Nombreux sont ceux qui ont déjà acheté une vieille guitare sur «kijiji» avec le désir de devenir l’artiste québécois le plus connu de la chanson française; et qui ont abandonné leur rêve devant un tel monstre à avaler. Je demeure dans la thématique des Fêtes pour illustrer cet imposant morceau: vous vous rappelez le film «Les douze travaux d’Astérix»? Son fidèle compagnon Obélix doit manger tout le repas préparé par Mannekenpix le Belge, le cuisinier des Titans, pour compléter la sixième épreuve. Le menu offert se compose de poissons, d’oies, de vaches, de chameaux et même d’un éléphant en entier. L’image peut s’avérer loufoque, mais cette hyperbole s’approche de la réalité des musiciens d’expression francophone de notre nation. Pourquoi? Je m’improviserai scientifique en la matière pour vous résumer la problématique. Un compositeur-interprète doit forger sa réputation au sein d’un public limité, n’ayant que la moitié d’une province (et oui, je ne vous apprendrai rien en disant que le Québec surpasse que légèrement le 50 % +1 de gens qui s’expriment dans la langue de Molière) pour faire connaître son répertoire. Sans compter que les personnes qui partagent avec lui les sacres jouissent de l’accessibilité avec les produits venant d’ailleurs (la musique mondiale), ce qui crée chez eux une certaine saturation. Cette abondance laisse même un goût amer dans la bouche en raison des artistes monopolisant l’antenne et le câble, et qui prennent toute la place dans le verre d’eau de la scène francophone (les gagnants de divers concours présentés sur une chaîne arborant trois lettres). Oui, la qualité essentielle au succès dans la belle province pour un musicien indépendant s’écrit de la sorte: M-A-S-O. Cette persévérance qui pousse un gratteur de six cordes de sortir de son sous-sol puant pour embarquer sur des stages de bars malpropres avec le désir de gagner au moins un fan parmi les ivrognes. Deux artistes l’ont bien compris: Mononc’Serge et Pépé.
Traçons un curriculum vitae plutôt simpliste qui ne rendra peut-être pas justice à ses deux musiciens hors du commun, mais qui permettra de séduire les néophytes. Mononc’Serge et Pépé sont deux artistes qui se retrouvent sur les mêmes scènes que des artistes internationaux (Rockfest, Woodstock en Beauce, Festival d’Été de Québec), mais que le propriétaire de votre bar local a sans doute déjà invité pour meubler l’ambiance sonore de son établissement à six tabourets. Leur musique, qui s’éloigne par la qualité du lyrisme et des thématiques (Mononc’Serge explore les enjeux politiques d’une plume poétique alors que Pépé s’amuse du quotidien sans dentelle), se rejoigne pourtant dans leur aspect festif et rassembleur. L’humour se mélange à des refrains accrocheurs et des compositions adroitement exécutés. Les deux hommes n’aspirent pas à devenir les gendres idéals de votre tante Monique qui s’injure au premier mot de la vaissellerie de l’Église dans un feuilleton à Radio-Canada, mais leurs chansons divertissent ceux qui apprécient les formules chansonniers, sans tabou, une bonne bière à la main. Voilà ce que nous promettaient les deux compagnons en ce lundi à l’Impérial: une soirée qui libère du quotidien.
Dès l’arrivée, on assiste à une configuration plutôt audacieuse de la salle bien connue des amateurs de musique de la Vieille Capitale. Des chaises, des tables: un bébé Capitole prêt à accueillir non un sosie d’Elvis, mais deux Québécois amoureux de leur public. L’expérience s’avère aussi inhabituelle, puisque les deux artistes possédant chacun leur répertoire bien à eux assurent les festivités en duo. Mononc’Sege à la contrebasse et Pépé à la guitare, se lancent les morceaux telle une joute amicale jouissive. La complicité entre les deux hommes est palpable, même si le guitariste forme le véritable animateur des festivités. Le contrebassiste ne s’en laisse toutefois pas imposer. Le public assiste à une fusion quasi-homogène des deux univers et non à une performance A et B, au grand regret des amateurs d’un seul en particulier. Toutefois, la combinaison vaut le détour et ne déroute aucune des deux tribunes. Sur l’aspect musical, il ne s’agit ni d’une rétrospective des compositions des deux hommes ni une promotion de leur matériel récent. Nous avons droit plutôt à une soirée fabriquée sur mesure dans le contexte du temps des Fêtes. Le monde présent apprécie le menu offert, mêlant leur voix au chant des deux partenaires de scène. À ma grande surprise, n’ayant jamais entendu un son acoustique dans un tel endroit, pardonnez-moi l’expression simpliste, mais ça sonne, ce qui libère du confinement des chaises semi-confortables. Est-ce que le spectacle aurait gagné à avoir un simple parterre? Dur à dire, peut-être que la dimension rassembleuse de l’événement aurait tapissé le lieu d’un cercle d’individu partageant leur sueur et leur goutte de bière échappée, mais laissant un imposant espace vide en périphérie. Peu importe, lors d’un party, on ne regarde pas la maison, tant que le divertissement est de qualité. Pour demeurer dans le thème, un second élément m’apparaît en rédigeant ses lignes. Un facteur essentiel aux soirées arrosées réussies et qui découragera les absents: les deux messieurs font courir les dames. Leur public ne se limite pas à des amateurs de houblon à la pilosité abondante. Les demoiselles raffolent de ce délire d’une trentaine de chansons livrées par deux musiciens qui connaissent bien leur public et qui utilisent leur expérience pour donner plusieurs minutes de réjouissance loin des futures dettes de cartes de crédit et des kilos supplémentaires sur la balance. Ah les Fêtes. Merci à Mononc’Serge et Pépé pour cette escapade musicale hors de la réalité dans leur monde loufoque.
Texte: Nicolas Gagnon
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