Le très réussi biopic du torturé chanteur des légendaires Beach Boys.
« Love And Mercy » débarque sur les écrans romands discrètement, sans avoir bénéficié d’une promotion démesurée. Un peu comme si les films de qualité préféraient s’afficher timidement sur les programmes, éviter une concurrence déloyale aves les grosses machines insipides de l’été et se laisser découvrir comme un secret que garderaient fièrement quelques véritables amateurs de cinéma. A la vue du titre, peu vont se douter qu’il s’agit là d’un biopic sur la tête pensante et en désordre du légendaire combo américain des « Beach Boys ». Le film ne raconte donc pas la vie du boys band de blondinets peroxydés, ayant su comme personne faire croire au monde qu’ils maîtrisaient les vagues comme personne, mais bien celle d’un véritable artiste talentueux et torturé : Brian Wilson. En plus de se refuser à ne relater que les hauts et les bas du groupe californien, le scénario préfère une structure déconstruite plutôt qu’un déroulement classique tel que : enfance, succès, drogue, déchéance puis rédemption ou décès.
Les grandes réussites populaires du groupe sont brièvement évoquées dans le générique de début puis le film se concentre plus particulièrement sur deux périodes charnières de la vie de Brian Wilson. Les années soixante et la période où il abandonne les tournées internationales et le reste du groupe pour aller composer seul l’album « Pet Sounds » et les années huitante, alors qu’il est en traitement psychiatrique et qu’il rencontre sa future femme. Les deux parties racontent les tourments d’un homme malade qui entend des voix. Des voix qu’il interprète d’abord comme quasi célestes (ah, ce bon vieux L.S.D.), qui vont l’aider à écrire sa musique, et celles qui vont l’isoler du monde et le réduire à une sorte de pantin à la merci d’un psychiatre manipulateur.
Bill Pollhad, producteur d’« Into The Wild » ou de « 12 Years A Slave », réalise ici son premier film. Bien que son long-métrage ait quelques petits défauts, notamment dans sa dernière partie où il abuse d’effets censés nous plonger dans la tête de l’artiste, son coup d’essai vaut au moins dix coups dans l’eau de faiseurs plus renommés. Le cinéaste a l’intelligence de s’intéresser à l’essence de son sujet et surtout de bien s’entourer pour arriver à ses fins. Son scénariste n’est autre que celui de « I’M Not There » (ce biopic de Bob Dylan assez étrange où plusieurs acteurs incarnent le chanteur à différentes époques de sa vie), Oren Moverman, spécialiste des personnalités complexes et multiples. Ensemble ils ont compris que l’intérêt d’écrire la biographie de cet homme célèbre était surtout de pouvoir parler d’un individu ordinaire mais hypersensible, qui vit un peu à côté des autres. Un artiste que la musique apaise mais que la maladie et les faiblesses abîment.
Pour bien dessiner ce portrait complexe, il fallait également des interprètes à la hauteur. Judicieuse idée encore, le réalisateur choisit deux acteurs différents pour camper le Brian Wilson des « sixties » et celui des « eighties », respectivement Paul Dano et John Cusack. Ni l’un ni l’autre ne s’imite et leur composition bien personnalisée renforce encore la dualité du personnage qu’ils incarnent, sans le singer. Face à eux, Paul Giamatti, dans le rôle du psychiatre machiavélique, effraie comme il se doit et Elizabeth Banks, entre séduction et force, est un autre grand atout du film. On notera encore un travail très soigné du son et quelques touches d’humour discrètes et malignes pour une œuvre qui embellit le paysage cinématographique de ce début d’été.
Etienne Rey
Love And Mercy
De Bill Pohland
Avec John Cusack, Paul Dano, Elizabeth Banks
Ascot Elite
Sortie le 01/07