Personne n’y croyait vraiment. Personne ne croyait qu’un jour Rage Against the Machine reprendrait la route. Personne ne croyait pouvoir un jour entendre de nouvelles chansons. Mais ce qui tenait de la fabulation, de l’imagination exacerbée, de l’illusion, est devenu réalité. Sous le nom de Prophets of Rage, trois membres fondateurs reprennent du service accompagnés de Chuck D (Public Enemy) et de B-Real (Cypress Hill) aux voix.
Le groupe est en forme. Tom Morello, sans contredit l’un des guitaristes les plus imaginatifs de sa génération, joue comme si le sort du monde en dépendait, comme un guérillero dans la Sierra Maestra. Le son de sa guitare est puissant, distorsionné et chirurgical. Agissant comme maître d’orchestre, il est tout à fait en contrôle de sa bande. Les trois musiciens se comprennent d’un clin d’œil, accélèrent ou ralentissent la cadence selon la volonté du guitariste. Le spectacle n’a pas pris une ride et la fougue y est toujours.
Les deux nouveaux chanteurs ont réussi à tirer leur épingle du jeu. Malgré les quelques erreurs de tempo assez apparentes, les deux rappeurs s’échangent les couplets et partagent les refrains de manière très juste et égalitaire. La voix de B-Real, parfois, ressemble à s’y méprendre à celle de Zack de la Rocha, et son scream n’est, ma foi, pas piqué des vers.
Les nouvelles chansons… et bien… elles ne sont pas si mal. Nous pourrions user de cynisme et dire qu’il n’y a pas, dans ce nouveau EP du groupe, d’hymne révolutionnaire. Rien pour unir les People of the sun. Mais c’est tout de même plutôt réussi. Évidemment, la foule qui était réunie au Centre Bell était venue, elle, pour faire la révolution (tranquille) comme si c’était 1995, et lever le poing haut dans les airs sur les classiques du groupe. Et ce fut chose faite.
Mais il ne faut pas se méprendre. Ce spectacle n’avait rien de révolutionnaire, et à part le slogan Make America rage again la soirée fut apolitique. Nous étions quelque part entre la caricature d’un mouvement social et la tentative de rappel des luttes passées. Les militants anti-ZLÉA du tournant du millénaire ont grossi du bedon, ils ont des piaules en banlieue et peuvent se permettre de payer leurs bières 11.50 $.
Zack nous manque. Son intelligence, sa rage, son intensité, son audace. Et même si Prophets of Rage ne révolutionnera ni la musique ni la politique, ce spectacle en fut un d’une grande intensité et chargé d’espoir.
Texte: David Atman