Le programme de Voix de Fête 2020 est tout juste sorti et tout ce que je vois, c’est qu’il y a Arno ! Le Belge le plus rock de la Terre depuis une quarantaine d’années. Un type capable de faire pogoter et s’émouvoir comme un gamin dans les yeux de sa mère. Je vous reparlerai de tout ça et du programme dans son ensemble dans le courant du mois de Février. Et pour vous donner envie d’y faire un saut je vous livre en attendant un bout de mes souvenirs de l’édition 2019.
Mes nuits bleues. Bertrand Belin/ The Limiñanas. Alhambra. Printemps 2019
« Mais combien sont-ils dans sa tête ?!? », fut le cri du cœur lancé par Mélanie notre photographe du soir. Moi, j’ajouterai « On ne connait bien un homme qu’après l’avoir vu repasser sa chemise pendant trente minutes pour ensuite la balancer sur un fauteuil ». Une heure avant de monter sur scène, le grand Bertrand Belin nous reçoit dans sa loge. Pour des raisons très personnelles, je suis plutôt fébrile et moins bien préparé que d’habitude, alors que je suis très fan du bonhomme depuis des années. Quelque chose est un peu cassé chez moi et si nous n’avions pas été pressés par le temps, cet entretien aurait pu déboucher sur une longue et intéressante discussion entre écorchés empathiques.
Curieusement ce soir, il fait la première partie de ses amis des Limiñanas. J’aurais plutôt vu l’inverse, tant son univers est plus riche. Ça part dans tous les sens. Du rock limite mariachi, de la pop étrange, du « rock de nuit », des saillies absurdes et des moments de malaises provoqués intenses. Tout est théâtralisé, il n’est pas également romancier et acteur pour rien. Comme ce moment fabuleux où il entonne un discours politique peu à peu recouvert par la musique. Un concert en compagnie de Bertrand Belin et sa bande tient autant du slapstick que du drame psychologique. Ce type est rare. Et laisse la scène aux Limiñanas qui évoluent du côté de Russ Meyer et gang rock psyché.
Ils avaient commencé à deux, les voici sept sur les planches de l’Alhambra. Direction la Voie Lactée. Les chansons sont courtes, sèches mais chaudes. Et un brin répétitives. A tel point que le public déserte la salle par petites grappes ici et là. A part pour les Genevois de Dear Dëer, ovationnés à l’Usine et qui ouvrait pour je ne sais plus qui, j’ai rarement vu un public plébisciter la première partie à ce point et quitter peu à peu la tête d’affiche de la soirée.
Retournement de situation lorsque Belin revient, magistral, interpréter « Dimanche » à leurs côtés. Tout devient cent fois plus cool. La foule revient se masser devant la scène et applaudir à tout rompre. Avalisant cette idée qu’il aurait fallu inverser l’ordre de passage des groupes. Galvanisés par ce moment de grâce rock n’roll, les Limiñanas, pied au plancher, se donnent à fond pour la suite du set, dont une drôle d’instrumentale mixant un sosie de « I wanna be your dog » et un lointain cousin de « Popcorn ». Ils terminent leur rappel devant 150 personnes. Tant pis pour les absents. Certains tourbillonnent, c’est beau à voir. Singulière soirée dont la star incontestée fut Bertrand Belin. Voici son interview.
Bonsoir Bertrand, avant de parler musique je voulais vous dire que j’étais en train de lire « Requin » votre très beau roman précédent. Au style très fouillé comme le topographe du récit. La thématique de l’eau y revient souvent.
Merci pour vos remarques. Celui-ci, « Grands carnivores » est différent, plus politique. Il parle des grands carnivores qui sont plutôt des capitaines d’industrie louchant du côté de la politique.
On sent pourtant beaucoup de bienveillance pour vos personnages.
C’est vrai, mais quand même les personnages sont très maltraités dans ce dernier livre.
