Avec ‘Tranquility Base Hotel + Casino’, un nouvel album comme suspendu dans le temps, laissant derrière lui les grandes envolées rock, les mélodies faciles, les structures simples, les guitares accrocheuses, le groupe a surpris ses fans. Retour avec Alex Turner, chanteur et leader des Arctic Monkeys, sur l’histoire cette galette hors ligne.
Cela fait 5 ans que l’album ‘AM’ est sorti, qu’as-tu fait durant tout ce temps ?
ALEX TURNER : Pour dire vrai, j’ai enregistré quelques nouveaux disques. J’en ai fait un avec Alexandra Savior et James Ford (producteur des Last Shadow Puppets), avec qui j’ai beaucoup travaillé depuis 20 ans. Et un autre album avec Miles Kane, notre deuxième volet de la saga The Last Shadow Puppets. Après tout ça, je me suis lancé à corps perdu sur le nouvel album.
Dans mon esprit, au niveau du son, de la vibration, de la noirceur, je vois des similitudes entre ces trois disques récents. Est-ce juste pour toi ?
Dans un sens, oui. Mais il y a des différences évidentes, bien plus qu’il ne pourrait paraître au premier abord, un peu comme il y en a entre chaque album des Monkeys. Si vous pensez que j’ai été sur des parcours de golf au cours des cinq dernières années pour réduire mon handicap, alors vous pourriez avoir du mal à voir comment j’en suis arrivé là, mais ce n’est pas vrai.
En écrivant cet album au piano, tu as composé de manière différente de ce que tu as fait par le passé. Pourquoi cette évolution ?
C’est juste pour l’évolution de mon écriture. L’un de ces pianos a débarqué chez moi sous la forme d’un cadeau de mon manager pour mon 30e anniversaire. C’était super gentil. La dernière fois qu’il m’avait donné un instrument de musique à l’âge de 21 ans, c’était une guitare LG1 Gibson Acoustic, j’avais beaucoup composé dessus. Même si j’imagine réécrire un jour avec, j’en suis arrivé à un point où je sentais que d’écrire à la guitare n’allait pas le faire, comme si cela ne m’emmènerait nulle part. Ce que je veux dire, c’est qu’avant que ce piano ne débarque chez moi, je ne me souviens pas avoir eu beaucoup d’idées. Soudain mon imagination s’est en quelque sorte réveillée.
Parlons de l’album et de ce premier titre, ‘Start Treatment’ qui démarre par cette phrase « I just wanted to be one of the Strokes’. Qu’est-ce que tu veux dire exactement ?
Pourquoi est-ce que je veux être l’un des Strokes ? Ou pourquoi commencer par cette ligne, ou les deux ? Eh bien…. Il y a plusieurs explications que je pourrais donner à ce sujet, que choisir ? Pour être honnête, cela a beaucoup à voir avec la musique et cette sorte de ligne que j’ai justement écrite au piano. Je pense que ni mon imagination, ni le fait de la chanter à haute voix, ne m’auraient amené là si je n’avais pas joué cette ligne. Je pensais que cette phrase, la suivante et probablement même tout le couplet n’étaient que des esquisses, que j’allais les réadapter voir même les jeter. Mais il se trouve qu’au moment où je suis revenu à ce ‘Je voulais juste être l’un des Strokes, maintenant regardez le désordre que vous m’avez fait faire, en faisant du stop avec une valise monogrammée à des kilomètres de toute autoroute imaginaire à moitié utile’ je l’ai gardée dans son intégralité.
C’est fantastique, cette manière de rendre des images avec des paroles, j’adore ça. Penses-tu à cela au moment d’écrire ? Est-ce ainsi possible de rendre audible ce qui se dessine dans ton esprit ?
Pour être franc, c’est exactement ce que j’essaie de faire. Mais réellement je n’en sais rien. Comme pour cette phrase sur les Strokes, je pense que c’est en partie la raison pour laquelle quand j’y suis revenu je ne l’ai pas changée, parce qu’il y a une forme de franchise, de vérité. Il y a des instants qui passent si vite, soudain je me revois avec le blazer de ma mère quand j’essayais d’être l’un des Strokes. Pour de multiples raisons je me sens attiré, et là j’ai laissé cette phrase telle qu’elle était.
Une grande partie de ta musique est cinématographique, comme une bonne BO pour un film de Stanley Kubrick.
Je prends ça comme un compliment. Parfois j’ai utilisé le mot cinématique pour ne pas avoir à me décrire, ni moi, ni ma musique, ou pour décrire un son. Mais il s’agit bien d’un disque, pas de la BO d’un film, même si à bien des égards ça se rejoint. Je pense que si ça se rejoint, c’est parce que la musique laisse à l’imagination de chacun le soin d’en faire son propre rendu.
