Ce mardi soir, dans le quartier du Flon, les autochtones habitués à la faune particulière attirée par le MAD sont pris au dépourvu par une invasion de chevelus qui s’amassent devant les portes du Métropole. Malgré le passage de Sabaton en février dernier, les gérants de la salle le semblent aussi, dans une moindre mesure, au vu de la file d’attente indécente qui piétine d’impatience devant les contrôles de sécurité d’un Métropole plus rompu à canaliser le public cible de l’Orchestre de Chambre de Lausanne que des férus de gros décibels de tout âge. Conséquence : ça déborde sur la route, ni les flics ni les chauffeurs de bus sont contents, et même en arrivant un quart d’heure avant le début des hostilités on loupe quatre des sept morceaux joués par Grand Magus, non sans avoir au préalable amené un agent de sécurité fatigué à lever les yeux au ciel parce qu’on avait pas pensé à sortir son porte-monnaie de sa poche avant la fouille – vraiment, aucun respect, ces metalleux.
La bière est un peu chère, la salle est aux trois quarts vide – la majorité des fans n’étant pas encore parvenue à pénétrer dans l’enceinte – et le concert de Grand Magus touche à sa fin. On a un peu de peine pour ces trois Suédois qui traînent quand même vingt ans de carrière et huit albums derrière eux. Mais on se rassure en voyant que certains dans le public ont de toute évidence déboursé 60 francs uniquement pour eux, puisqu’ils chantent à tue-tête les paroles des trois titres qui concluent leur set : ‘Iron Will’, ‘Like the Oar Strikes the Water’ et l’inévitable ‘Hammer of the North’. Leur leader JB ne se laisse pas désarçonner par la taille de son public, probablement au cinquième de celui qui acclamera Testament, et harangue la foule avec enthousiasme – laquelle répond au diapason à grands coups de ‘Oooooh-OOOOH-ooooh…’ (ça serait plus clair si vous pouviez m’entendre le chanter) au milieu de ‘Hammer of the North’, lorsque le groupe laisse le flambeau au public qui entonnera la batterie accompagné seulement de la batterie. Résultat, en trois chansons, Grand Magus nous a déjà bien remonté le moral.
Avec Testament, une nouvelle scène s’installe. Un drapeau massif aux couleurs de leur dernier ‘Brotherhood of the Snake’, sorti fin octobre, est hissé à l’arrière, à peine dissimulé par les deux pentagrammes qu’on monte de chaque côté de la scène, et au milieu desquels brillent chez chacun deux yeux d’un rouge de guirlandes de Noël. D’un goût étrange, les deux p’tits yeux qui brillent, mais il y a sûrement un sens. Décorum oblige, on s’attend à voir la bande à Chuck Billy nous servir du serpent en veux-tu en voilà, mais pour le meilleur en ce qui concerne votre serviteur, passés les trois premiers morceaux, deux du ‘Brotherhood of the Snake’ susmentionné et le titre d’ouverture du précédent ‘Dark Roots of the Earth’, les Californiens taillent dans le gras et servent ‘Disciples of the Watch’ de leur superbe ‘The New Order’. Ah, il y a donc des classiques au menu ? Je me réveille et je fais bien : suit la chanson éponyme de ‘The New Order’, puis, dans le tas, ‘Into the Pit’ et surtout ‘Over The Wall’. Missa est content, comme dirait Jar Jar.
En dépit de l’accueil enthousiaste dressé à Testament, on ne saurait le comparer aux hurlements qui s’élèvent de la salle lorsque une intro orchestrale annonce l’arrivée imminente des vikings. D’après la température du public, on serait prêt à donner raison aux organisateurs de la tournée qui ont préféré mettre Amon Amarth en tête d’affiche plutôt que Testament, pourtant leurs aînés. Revisitant la blitzkrieg en death metal sauce viking, Amon Amarth frappe très fort pour ouvrir les hostilités avec leur inévitable ‘Pursuit of Vikings’. Le public est hystérique. Assez pour réagir avec une chaleur égale à leur moins percutant ‘As Loke Falls’. La tactique paie, et Amon Amarth la dosera savamment tout au long de la soirée, alternant tubes fédérateurs et morceaux plus récents – moins inspirés diront les vieux cons comme moi. Si Amon Amarth n’ira pas jusqu’à gratifier ces vieux fans de leur favorite ‘Victorious March’, qu’ils avaient traînée longtemps sur scène, ils balancent quand même un ‘Death in Fire’ au milieu – l’occasion de se rappeler que ‘Versus the World’, c’est sorti il y a quatorze ans déjà. Merde hein ? Oh, et comment ne pas mentionner toute la mise en scène, enrichie d’apparitions ponctuelles de vikings aux côtés des musiciens, lorsque ce n’est pas Loki ou le serpent Jörmungandr pour clore le show, avec ‘Twilight of the Thunder God’, sur une note over épique ? Même en sachant que tous ces artifices ne forment qu’un gimmick assez pauvre pour racoler les pré-ados, la magie opère sur les plus vieux au point qu’on se sent un peu hypocrites au moment de les critiquer. Alors, Hail, Odin’s Son ! Et à la prochaine.