A titre personnel, j’essaie d’être la meilleure personne possible pour mon entourage ou des inconnus. Ce n’est pas toujours facile mais c’est vers quoi je tends. Vous savez ce que c’est, la vie est longue et les moments sont nombreux. Mais de manière générale, je suis plutôt empathique. Une certaine sensibilité de l’instinct. J’aime bien être là pour les autres même si je sais que c’est un peu un fantasme de penser que je le suis suffisamment. Si je vois quelqu’un qui pleure dans le bus j’ai envie de le réconforter et de lui dire que ça va passer parce que ça on le sait quand on n’est pas dans le malheur que ça passe. Quand on est dedans on a toujours l’impression que tout est foutu. Même quand on pense que c’est fini, il peut y avoir une chance supplémentaire. C’est une question de cœur. Et ce n’est pas toujours évident de réaliser qu’on peut changer d’avis, que même après avoir pris une décision, on peut encore changer le destin. En écoutant son cœur et non son égo. Mais c’est difficile de recevoir une parole. J’essaie alors de lancer un petit mot, ce n’est pas toujours évident. Bon là, je me présente comme un type qui a toutes les qualités ce qui n’est évidemment pas totalement le cas (rires).
En ce moment (Printemps 2019), les rues de France grondent. Quel est votre sentiment sur ce qui se passe en France ?
Je suis évidemment très sensible à ce qui s’y passe. C’est complexe mais pas compliqué à comprendre même si c’est un truc qui se vit et qui ne se commente pas comme je pourrais le faire. Il y a plusieurs combats qui se jouent dans la rue en ce moment. Des combats impérieux de besoins immédiats de logements, de nourriture et je suis totalement solidaire. C’est bien que ces questions se posent même avec une certaine force. Mais il y a également une sorte de pillage politique de ce mouvement et cet autre versant n’est pas sain. Mais si on ne parle que de la mise en lumière de certaines injustices, j’y suis non seulement sensible mais aussi solidaire.
Que trouve-t-on dans votre bibliothèque ?
Oulala, pfff, des tas de choses. Là ce sera dans mon sac de voyage. Voyons.
Il y a Fantasio de Musset, Histoire intime d’Elephant Man, une bio du musicien Moondog, le poète belge Eugène Savitskaya ; ça c’est un livre qui m’a été envoyé sur Fantaisies militaires de Bashung, là on a un livre de Charles Juliet, magnifique auteur et là un livre de poésie de Joël Baqué. C’est ma lecture de voyage et dans ma bibliothèque il y a vraiment de tout. En tous cas, tout ce que j’aime.
En voyant le bouquin, je suis désolé mais je dois mentionner Bashung, je sais que vous en avez assez qu’on vous en parle mais parlons alors d’autres influences ou guides.
Tous les musiciens que je connais le tiennent en haute estime, c’est un immense artiste, musicien remarquable à qui je voue une adulation indéniable. Mais Hubert-Félix Thiéfaine par exemple, que j’ai beaucoup écouté adolescent est aussi à l’origine de mon envie d’écrire des chansons.
Ce qui nous caractérise à tous les trois, en toute modestie, dans des styles différents, c’est le caractère non-immédiat de nos textes. Chez Manset aussi, même si ce n’est pas tout à fait le même registre d’écriture, il y a plusieurs manières d’être incompréhensible.
Ce que j’aime beaucoup chez vous, c’est cette manière peut-être un peu cryptique de mettre en scène des petites nouvelles avec une voix très mise en avant, ce qui nous oblige à être attentifs.
Oui, c’est ça qui me plaît le plus, de faire de petites histoires, comme une sorte de modeste petit édifice mais debout. Faire des mondes avec peu de choses, comme un enfant qui empile des objets, ce qui provoque une vraie satisfaction.
Il est dur de juger sa propre œuvre. Sur « Persona » quelles sont les chansons dont vous êtes le plus fier ?
« En rang », celle qui termine l’album, je l’aime bien car elle a une forme un peu iconoclaste par rapport à ce que j’ai fait auparavant. J’aime beaucoup « glissé redressé »et « sur le cul » aussi. « Choses nouvelles » est moins immédiate, on la gagne par la bande. On aimerait tous que le public s’empare d’une chanson et qu’elle devienne incontournable, mais pour l’instant j’ai fait six albums et ce n’est pas encore arrivé. Là je fais œuvre d’immodestie modeste, sur 80 chansons, il y en a 4 ou 5 dont je suis vraiment content. Mais vraiment.
