Derrière son visage aux traits doux, la chanteuse de Portishead cache une âme emplie de fêlures. Les compositions capiteuses de la formation trip-hop avaient déjà porté haut cette mélancolie, mais ce n’était qu’une face du personnage. C’était un temps où elle s’imaginait encore modeler son futur. Son premier album solo marque bien une étape dans la manière dont elle appréhende l’existence. Elle avoue que ces « vies dépassées » reflètent ses angoisses et ruminations nocturnes, ce temps qui se présente alors que l’âge avance. L’émotion guide ses textes, les hésitations charpentent ses mélodies. La vie change et elle s’accroche pour changer elle aussi. L’album, qu’elle a mis dix ans à enregistrer, dessine parfaitement ce point de vue, construit sur une ossature boisée. « Si je pouvais changer la façon dont je me sens. Si je pouvais guérir mon corps, le libérer de tout ce que j’entends à l’intérieur » lance-t-elle en forme d’accueil (‘Tell Me Who We Are Today’) entre picking de guitare et cordes drapées. Cordes qui se font plus grinçantes, quand elle évoque ces moments où l’on se perd en chemin, ou « Le fardeau de la vie ne nous laisse pas tranquille, où les temps ne sont jamais bons quand on brade le soleil » (‘Burden of life’). Mais ces tourments intérieurs ne sont pas seul à habiter ses pensées. Elle évoque également le désir, la peur de se tromper ou se demande si la vie est à vendre, se posant sur une contrebasse crasse, urbaine (‘Reaching Out’) ou des percussions entêtantes (‘Floating On A Moment’). Beth Gibbons fustige aussi dans un croisement d’essences celtes, de vents orientaux et de rythmes africains, l’empreinte de l’homme sur l’environnement, craignant que sans changement à la fin il ne reste plus rien (‘Rewind’). Pour conclure en amenant un peu de lumière elle chante sur ‘Whispering Love’ que la vie et l’amour ne sont pas sur commande, qu’il faut savoir en profiter. Sombre et déprimant, mais d’une beauté infinie. [YP]
Note : 4/5