Quatre ans après un premier passage remarqué (et remarquable) au Montreux Jazz Festival, l’Australien Nick Cave était de retour avec ses Bad Seeds pour le weekend d’ouverture en tête d’affiche du samedi 2 juillet. Tous ceux qui l’ont déjà vu en concert savent à quel point c’est bien, ce qui explique qu’il fallait se précipiter sur les billets dès leur mise en vente.
En première partie, Emilie Zoé, accompagnée seulement d’un batteur et de sa collection de guitares, a l’honneur d’ouvrir la soirée. L’immense majorité de la scène est déjà occupée par les instruments de Nick Cave, de telle sorte que les deux acolytes sont peu à l’étroit. Mais cela ne les empêche pas de jouer et nous avons ainsi droit à une petite heure de musique voyageant entre pop et rock plus ou moins énervé, le temps de confirmer tout le bien que l’on pense d’elle depuis plusieurs années : Emilie Zoé est bien une valeur sûre de la scène suisse et il n’est pas exclu, à l’instar de Sophie Hunger la veille, qu’on la retrouve en tête d’affiche dans le futur.
La communion avec son public étant un élément hautement important de ses concerts, Nick Cave a fait installer un catwalk entre la scène et le public. Pour les premiers rangs, cela ressemble à un bar, sauf que personne ne viendra prendre les commandes ce soir. Le seul autorisé à se déplacer dans cet espace très réduit, c’est le responsable de la sécurité de Nick Cave, qui juste avant le concert vient rappeler aux spectateurs que s’ils laissent leurs mains sur les planches, ils auront de la peine à applaudir ensuite.
A 22.15, la troupe au complet débarque sur scène, avec, petite nouveauté, un chœur de trois personnes. Cela démarre sur les chapeaux de roue avec « Get Ready For Love » et déjà un Nick Cave qui se lance dans ses traversées gauche-droite pour se rapprocher de son public. Il est intenable et la température de la salle a pris une dizaine de degrés en à peine quelques minutes.
Cela repart avec « There She Goes, My Beautiful World » tout aussi rythmé, les deux seuls morceaux que l’on sera autorisés à photographier depuis les extrémités de la fosse. Le temps de déposer le matériel photo et de rejoindre la salle, l’Australien lance « Jubilee Street » assis au piano pendant que son fidèle comparse Warren Ellis caresse son instrument dans une position qui te donne envie de lui prendre un rendez-vous chez l’ostéopathe. Ce morceau résume assez bien un concert de Nick Cave avec des passages plus calmes entrecoupés de moments de folie comme lorsqu’à moitié couché sur son public, il répète Look At Me Now ! Comment faire autrement, tellement il accapare tous les regards.
L’avantage de faire des disques avec un membre de ton groupe, c’est que tu l’as sous la main en tournée et tu peux donc également visiter ce répertoire. Ce sera ainsi le cas pour « Carnage », l’album qu’il a enregistré l’an passé avec Warren Ellis, notamment la magnifique chanson éponyme qui permet à tout le monde de reprendre son souffle.
Le meilleur moment pour moi, en tous les cas le plus attendu, c’est le milieu du set lorsque les premiers accords de « Tupelo » résonnent dans le Stravinski. Vieille chanson improbable sur disque, elle prend une toute autre dimension sur scène. Le ciel semble se déchirer, mais ce n’est qu’une impression musicale. Cela s’enchaîne parfaitement avec « Red Right Hand », grand classique sur lequel on hésite entre figure messianique et prédicateur survolté pour décrire le géant australien, puis « The Mercy Seat » toujours aussi bon. Comme avec toutes les montées, il faut une descente, ce sera « The Ship Song » pour rester dans la partie la plus ancienne de son répertoire. Ce moment calme laisse ensuite sa place au fameux « Higgs Boson Blues », une chanson qui vient d’ici, vers le Lake Geneva comme le déclame Nick Cave sourire aux lèvres. Manifestement, Il est au courant que le nom du lac en français est un sujet touchy dans la région (surtout chez les genevois qui se trompent étonnamment souvent) et cela donne lieu à quelques rires dans le public mais aussi dans le groupe.
Après un très beau rappel de trois titres, pas forcément les choix les plus évidents à part « Into My Arms » : « Vortex » et « Ghosteen Speaks » du dernier album., le concert se termine sous les applaudissements d’une salle à nouveau conquise. Plus de deux heures de concert pour relever une barre déjà placée bien haute en 2018. Seul petit regret, la setlist imprimée prévoyait un second rappel de quatre titres supplémentaires (« Rings Of Saturn », « Mermaids », « Jack The Ripper » et la murder ballad « Henry Lee », rien que cela), auquel on aurait bien voulu avoir droit. Ce sera pour le prochain concert de Nick Cave au bord du Lac Léman.