irritant. Le batteur a confondu sa batterie avec une enclume, il cogne comme un CRS un soir de manif. D’ailleurs, au bout d’un certain temps, on a presque l’impression que c’est notre tête qu’il pilonne ce bourrin.
Placé en avant au milieu de ce désastre , le guitariste est comme le joueur de violon sur le Titanic. Il essaie bien de donner un peu de charme à ce désastre gluant, mais il évoque plus qu’il ne se distingue. On pense parfois vaguement à Rivals Sons, sans retrouver le groove du groupe de Scott Holiday.
Et c’est bien là que se situe le problème. Blues Pills a créé un miroir sonore, une musique si lisse, que chacun vient y calquer ses marottes. Ils seront encore nombreux les « rock critics » , intelligentsia pompeuses imbus du privilège de vivre de sa plume, à se palucher sur ces sons vaguements Joplinesques , cette parodie de groove vaguement Pagien.
Ça ne va pas rater ! Vous allez en manger sur des pages et des pages de leurs raccourcis rapides, leurs nostalgie mal placée et obsessionnelle, et leurs références réchauffées jusqu’à la nausée. Je les entends d’ici : « Le rock est mort ! Mais des petits jeunots bien respectueux viennent honorer son cadavre fumant ! ».
Tu parles ! Et pendant ce temps BB Smoke va faire rêver les américains, les derniers à garder des rock critics dignes de ce nom. « Holy holy » est une tâche d’encre musicale, un truc sur lequel chacun peut plaquer ses obsessions bien à l’aise , remplir le vide abyssal de son brouhaha avec ses fantasmes de retour de « citez un nom de vieillard disparu trop tôt ».
Moi, j’y suis pour rien, quand je regarde une tâche je ne vois que ça. Je dois avoir un truc qui ne s’est pas réveillé au niveau de l’imagination. Mais aucun artiste foireux ne me fera rêver avec ses délires difformes et lisses comme un pare choc de twingo.