Dans un froid glacial, une longue file d’attente s’étirait devant le Kiff – scan de certificats oblige. Heureusement elle progresse rapidement et une fois les vestes déposées dans le vestiaire qui donne à l’extérieur (de sorte à ce qu’on chope tous la crève en t-shirts par -5°C en attendant notre tour devant le guichet), on s’engouffre avec impatience dans le temple argovien du rock pour gravir les deux escaliers qui séparent le rez de la salle de concerts.
La vue de l’affluence serrée qui a fait le déplacement donne chaud au coeur. Quelques masques sanitaires ici et là nous rappellent la morosité des temps que nous traversons, sans que ça ne parvienne à entacher l’ambiance, dont les fondations sont posées avec un bel enthousiasme par le duo de Norvégiens Aiming for Enrike. « Un clin d’oeil à l’inénarrable organisateur des soirées metal du Nouveau Monde? » se turlupineront les Fribourgeois un instant, avant de se raviser devant la dubitabilité de la référence. N’empêche, le parallèle invraisemblable aurait vu sa pertinence prolongée par la bonne humeur communicative du groupe instrumental, qui doit malheureusement faire face à un salle un peu morne parce qu’elle est là pour Leprous hein, faut pas croire. Fringués comme deux gendres idéaux, les Norvégiens élargissent leur base guitare-batteries en jouant avec une armada de pédales qui occupe la moitié de la scène pour produire effets et loops en tout genre, piochant allègrement dans un éventail de genres qui ratisse du djent au rock en passant par la new wave et le jazz. Ils réaffirment leur inventivité à chaque chanson dans l’espoir de récolter l’adhésion d’une audience hélas un peu plus occupée à commenter les dernières mesures sanitaires qu’à suivre ce qui se passe sur scène. Dommage, parce que le duo fait office de première partie idéale, avec une immédiateté qui ne se trouve pas dans le mimétisme.
Car c’est un peu là le défaut de la deuxième partie Wheel, au-dessus duquel plane le spectre de Tool, lequel hantait déjà les albums studio parcourus avant le concert. Ils ne se cachent pas de l’influence puisqu’ils auraient affiché sur leur site la citation suivante (de leur bouche donc): « Pendant qu’on attendait le prochain album de Tool, on s’est dit qu’on allait simplement composer ce qu’on avait envie d’entendre! » Mais peut-on parler d’influences, lorsque la formule est décalquée de manière aussi scolaire? Le jeu tout au long du set sera celui des sept différences, et si on relèvera bien, du côté de la voix, un lyrisme pas toujours maîtrisé et une puissance plafonnant loin en-dessous de celle Maynard, on ne peut pas dire que ça nous amène à un bilan positif. Tout l’exercice paraît un peu vain et laisse le goût périssable d’un cover band…
Enfin Leprous! Dernier concert de cette tournée européenne chaotique sans cesse en sursis! On verra d’emblée à la réaction du public qu’il était là pour eux, tant il se tasse et se compresse devant la scène où apparaissent les membres en plusieurs temps, mettant à profit une longue intro mystérieuse aux claviers. Démarrant leur show en tempête avec d’antiques chansons issues de démos qui ne boudaient pas les growls, ils nous font presque regretter le virage pris avec Malina où ils renoncèrent définitivement aux chants éraillés lorsqu’ils les abandonnent de même sur scène au fur et à mesure que le concert avance. En effet, leur show opte ensuite pour un déroulement chronologique: album après album, le groupe retient deux chansons qu’il offre en pâture à un public dont l’énergie atteint deux pics sur les titres ‘The Price’ (tiré de l’album The Congregation) et ‘From the Flame’ (du susmentionné Malina). Une sélection de morceaux un peu mécanique qui laisse peu de places aux surprises et qui divisera les opinions: d’un côté, on est un peu soulagés de se voir épargné la formule promotionnelle qui tartine le dernier album en date et coince trois tubes surle rappel, de l’autre on a l’impression de se voir servir une setlist préparée par un algorithme. Il en faudra davantage pour ne pas conclure à un succès de bout en bout, convainquant, s’il en était besoin, que Leprous est de ces groupes à l’aise aussi bien sur scène qu’en studio.