Parlons de la chanson éponyme, ‘TBHC’, toutes les sonorités étant justement très cinématographique. Combien de temps faut-il pour créer les bons sons, pour ‘rendre’ cette image audible ? Le son de basse est parfait pour ce morceau à mon goût.
La basse, elle vient de ‘Histoire de Melody Nelson’ de Serge Gainsbourg. Je chasse ce son depuis au moins 10 ans, et j’en suis peut-être un peu plus près cette fois-ci. Il est clair que l’on accorde beaucoup d’attention à tout cela, et évidemment pas uniquement à la basse.
‘Four Out Of Five’ ressemble à un commentaire sur Yelp (n.d.l.r. site de notations de commerces), tu y parles d’un bar à tacos sur la lune, quel concept fantastique. D’où vient cette idée ?
Cela vient de la chanson dont nous avons tiré le titre de l’album ‘TBHC’, où il y a cette vague suggestion d’une colonie lunaire avec un complexe d’hôtel et casino. ‘For Out Of Five’ va un peu plus loin, amenant l’idée de ce complexe de casino lunaire que l’on pourrait atteindre sans même avoir à quitter le confort de votre propre maison… une idée pas exempte de l’influence de la vague de gentrification.
Au milieu de la chanson, il y a toutes ces modulations, ces changements de tonalités qui sont incroyablement importants pour pouvoir arriver au bout du titre avec son énorme chœur. A-t-il été difficile d’écrire toutes ces étapes pour terminer par être parfaitement aligné pour le chœur ?
Cela n’a certainement pas été aussi difficile que pour toi d’essayer de le décrire. Mais merci de pouvoir enfin en parler… OK, ce n’a pas été un travail fait en deux minutes, mais la meilleure réponse serait : c’est juste instinctif. Il y a une forme de lien fusionnel qui est courant chez moi entre parole et musique, ici c’est plus comme si la musique avait envoyé des infos au paroles. Imagine un peu un rocher que tu taille pour en révéler la sculpture qui est à l’intérieur, si j’ose une forme de comparaison avec Michel-Ange.
Penses-tu aux deux faces d’un album, au moment de l’assemblez, de le séquencez ?
Je le fais à chaque fois. Cela m’aide à tout conclure. Mais j’y pense, sans y penser… J’aime ce genre de début, de milieu et de fin, tu vois ce que je veux dire ? Cela a toujours été à l’ordre du jour de chaque album que nous avons fait.
Tu as enregistré beaucoup de choses, seul, chez toi, dans ce studio nommé ‘The Lunar Surface’, sur un Tascam 8 pistes old school. Et puis tu sembles ne pas avoir été capable de recréer certains de ces sons quand vous êtes allé au studio La Frette à Paris ?
J’y ai fait beaucoup de voix qui sont sur le disque. Et aussi quelques basse, batterie et trucs de clavier ici et là, qui, eux par contre, ont été refaits à La Frette. La plupart des voix, à l’exception de ‘Science Fiction’ et ‘Ultra Cheese’ et un ou deux autres peut-être sortent de ces premières prises. Il y a ce truc, avant même d’avoir complètement écrit une chanson, cette première fois que tu enregistre quelque chose, qui offre l’opportunité d’obtenir quelque chose de très spécifique à ce moment précis dans le temps.
Comme une forme de pureté.
Oui, et peut-être que ça s’est passé plus souvent cette fois.
Lors de l’enregistrement à La Frette, les musiciens jouaient dans une seule pièce en même temps. D’où vient cette inspiration ?
Pas mal de mes disques préférés ont été enregistrés de cette manière, comme évidemment ‘Pet Sounds’ des Beach Boys, ou ‘Born To Be With You’ de Dion que j’aime beaucoup. Si j’ai bien compris, il a été enregistré de cette façon : 2 pianos, plein de gens jouant de la guitare acoustique, 2 batteurs et tout le reste capté par un seul microphone. Les disques d’Isaac Hayes, ont été faits comme ça aussi, j’ai entendu dire que pour’ Walk On By’, tout le monde était dans une seule pièce. Disons que je ne sais pas s’il était tout à fait approprié que tout ce que j’ai fait sur ce disque soit enregistré de cette façon, mais c’était quelque chose que j’ai toujours voulu essayer. Nous avons donc une sorte d’hybride entre nos prises en live et ces 388 enregistrements Tascam de chez moi. Cette approche live, c’est un peu comme si nous étions en train de jouer en parallèle des enregistrements apportés à La Frette. Ce que j’ai appris de cette expérience, c’est que l’énergie que vous obtenez de 9 ou 10 personnes, la façon dont vous jouez dans cet environnement, est évidemment totalement différente de la façon dont vous jouez quand tu utilises seul ton pédalier dans la salle d’enregistrement. Et aussi tu n’es pas capable d’être aussi précis sur tout, là est la vraie relation à la musique.
Interview Domino Records (traduction et adaptation Yves Peyrollaz)