En ce dimanche matin, un jeune comme un autre se lève , l’œil torve et l’esprit encore embué par le sommeil. Dans la pièce , la chaine hifi paternelle envoie une musique qui le sort de sa torpeur, sans qu’il puisse dire pourquoi cette vieillerie à guitare lui fait tant d’effets . Son père court vert lui, il lui annonce que le disque est de Nick Granite, et qu’il était dans la salle le jour où ce compositeur jouait avec le grand Mike Bloomfield. D’habitude il aurait juste grogné, avant de rentrer dans sa chambre écouter le ronronnement des derniers tubes à la mode, mais cette musique lui plait.
Voyant l’intérêt de sa progéniture, le père lui donne l’adresse d’un disquaire venant d’ouvrir ses portes à quelques mètres , en espérant que le tôlier confirme ce goût naissant pour le blues. Il entre donc dans la boutique, où tout semble venu du siècle dernier, les meubles comme le vendeur, qui a pourtant l’air d’avoir garder un enthousiasme juvénile. Il se dirige donc vers lui et explique son dilemme, il a aimé un disque de Nick Gravenite, mais cherche quelque chose dans la même veine « joué par un artiste qui n’a pas l’âge de la retraite » . L’homme n’hésite pas une seconde, ce qu’il cherche, il le trouvera chez Joe Bonamassa ou Beth Hart. Il se dirige donc vers le rayon correspondant, et choisit le « Live In Amsterdam », un concert donné par les deux artistes.
A son tour , il prend possession de la platine paternelle, et ressent le même bonheur indescriptible. C’est pourtant la même musique vieillotte, alors il se demande comment un truc aussi rabâché peut avoir du sens aujourd’hui. Cette interrogation n’empêche pas le jeune homme d’écouter ce nouveau disque en boucle, si bien qu’il finit par se servir de ses dernières économies pour voir Beth Hart chanter au Royal Albert Hall. Dans le train le menant vers la grande Albion, il continue d’écouter son disque sans que son charme ne disparaisse, les tubes vite périmés qu’il s’enfilait avant semble déjà oubliés.
Arrivé à Londres, il découvre une ville dont les bombardements n’ont pas supprimé l’authenticité, certains quartiers ayant l’air rustique du village green chanté par les Kinks. Quand vient enfin l’heure du spectacle, il découvre un Royal Albert Hall à l’image de la capitale, partagé entre l’anachronisme rassurant d’un bâtiment en forme de dôme romain , et un light show majestueux. Sur le plafond , des alvéoles prennent la couleur d’un light show d’un mauve vaporeux , qui engendre des commentaires en Anglais , en français , en espagnole, signe d’une artiste à la notoriété mondiale.
Et puis le silence se fait lors de son entrée sur scène, la chanteuse détenant cette aura impressionnante, qui impose le respect par sa seule présence sur scène. Sans groupe , elle ouvre sa prestation par « As Long As I Have A Song » , un gospel qui cloue tout le monde sur son siège. Et puis le groupe entre dans la danse, et le riff zeppelinien de « For My Friend » se marie avec une voix grave à faire rougir Muddy Water. Ayant la lourde tâche de reprendre la place laissée vacante par un Bonamassa toujours partie dans de multiples projets, Jon Nichols développe un jeu bavard sans être excessif , aussi majestueux dans les riffs que dans les solos, un blues de music hall digne de Micke Bloomfield.
C’est encore plus flagrant sur « Lift You Up », un rock’n’roll plus posé où son touché soliste rayonne, avant de partir dans un break rythmique digne de John Lee Hooker. Sa chanteuse s’insère d’ailleurs dans ce traditionalisme blues , ponctuant le rythme d’onomatopées excentriques. Et puis on part dans l’autre grande invention de la musique noire, le jazz, les guitares tricotant une mélodie vaporeuse, sur un rythme aussi langoureux que la voix d’une Beth Hart sublimant une douceur réconfortante.
Alors , quand le groupe enchaîne sur le rytme country de « Bang Bang Boom Boom » , on passe de la tendresse chaleureuse des boites de jazz aux saloon imaginés par John Wayne. Et je ne parle par de ce piano irrésistible qui s’associe à une guitare mélodique pour évoquer les décors chers à Clin Eastwood, et Beth rehausse le tout avec l’insouciance d’une chanteuse de saloon.
La première partie de ce concert ne laissera pas beaucoup de répit à un public déjà séduit, « Good As It Gets » , « Spirit Of God » gardent cette énergie irrésistible , le groupe part sur un rythme boogie , parfois rehaussé par un piano déchaîné , sur lequelle la voix de Beth Hart décolle comme une ogive balancée à la figure du blues.
Et puis on entre dans la partie plus posée du concert, le piano tricote désormais des mélodies caressantes , et c’est plus que jamais la voix qui mène le bal. Sur « Badest Blues », elle fait monter la pression le temps de breaks en forme de complainte déchirante. Cette balade puissante marque la fin d’une partie de concert très rock, pour laisser Beth Hart reprendre le costume du bluesman exorcisant ses souffrances passées.
Et elle chante ses rengaines avec la ferveur de ses chanteuses choisit pour chanter l’hymne américain dans les stades de baseball, y mettant toute la grandiloquence liée aux grands spectacles américains. Sur « Sister Heroin », son râle magnifique laisse progressivement place à un solo majestueux, qui ferait passer « November Rain » pour une musique de foire. « Baby Shot Me Down » vient ensuite rehausser le tempos, la guitare redevient agressive et distordue, la voix vindicative et puissante, un retour au hard rock de courte durée mais très efficace. Progressivement , la puissance fait place à la sensibilité, les arpèges délicats de « Waterfall » , font place à une mélodie puissante, parsemée de breaks spirituels.
Alors oui , la rythmique peut encore faire décoller la guitare dans des envolées virtuoses, et le titre part dans une orgie de riffs tonitruant, mais ce n’est que pour souligner un refrain délicieusement mélodique. De toute façon , la voix de l’américaine ne brille jamais autant que lorsque le rythme ralenti, laissant sa voix déployer toute sa puissance grave. Ce soir-là, son charisme n’avait rien à envier à Mick Jagger, Janis Joplin et autres maitres étalons de la pop mondiale.
Le lendemain, le gamin raconte son expérience comme une révélation , dans sa voix , le père retrouve la ferveur qui fut la sienne quelques années plus tôt. Dans cette salle immense, son fils avait compris que, quand elle est jouée avec assez de conviction, la musique ne vieillit pas, elle continue de rythmer la vie comme un repère rassurant face aux déviances du monde moderne.
Dois-je ajouter que le disque issu de cette performance est indispensable ?