Quand on parle des acteurs principaux de la scène musicale indépendante, on s’attarde bien souvent sur ceux qui sont les plus visibles, soit les musiciens. Pourtant, un grand nombre de personnes évoluent ‘dans l’ombre’ et jouent un rôle tout aussi important, malheureusement sans que leurs efforts soient reconnus à leur juste valeur. Les compères genevois du label de cassettes Ashes Cult font partie de cette deuxième catégorie de personnes, tout en ayant fait l’expérience de la scène avec un instrument entre les mains par le passé. Riches d’un activisme à toute épreuve qui s’inscrit désormais dans une longévité qui impose le respect, Xavier et Simon raconte l’histoire de leur petite structure avec passion.
Pour commencer, pouvez-vous vous présenter personnellement ? Qui êtes-vous ?
Xavier : Moi c’est Xavier, passionné de musique depuis toujours et actif dans le milieu underground suisse-romand depuis bientôt 20 ans. J’ai aussi fait de la basse dans des groupes, de la guitare acoustique, je collectionne les vinyles, les livres étranges, les crânes d’animaux et plein d’autres trucs…
Simon : Salut, moi c’est Simon, actif dans la scène hardcore, punk-rock et dérivés depuis 20 ans environ, que ce soit pour organiser ou voir des shows, prendre des photos ou filer des coups de main aux potes pour l’organisation. Je fais aussi du graphisme de flyers, d’affiches, d’albums etc…et adorateur de Satan bien sûr !
Qu’est-ce qui vous a motivé à fonder Ashes Cult ? Y a-t-il eu un événement charnière derrière la naissance du label ?
Xavier : Un soir, on a vu le concert de Hightower, un groupe hardcore de Paris. Leur batteur Romain, qui est un pote de longue date (il jouait dans Providence par le passé) venait de lancer son label de cassettes quelques temps auparavant (PPB Records). Depuis ce moment-là, ça nous a travaillés puis finalement on s’est lancés. C’était il y a 14 mois.
Simon : L’idée nous a travaillés un petit moment avant que nous nous lancions, la période coïncidait avec mon envie de quitter Bad Mood Records, dans lequel je ne me retrouvais plus pour diverses raisons. L’idée de créer un nouveau label avec un pote qui partage les mêmes envies était assez évidente pour moi. Comme je n’avais pas l’intention d’arrêter toute activité dans le milieu, nous en avons discuté et nous nous sommes lancés. Huit cassettes plus tard, nous voilà dans ton interview !
Pourquoi avoir choisi de ne sortir que des cassettes au détriment d’autres formats peut-être plus populaires ?
Xavier : C’était surement un truc en lien avec le fait d’avoir grandi dans les années 80, et d’avoir eu des cassettes de nos groupes favoris à cette époque. Au-delà de ça, j’ai toujours trouvé l’objet très beau. De plus, il fait remonter des tonnes de souvenirs à la surface, et puis aussi nous sommes des grands geeks de musique. D’un point de vue pratique, on s’est dit que la cassette permettait de vendre un joli objet, pas cher à produire et à vendre, avec un code de téléchargement. Ça te coûte le même prix que si tu achètes tes morceaux sur Bandcamp en mp3, et en plus tu as une cassette. Nous trouvions le concept cool, et il y a déjà tellement de gens qui font des vinyles, ça aurait été difficile de se profiler sur ce créneau. Et nous n’avions pas l’argent de toute façon. Là au moins, les gens se souviennent de nous comme étant ‘les cons qui produisent des cassette’ ! A côté de cela, Simon et moi avons les deux produit des vinyles et des CDs à un moment de notre vie, via nos groupes de musique ou nos distros. On s’est rendu compte de la difficulté de les écouler alors que ce sont potentiellement des objets ‘vendeurs’. Les gens, depuis bien des années, préfèrent souvent télécharger la musique. La cassette avec le code, c’est un peu un entre-deux, joli en termes d’esthétique, et abordable en termes de prix, le tout en aidant un groupe et une ONG.
Simon : Il faut ajouter qu’ayant produit d’autres groupes sur différents supports, je tiens à dire que le stockage des cassettes est un vrai bonheur au niveau de la place !
Il semblerait que vous ayez sorti essentiellement des cassettes de groupes dont la musique s’inscrit dans le genre hardcore punk.
Xavier : En effet, nous avons toujours sorti de la musique dans notre domaine de prédilection qui est le punk hardcore, nous y connaissons beaucoup de gens et par conséquent c’est aussi plus facile pour le bouche à oreille. Chacune des sorties a une histoire particulière, mais nous essayons vraiment de privilégier des rencontres et des gens que nous apprécions, ou qui ont une mentalité et une éthique semblables aux nôtres. Nous bossons avec une ONG, le deal que nous proposons aux groupes finalement, c’est de vendre des cassettes pour une bonne cause, ils n’en retirent rien a priori, à part avoir leur groupe en cassette et participer à un projet cool où tu aides les gens via ta musique. L’art et la création devraient toujours avoir cette notion d’aide, montrer que tout cela a un sens, et que ce n’est pas juste célébrer sa gueule et flatter son ego, mais aussi aider autant que faire se peut. Les groupes qui visent du retour sur investissement et du cash, ce n’est pas avec nous qu’il faut dealer.
