La Fernsehturm se dessine au loin, la silhouette rendue opaque par la brume et la pollution. Symbole d’une ville et de son histoire, peut-être est-il temps de vous en apporter de légères bribes, juste de quoi peindre une ambiance unique en son genre : le Berlin alternatif.
Les battements d’une ville
L’ambiance post-soviétique imprègne les murs. Berlin-Est a vécu quarante années intra-muros, bercé par un régime qui les obligea à se reconstruire par eux-même et qui finalement donnera naissance à ce sentiment et cette volonté unique de liberté d’expression propre au quartier, oh si grand soit-il. Le mur n’est qu’un exemple, vestige maintenant embelli par l’imagination artistique de ses habitants. C’est en déambulant à travers les ruelles de la Friedrichshain afin d’observer les façades de ses bâtiments peinturlurés, en se reposant dans un des nombreux bars du Görlitzer Park, proche de la fameuse Kreuzberg, ou en entrant inlassablement chez ces petits marchands downtown de CDs que l’on se rend réellement compte de la dimension de cet esprit, jeune et vieux à la fois. Et pourtant, nous nous trouvons ici à l’Ouest du mur, preuve de cette force créatrice de l’époque qui s’est répandue à travers la ville.
Il n’y a pas à dire, la Warschauer Strasse et son pont représentent à eux-seuls le point névralgique de cette société contemporaine. Qui, tout en restant dans les normes de l’époque, veut vivre d’une manière plus libre en se plongeant dans l’underground et y trouver un noyau d’inspiration. Le simple passant devient artiste ou coiffeur, hipster ou métaleux, punk ou bobo. Pas une seule fois la rue ne s’est retrouvée sans groupes itinérants sur ses trottoirs, pas une seule fois le passage n’a cessé, autant par les touristes que les natifs des lieux. L’originalité de ce monde de rencontres et la multitude des locaux font ce qu’on aime tant de Berlin, autant par la scène rock/métal que la scène alternative électronique, passant par le hip-hop berlinois et les Sound-System aux accents de dub.
On a le droit cependant de se poser la question, le sens du mot ‘alternatif’ ne se modifie-t-il pas au fil des années, au risque de l’utiliser à mauvais escient. Le doute m’est venu en voyant la création de plusieurs organisations touristiques, comme ces tours proposant une visite guidée à travers le Berlin alternatif. Une petite photo du graffiti, une marche dans les vieilles usines d’Astra et l’album s’en trouve embelli, la culture urbaine in-vitro comme on l’aime. N’y a-t-il pas un semblant de création identitaire qui s’est formée au fil des ans, comme à chaque fois qu’un élément de notre univers attire l’œil de Monsieur et Madame d’ailleurs ?
Cependant, rien qu’en entrant dans ce vieux magasin poussiéreux tenu par un ex-communiste en chaise roulante, qui te crie dessus afin de ne pas toucher ses anciens sacs de l’armée suspendus au plafond, je me dis finalement que c’est une conséquence obligatoire du succès des lieux et qu’il existe bel-et-bien une âme authentique au macadam de cette capitale.
Mais tout ceci n’est que le ressenti d’un Helvète sortant de ses murs et prêt à ouvrir les yeux dans un monde pas si lointain que ça. Pour vivre aux battements d’une ville comme Berlin, il nous faudrait y vivre des semaines et des semaines. En attendant, penchons-nous sur un évènement annuel pas très commun dans le monde du rock, parfait exemple de ce que les idéologies des lieux mènent à créer.
Un désert urbain
Les Currywurst peuvent bien attendre !
Après avoir traversé le pont de la Warschauer Strasse, on bifurque sur notre droite pour plonger directement au cœur d’Astra. Des lumières et guirlandes dans les arbres, des vieux bâtiments teintés de couleurs et d’œuvres urbaines, terrasses, bars et musique inondent le quartier et forment cette ambiance propre à l’âme berlinoise. Mais nous cherchons quelque chose de bien précis.
Dans un coin les gens s’amassent, on sent enfin l’énergie vibrante qui se dégage des lieux. Le DesertFest. Il se présente comme étant, je cite, ‘the ultimate heavyrock – psycho-doom festival’. Le beer-garten est là, surplombé d’un immense arbre qui inonde par ses feuilles et ses lumières la quasi-totalité du site. Deux fois plus grand que l’année dernière, m’ont-ils dit. On se trouve notamment entouré de plusieurs stands qui, en plus de l’éternel merchandising, présentent des œuvres d’artistes, des affiches de concerts et un salon de tatouage en plein-air, où les 50€ se transforment en un souvenir permanent, collé à la peau comme Berlin colle à la mémoire.
Les scènes se trouvent dans la Kulturhaus, scène connue et très bien entretenue si l’on compare avec ses voisins de quartier. On entre, une première scène se dessine à notre gauche, cloitrée dans un coin, embellie par plusieurs écrans aux formes aléatoires, passant des images que notre cerveau n’arrive à un moment donné plus à assimiler. On cherche la deuxième scène, la grande. Elle se trouve être derrière celle-ci, simplement séparée par un rideau et un public jonglant entre les deux, avide de musique. Un assemblage original qui cependant, à cause des soundchecks d’à côté, perturbait grandement lors des concerts.
Né en 2012, ce projet fait vite parler de lui et se propage à travers plusieurs scènes européennes, dont Londres, où le festival est là-bas réparti sur toute la ville. Peut-être un jour les ondes du stoner trouveront leur place à travers nos montagnes et accueilleront comme cette année des têtes d’affiches aussi internationales qu’atypiques : Spirit Caravan, Clutch, Sasquatch, Radio Moscow, Causa Sui, Sleepy Sun, The Machine ou encore Church of Misery. En attendant, la capitale allemande reste le berceau du festival et invite les journaux rock du monde entier à se régaler de cette affiche qui laisse décidément sans voix. Et sans boules Quies (50 centimes la paire, il n’y a qu’en Suisse où on les jette par la fenêtre).
Trois jours qu’il faudra encaisser par la suite, le retour en Suisse ne se fera pas si facilement, autant par la fatigue des contrôles d’aéroport que la déprime post-Berlin. Peut-être que la seule consolation à cela sont les albums achetés, dans notre valise, ou bien encore la réflexion sur le temps de vol qui ne dure que 1h30.
Encore une fois, l’Allemagne nous sert sa bière comme personne ne sait le faire.
Intéressés ? Rendez-vous en avril 2015
infos sur www.desertfest.de