Le trio de death metal néo-zélandais est de retour avec un sixième album intitulé ‘Stare into Death and Be Still’. Une oeuvre puissante et majestueuse où l’équilibre entre l’intensité et la mélodie est parfaitement maîtrisé. J’ai eu le plaisir de poser quelques questions à l’incroyable Jamie Saint Merat, le batteur et co-fondateur du groupe qui réalise également l’art visuel, l’enregistrement et le mixage de tous leurs albums. Il nous raconte comment il a approché la composition pour ce nouveau chapitre.
‘Stare into Death and Be Still’ est le premier album que vous publiez sur le label Debemur Morti Productions. Avant celui-ci vous avez sorti deux albums sur Relapse Records, ‘Vermis’ et ‘Shrines of Paralysis’. Pourquoi avez-vous continué avec un autre label et comment les choses se sont-elles mises en place avec Debemur Morti?
Après ‘Shrines’ je sentais que c’était le moment de nous aligner avec un label qui est conceptuellement plus proche de nous. D’un point de vue professionnel, Relapse a été excellent et je suis content de considérer tous les gens avec qui on a travaillé là-bas comme des amis. Mais cette nouvelle collaboration fait juste sens pour nous à ce stade. Debemur Morti nous a contactés à l’époque de ‘Vermis’ et ils étaient évidemment dans notre vision périphérique depuis longtemps. Nous avons reconnecté quand on a commencé à travailler sur ces nouveaux morceaux et en l’espace de quelques jours tout était très naturel avec eux, donc j’ai pris la décision de continuer avec ce partenariat.
Ton artwork pour la pochette est exceptionnel. Peux-tu expliquer ce qu’il représente pour toi et comment tu as approché le design pour cet album?
Pour moi l’art visuel de l’album est une matérialisation de ce qu’on essaie de dire musicalement et thématiquement. J’ai toujours approché notre esthétique visuelle de cette manière, les deux aspects doivent être entrelacés en une seule entité. Le travail en soi a été construit sur une période de deux à trois mois, avec beaucoup de tâtonnements pour essayer de trouver la bonne ‘graine’ qui donnera naissance au produit final. Je ne peux pas vraiment décrire le processus en tant que tel, je ne suis pas un artiste visuel de métier, et je ne trouve pas tout ça particulièrement agréable. Mais avec chaque album le design part d’un sentiment que je développe et je fais au mieux du point de vue de l’exécution.
Qu’est-ce que la phrase ‘Regarde à l’intérieur de la mort et sois immobile’ veut dire pour toi?
Elle englobe beaucoup de pensées qu’on a eues collectivement ces dernières années. Nous avons tous les trois perdu des personnes proches… Et tout s’est passé d’une façon calme en apparence. Le titre de cet album et de nombreux thèmes des morceaux explorent l’horreur de cette passivité et du fait d’être témoin de l’emprise de la mort qui prend ce qu’elle veut sans avertissement, mais aussi sans violence physique. Regarder un être proche rendre littéralement son dernier souffle était profondément touchant.
Votre façon d’écrire a évolué vers des compositions moins frénétiques et dissonantes, avec plus de place accordée à la mélodie. Vous gardez aussi certains phrasés sur des périodes de temps plus longues, ce qui permet à la musique de respirer davantage. Je trouve que votre musique sur cet album est un parfait équilibre entre virtuosité technique, brutalité écrasante, belles atmosphères et puissantes vagues émotionnelles. Comment avez-vous approché la composition pour ce disque depuis ton point de vue?
C’est exactement notre état d’esprit en ce moment. Depuis très tôt notre objectif pour cet album était ‘puissance plutôt que chaos’, ce qui se manifeste de nombreuses façons. Nous avons commencé l’écriture en sachant que nous allions prendre un chemin différent d’avant et en sachant aussi que nous voulions faire des choix audacieux (pour nous en tout cas), notamment pour distiller les idées rythmiques et mélodiques jusqu’à leur essence. Donc les six premiers mois environ étaient une période d’expérimentation, nous rassemblions les idées qui semblaient intéressantes, nouvelles ou satisfaisantes, et nous jetions rapidement les idées que nous considérions moins bonnes, même si elles faisaient bouger les choses en dehors de notre instinct et de nos habitudes. Nous sommes très conscients que nous ne pouvons pas perdre l’identité de ce groupe en voulant introduire trop de mélodie. Donc vers la fin de 2018 nous avions les squelettes de quelques morceaux où les choses commençaient à faire sens, et au début de 2019 on a vécu une avalanche d’idées parce qu’on s’était habitués à cette nouvelle approche. Donc ce qui avait commencé comme un changement inconfortable s’est transformé en un niveau d’expression très puissant que l’on n’avait jamais exploré autant dans les détails auparavant.