Simon : C’est clair qu’au niveau du retour sur investissement, il faut nous oublier ! J’ai eu pas mal d’expériences à ce niveau avec mes anciens projets, les groupes attendent souvent beaucoup d’un petit label, la situation musicale en Suisse est parfois dure à comprendre pour un non-initié, mais c’est de l’investissement a 3000%…il faut oublier l’idée de vouloir monter une tournée en car postal et de toucher des grosses sommes en retour de la SUISA. Mais nous avons la chance de connaître pas mal de monde avec toutes ces années à être actifs dans ce milieu, c’est grâce à cela aussi que nous avons eu la confiance de groupes, comme les parisiens de The Prestige, qui ont joué le jeu directement. Et en général, autour d’une table, que ça soit lors d’un concert, en backstage ou même dans un bar, nous expliquons aux groupes notre démarche, certains adhèrent, d’autres moins, mais au final ce n’est qu’une question de feeling.
Qu’avez-vous sorti sur Ashes Cult jusqu’à aujourd’hui ?
Xavier : Worst in Me, Oregon Trail, The Prestige, Rue des Cascades, Le Grand Mal, Nine Eleven, Eight Sins et récemment The Butcher’s Rodeo. Huit sorties en quatorze mois, nous sommes assez contents de ce rendement.
Simon : Nous avons fait des patchs aussi, d’ailleurs il t’en faut un pour ton gilet en cuir ! On a également sorti un plateau de skate avec l’artiste Maldito Juanito, le tout limité à vingt exemplaires, qui ont été écoulés en trois jours. Ca sort un peu du contexte musical, mais grâce à l’aide de l’artiste qui nous a gentiment offert un design, cela va nous permettre de reverser une somme un peu plus importante qu’avec les cassettes à une ONG.
Vous êtes tous les deux des acharnés de l’activisme musical ! Quels ont été vos autres projets précédemment ? Etes-vous impliqués dans d’autres projets actuellement ?
Xavier : Pour ma part, j’ai joué dans deux groupes de musique qui étaient One Last Chance et Worst in Me, et en termes de label, j’ai fait Hardcore Resistance avec mon pote Olivier entre 2006 et 2010, et j’ai écrit et fait des interviews avec Skartnak pendant un bon moment, aussi autour de 2008-2010.
Simon : Personnellement, j’ai commencé dans ma jeunesse dans différentes associations et organisations, c’est ça qui m’a donné envie de continuer d’ailleurs. Ensuite, ça a été Bad Mood Records et maintenant Ashes Cult. Sinon, j’ai eu quelques projets musicaux dans le punk-rock et le hardcore, mais c’est sans grand intérêt !
Vous récoltez de l’argent pour une ONG qui vient en aide aux personnes victimes du tremblement de terre qui a sévi au Népal il y a deux ans.
Xavier : Oui, nous avions envie que l’argent que nous pouvions récolter soit donné pour servir une bonne cause. Le hardcore a toujours eu cette vocation sociale d’entraide. Nous voulions créer un truc dans notre domaine qui est la musique, mais c’était surtout d’y donner du sens. Nous avons essayé de démarcher un peu des ONG, dont une très célèbre dans le milieu du metal/hardcore, qui nous a snobés comme pas possible, ce qui a eu le don de beaucoup nous agacer. Notre amie Lucie du groupe Mighty Bombs a passé beaucoup de temps au Népal et elle nous a donné le contact d’une personne sur place qui avait une association qui s’appelle Rise For Nepal. Nous voulions vraiment que l’argent aille aux gens dans le besoin, et pas qu’il serve à remplir les poches de types qui utilisent la pauvreté comme un business. Notre aide est plus de l’ordre du symbolique, nous vendons des cassettes, pas des BMW, mais ça avait de l’importance pour nous. L’association nous a accueillis à bras ouverts… Comme quoi, il y a vraiment moyen, même à petit échelle, de changer les choses, de remettre du sens. Il faut juste trouver les bonnes personnes et activer les bons leviers.
Simon : L’important à retenir dans tout ça, c’est que même à petit échelle, chaque franc récolté peut changer quelque chose pour des personnes dans le besoin.
Quels sont les projets futurs pour Ashes Cult ?
Xavier : Nous arrivons bientôt à notre dixième sortie, nous allons surement faire un évènement à cette occasion et sortir l’ensemble de nos cassettes dans un format ‘collector’ à cinq exemplaires. On aime bien ce qui est super limité. Sinon, comme dit précédemment, nous privilégions les rencontres, nous n’avons trop de ‘business plan’, nous regardons comment ça évolue un peu au jour le jour et en fonction de nos coups de cœurs.
Simon : Nous fonctionnons au feeling, aux rencontres et aux envies communes. Il y aura également une sortie un peu plus grosse toujours sur un format cassette, mais légèrement diffèrent, avec un groupe un peu plus connu, mais nous ne pouvons pas en dire plus pour l’instant. Sinon, nous avons également une sortie outre-Atlantique prévue en automne. Il faudra prendre des nouvelles d’ici quelques semaines pour en savoir un peu plus ! [Bastien Benedetto]