Vous parliez de bande, il y a chez vous justement un côté joueur de billard avec des chansons très harmonieuses mais pas immédiates. Il y a un fond différent de ce qu’on peut écouter à priori.
C’est parce que les choses nous arrivent comme ça dans la vie. On a un besoin très fort de comprendre ce qui nous entoure. Mais je ne recherche pas à faire du réalisme. C’est très dur à capturer, le réel. On s’illusionne sur le fait d’ay voir clair mais le monde ou sa perception reste flou. Trump qui rencontre le président nord-coréen, on vous dit que c’est une information qui a l’air d’avoir des rebords. Oui ils vont bien se rencontrer, il y a des enjeux qui sont mis en avant mais n’est-ce pas un peu halluciné. On va à la pharmacie chercher un médicament, on fait confiance à son médecin et son pharmacien mais on ne s’interroge pas plus que ça. On vit dans un flou permanent, concernant sa propre existence déjà. Est-ce qu’on traverse la route, est-ce qu’on a un cancer ? Tout est flou.
J’appelle certaines de vos chansons, du rock de nuit : on est un peu dans du coton, les règles ne sont pas les mêmes que le jour, avec un recul existentiel. Un peu brouillé.
Intéressant ça. Oui, c’est aussi le reflet de ma perdition dans ce sens-là. Je m’intéresse un peu par désœuvrement et panique aux aspects poétiques des questions existentielles qui tournent autour de l’axe principal du trépas. Et je m’y intéresse non pas comme un anthropologue ou un employé de pompes funèbres mais de manière lucide en concédant une grosse part d’ignorance et d’inconnu. Je ne me suis pas lancé dans la théologie par exemple ou cherché des réponses existentielles dans la philosophie. Je me laisse à l’abandon de ces questions.
Ce sont des voies possibles que vous auriez pu emprunter ?
Non, ça ne s’est jamais vraiment présenté à moi de cette manière mais j’ai compris en grandissant que cette solitude ontologique que j’éprouve peut trouver des voies d’élucidation ou de soutien dans certaines disciplines. La philosophie, la théologie, la sophrologie, mais je n’ai jamais vraiment emprunté ces voies-là longtemps pour comprendre. Chez les poètes, les artistes en général, il existe une troisième voie, une sorte de voie de l’acceptation aussi de la finitude mais c’est une voie sans salut. Ou alors le salut c’est l’œuvre qui subsisterait. Un salut dans le temps. Et c’est le salut le plus désintéressé car on accepte d’être remplacé par un objet. Je fais partie plutôt de ces gens qui ne s’illusionnent pas sur l’existence du Paradis mais qui ne réfutent pas non plus son existence. Mais bon, ce ne sont pas forcément des anges qui jouent de la harpe à ton oreille pendant que tu bois des cocktails. C’est plutôt une forme de paix. Mais comment avoir la paix et la conscience en même temps, ça ne me parait pas possible. Il faudrait qu’on n’ait pas de souvenirs, pas de mémoire.
Qu’en est-il alors de la réincarnation, en gardant sa mémoire pour devenir à chaque fois une meilleure personne ?
Dans le bouddhisme ça se fait sans mémoire mais c’est une approche thérapeutique que je trouve dangereuse. L’idée qu’on serait né dans une famille de manière prédestinée pour accomplir un certain nombre de mea culpa ou pour améliorer sa condition, c’est terrible. Bien sûr, comme vous dites, il y a toujours le libre-arbitre mais on peut aussi le remettre en question au nom de Dieu. A ce moment-là ce n’est qu’une illusion du libre-arbitre.
Je continuerai avec plaisir cette intéressante discussion lors de notre prochaine rencontre, surtout qu’on a semble-t-il pas mal de points communs, mais vous allez bientôt monter sur scène. Peut-on s’attendre à une petite surprise avec The Limiñanas pour qui vous avez écrit un excellent titre ?
Oh oui !!!
C’est maintenant l’heure d’y aller et de ma question-signature. S’il y avait trois artistes qui pouvaient reprendre trois chansons du nouvel album ?
J’aimerais bien que le chanteur américain Howe Gelb reprenne « Sur le cul », je serai content que Catherine Ringer chante « Grand duc » et que Pierre Richard, je ne sais pas comment il chante, reprenne aussi « Sur le cul ».