Votre musicalité en tant que groupe est magnifique. Les vocaux de Paul Kelland sont parfaits, ils sont à la fois puissants et féroces, et Michael Hoggard compose des riffs de guitare incroyables, il a un style tellement complexe et unique et il peut aussi créer des mélodies très accrocheuses. D’ailleurs vous avez intégré pour la première fois des solos dans vos morceaux. Qu’est-ce qui vous a amené à faire ce choix?
Oui c’est la première fois, nous avons senti que c’est quelque chose qui marchait très bien étant donné la nature plus mélodique des chansons dans l’ensemble. Et comme tu l’as mentionné avant, pour laisser les choses respirer et pour amener plus de puissance grâce à des accents et des placements de notes minutieux. L’objectif pour cet album était vraiment de trouver le bon espace pour chaque élément sans qu’il empiète sur les autres. Ce n’était pas le cas lors des albums précédents où il y avait beaucoup plus un sentiment de tourbillon claustrophobique.
Ta performance à la batterie est superbe comme toujours. Est-ce qu’il y a des nouveaux éléments dans ta façon de jouer que tu as utilisés ou avec lesquels tu as expérimenté sur cet album?
Je dirais que la retenue était l’ingrédient principal cette fois. J’ai fait bien plus attention à ne pas piétiner les lignes mélodiques. Et comme Mike et moi nous construisons la façon dont le rythme et la mélodie s’entremêlent, j’ai senti très tôt que c’était la bonne approche pour rendre la musique la plus puissante possible. Je préfère aussi de plus en plus ne pas marteler un maximum de breaks en double-croches, de nouveau pour trouver cet espace pour respirer et laisser l’essence des morceaux résonner. Même chose pour les blast beats, je les utilise avec plus de modération maintenant. Au final je veux faire de la musique, pas de la batterie, et si l’album ne demande aucun feu d’artifice alors ainsi soit-il. J’essaie toujours de trouver ce point d’équilibre.
Sur quoi as-tu travaillé au niveau de la batterie durant ces derniers mois ou dernières années?
J’évolue en m’éloignant du drumming ‘rapide’ ou au moins du drumming qui est rapide sans autres raisons. La majeure partie de mon temps d’entraînement est consacré au feeling, à la mesure et au touché. J’explore de plus en plus d’autres styles et je regarde comment je peux injecter ces attributs dans Ulcerate. Je suis infiniment plus intéressé à voir comment la musique peut avoir un impact sur notre esprit et je m’intéresse moins à l’aspect pratique de développer de l’aisance à la batterie. Je suis toujours obsédé par l’envie d’explorer l’instrument aussi profondément que je peux mais je suis de plus en plus fasciné de voir que des phrasés de batterie simples et bien choisis peuvent souvent propulser la musique d’une façon que le drumming complexe ne peut pas.
Nous avions fait une interview en 2012 après la sortie de votre troisième album ‘The Destroyers of All’. Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis?
Je dirais qu’à ce stade nous avons une vision très bien définie de où nous voulons emmener ce groupe et nous pouvons tirer parti de cela d’une façon bien plus précise. Je pense que le rendu de notre musique est enfin en train de rattraper notre envie, dans le sens que chaque album se rapproche de comment j’ai envie qu’on sonne. En ce qui concerne les tournées, nous avons beaucoup plus d’opportunités et de liberté en terme de logistique ces temps et nous avons réussi à nous retrouver dans une position où nous pouvons décider où l’on joue et les groupes avec qui nous tournons. Pendant les huit dernières années nous avons avancé pour être de plus en plus autonomes.
Est-ce que tu crées de l’art en dehors d’Ulcerate?
Non, j’ai une carrière en dehors du groupe (ndlr: il est web designer front-end) donc je n’ai pas le temps libre pour ça. C’est aussi une question d’être aligné conceptuellement, je ne commencerais pas un projet s’il ne me touche pas d’une façon ou d’une autre.