Tagada Jones était une nouvelle fois de passage au Québec. 20 ans de punkeries diverses et variées, ça devrait user, mais les Bretons semblent avoir de plus en plus d’énergie à nous mettre dans la tête à mesure que les années passent.
Vendredi, soirée crêtes au Petit Campus, où je me suis rendu avec cette question moult fois entendues chez mes camarades prenant connaissance de mon programme de soirée : « Comment peut-on encore être punk en 2013? »
Bonne question, me dis-je. D’autant que ça fait un moment que je n’ai pas mis les pieds dans un spectacle de ce genre. L’âge, sans doute. Pourtant, Tagada Jones reste le groupe que j’ai le plus vu en concert, juste après Kruger. Il faut dire que les quadragénaires ont quelques heures de vol au compteur. Je me rends donc au Petit Campus pour m’assurer que leur rock’n roll ne sent pas trop le formol.
J’arrive en avance de peur d’être en retard. Une soirée punk, avec 20 minutes de retard on peut très vite avoir raté les deux premiers groupes. La salle est déjà pas mal remplie quand La Gachette monte sur scène pile à l’heure. Crânes rasés, Doc Martens, chandail du majeur érectile de Johnny Cash, je ne suis pas mécontent d’avoir mis une chemise Ben Sherman, ça fait thématique.
Dès la première toune, la couleur est old school. Le son est dégueulasse – comme à chaque fois au Petit Campus. Ça sent les acouphènes pour un moment. J’ai du mal à saisir les paroles au point de me demander si à un moment, ça ne chante pas un peu en latin.
L’ensemble est classique punk, rien ne nous est épargné. Les choeurs font « ooohoooh », les Américains font n’auraient jamais du aller en Irak et le batteur joue trop vite pour lui. J’avoue que dans ce genre de show, c’est mon plaisir coupable. Pauvre homme.
L’ambiance est excellente, le public connaît les chansons, le mosh-pit s’agite, même le gars en fauteuil roulant s’y met de bon cœur. Tout le monde est heureux et c’est contagieux. Je commence à taper du pied et à oublier dans quel décennie nous sommes. Ça marche très bien, on embarque tous. Après tout, c’est exactement pour voir ça que je suis venu et j’ai déjà envie de m’acheter des bretelles. La Gachette, je retiens, à revoir!
Interlude pas trop bruyante de la soirée, Mononc’ Serge en solo est attendu de pieds fermes. Ça pourrait presque être la caution pour que les gars puissent amener leur blonde.
Mononc’ entre seul en scène avec sa guitare, visiblement fatigué de sa journée. Peu importe, il est dans son salon et vient dire quelques poèmes de son cru, tirés de ses multiples albums, accompagné d’une guitare acoustique à l’accordage variable. Public conquis, histoires drôles, Saskatchewan, vol de bière, chute de guitare, circle pit acoustique. C’est Didier Super avec moins de lunettes et à peine plus de musique. Tout le monde aime. C’est drôle mais ça laisse tout de même musicalement perplexe. Peut-être une question de contexte.
Mononc’ quitte la scène sous une ovation alors qu’une punkette semble à 2 doigts de déborder, soutenue tant bien que mal par ses voisins. Pas de doute, on rentre dans le vif du sujet, la soirée est entamée.
Si la pauvre n’en était pas déjà arrivée là, elle a du rendre dès le premier accord de Tagada Jones. Le soundman est le petit nouveau du groupe, il n’a pas mis longtemps à trouver le tapis dans lequel mettre le volume. Ça sonne très compact, très fort et relativement clair, bizarrement. L’extrême maîtrise du groupe n’y est pas étrangère. Il faut dire qu’avec 20 ans de rock’n roll, pas loin de 1500 concerts et un nombre indécent de kilomètres avalés, les gars de Tagada savent où ils vont, le pied au plancher.
Le public ne s’y trompe pas et le pit se met en branle dès l’introduction. Yech’ed Mad (Santé! en Breton) tiré du dernier album, trouve toute sa résonance alors que la bière gicle, vole, béni les fans. Trois baobabs plus tard, l’introduction de la chanson au titre imprononçable qui ouvre l’album L’envers du Décor provoque un effet étrange. La blondinette d’à peine 5 pieds qui se tient à côté de moi sautille genre « C’est ma toune!!! » et se rue vers la scène au risque d’y laisser sa tuque en percutant un gros monsieur. Probablement le mosh pit le plus violent qu’il m’ait été donné de voir à ce jour.
L’enchaînement direct avec Descente aux Enfers, du dernier album, porte bien son nom. C’est diaboliquement jouissif. Manipulé, Cargo, Pavillon Noir, les vieux tubes s’enchaînent comme les bières dans le public, tiens, une chaussure.
Les pièces du dernier album sont parfaitement intégrées au répertoire de Tagada Jones. C’est propre, brutal, terriblement énergique. La voix de Niko transperce le mur de son, rythmé par la frappe titanesque de Job. L’ensemble fait bloc et il est difficile de dater les pièces les unes par rapport aux autres. Le groupe évolue mais son identité est incroyablement marquée, impossible d’en douter.
Au moment où l’état du mosh-pit me fait dire qu’il serait temps que ça s’arrête, Tagada décide le contraire et revient offrir quelques reprises. Finalement, on ne demandait que ça. La salle se transforme en chorale avec les Bérus, Les Shériffs ou encore Parabellum. Mention spéciale au fan de la première heure qui passe cette dernière partie sur scène avec le groupe comme si il en avait toujours fait parti. Il faut dire qu’avec 14 tournées au Québec, Tagada est un peu à la maison, et ils le font sentir au public présent.
Je quitte la salle avec des acouphènes sévères entrecoupées de « wooooohoohooho » et de « laalaaaaa laaaalalaaaalaaaa » sans savoir si j’ai pris un coup de vieux ou rajeuni de 10 ans. Ce qui est certain, c’est que Tagada Jones ne vieillit pas. Être punk en 2013, c’est probablement être comme eux.
Marien Joly
Photos du concert de Sherbrooke le 6 avril