30 ans. Déjà trois décennies que les Nancéiens de BLOCKHEADS se déchaînent sur scène et plongent à pieds joints dans les foules pour diffuser sauvagement leur message d’amour. Maître incontesté et incontestable du grindcore français, apprécié pour la simplicité des membres, le groupe retourne tout sur son passage. Après les avoir accueillis en 2022 pour le Brutal Festival à l’Usine, aux côtés de Karras – leurs compagnons de route et amis de longue date, Daily Rock a passé un moment avec Xav et Fred au coin presse du Sylak 2023. Retour en 1993 pour mieux comprendre la version 2023 de BLOCKHEADS.
Nous sommes en 1993. Vous venez de sortir votre première démo « Haaashaastaak ». De quoi rêvez-vous ?
Fred : Faire des concerts !
Xav : Déjà, c’est improbable d’avoir enregistré cette première démo. Passer de la cave à la cassette est un rêve de gamin.
Fred : J’en ai un peu honte quand même, tellement ce n’était pas pro ! Mais, on sort cette démo et on la balance un peu partout. On faisait tous du « tape trading » pour se faire connaître.
Xav : Tous les groupes comme Napalm Death ou ceux de notre région nous faisaient rêver. On voulait faire pareil ! Grâce à cette démo, un jour, chez mes parents, mon père décroche le téléphone fixe : « Bonjour, est-ce qu’on pourrait parler à Xav ?… On vous a programmés pour jouer avec Carcass ». En janvier 94, on jouera avec eux, chez nous, à Nancy. Notre troisième concert. C’est quelque chose qui restera gravé à vie.
Il faut savoir que, dans BLOCKHEADS, on est potes depuis le lycée. Depuis gamin, je suis mordu de sports de glisse et j’avais une planche de skate de la marque « Blockhead », au singulier.
Fred : On s’est dit « vas-y, on ajoute un « s » puis on fait un groupe de grind » ! (rires)
Xav : Tout est parti de là. Suicidal Tendencies avait commencé à faire des clips avec des extraits vidéo de mecs qui font du skate, et toute cette scène grind de Birmingham commençait à arriver. Il y avait aussi Black Flag. D’entrée de jeu, on s’est dit « c’est ce qu’on veut faire », avec toutes ces formations qui puisent leurs racines dans le punk et le hardcore.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Fred : Earache Records. Carcass, Napalm Death, Godflesh, Disrupt, Brutal Truth…
Xav: L’apogée de ce label nous a inspirés. Qu’il s’agisse de l’attitude, de l’approche, des paroles ou des valeurs.
Fred : Le fait de rapprocher le punk hardcore au metal était intéressant, car le metal me faisait vite chier. Nous on voulait gueuler mais pour de vrai, avec un vrai discours, car on y croit.
Justement, quelles sont les valeurs de BLOCKHEADS ?
Xav : À ce moment-là, on est insouciant et immature, mais tout de même très intéressé, comme ces groupes, pour défendre des idées.
Fred : Assez vite, on réussit à sortir de la Lorraine. On joue en Allemagne et en Belgique et on croise des gens aux idées alternatives.
Xav : On a été directement parachuté dans cette scène alternative – avec des personnes engagées, et pas metal. Les fanzines commençaient à nous interviewer et à mêler politique et mouvements sociaux. Mais avec BLOCKHEADS, on ne s’est jamais imposé de limites. Donc on peut tout à fait jouer sur des plateaux underground ou dans des festivals metal. À l’époque du FuryFest, on s’est retrouvé entre Madball et Sick of It All, par exemple.
Quelles sont les craintes de BLOCKHEADS et les obstacles que vous rencontrez ?
Fred : Les craintes étaient justement les obstacles. Le groupe a failli mourir en 1996 car notre batteur est parti au Vietnam pendant deux ans et le deuxième guitariste est devenu intermittent du spectacle. De mon côté, je me suis chopé une hyperacousie. Donc Xavier a maintenu le bateau à flot. On était jeunes, on faisait un peu n’importe quoi et on ne portait pas de boules Quies…
Où est-ce que vous vous voyez dans 30 ans ?
Xav : Rien n’a jamais été calculé. Je pense que c’est ce qui reflète notre longévité.
Fred : Depuis nos débuts, on se retrouve quasiment tous les samedis après-midis à faire du grindcore, qui est une musique un peu débile quand même ! (rires) Mais j’aurais vraiment du mal à m’en passer…
Xav : C’est un peu comme aller à la salle de sport. Si on nous retire ça, on est boiteux. C’est la passion avant tout. Ça perdure même si on est éclaté géographiquement. Les concerts, être sur la route : c’est addictif.
Nous sommes désormais en 2023. Vos expériences de vie respectives ont forcément alimenté votre personnalité et enrichi votre vision du groupe. Est-ce que vous avez atteint vos objectifs et réalisé vos rêves ?
Fred : On n’avait pas vraiment d’objectifs. Mais le rêve, je dirais que c’est d’être le seul groupe français à avoir réussi à sortir un album chez Relapse.
Xav : Je parlerais plus de satisfaction, que de rêve. 30 ans sont passés et on existe toujours… Ça dépasse la musicalité. Il y a une vraie dimension familiale au sein de BLOCKHEADS, mais aussi amicale. On a tous des caractères différents, mais on est alignés pour avancer. C’est instinctif. C’est le plus beau des rêves. La satisfaction, c’est de se dire que de fil en aiguille on a avancé, qu’on appartient à une scène et que des anciens comme Napalm ont une reconnaissance pour ce qu’on fait !
Fred : Tu te rends compte ? On avait 17 ans, on écoutait leurs skeuds et les mecs ont maintenant des T-shirts BLOCKHEADS ! Nos idoles !
Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?
Xav : Internet est arrivé. Avant on était dans notre cave, et on pouvait se voir tous les week-ends. La réalité de la vie fait aussi qu’on ne peut plus se retrouver aussi souvent. Il faut se réadapter et rester intègre. On n’a pas changé notre façon d’être, mais notre façon de travailler.
De quoi BLOCKHEADS peut-il être satisfait aujourd’hui ?
Xav : De toutes ces personnes qui sont autour de nous.
Fred : Ma fille a aujourd’hui 20 ans. Quand elle en avait 16, elle gardait les enfants de l’autre guitariste. Tout est connecté, on est un vrai clan.
Xav : La mienne est chargée de production au Brise Glace, à Annecy. C’est elle qui a organisé l’an dernier le concert avec Nostromo et Karras. Je ne vais pas aller dire que la boucle est bouclée, mais presque ! BLOCKHEADS, c’est plein de ramifications, c’est une scène entière.
Que peut-on vous souhaiter pour dans 30 ans, en 2053 ?
Fred : Il n’y a aucune autre alternative. On continuera. S’il arrivait quelque chose à quelqu’un de la famille, ce serait vraiment dur. On est un crew et on se sent bien ensemble.
Xav : Live fast, and fuck off ! On ne se pose pas ces questions-là : on avance. [Floriane Piermay]
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