En tournée pour promouvoir son dernier disque, l’adaptation pour le théâtre de la nouvelle « Also Sprach Zarathustra » de Friedrich Nietzsche, Laibach faisait une halte unique en Suisse à la Dampfzentrale de Berne. Ce samedi 3 mars 2018, les bords de l’Aar sont encore bien enneigés, mais les routes sont praticables. Autre bonne nouvelle, la salle est à proximité d’une piscine, dont le parking forcément désert en hiver est une aubaine pour se garer à deux pas.
Peu avant l’ouverture des portes, on apprend que le tourbus de Laibach est tombé en panne, que le groupe est arrivé avec beaucoup de retard à Berne et que le show débutera dans la mesure du possible avec une demi-heure de retard. A l’intérieur du bâtiment, la salle est en deux parties, la première, proche de l’entrée, accueille vestiaire, bar, wc, merchandising et DJ alors que les préparatifs du concert sont effectués derrière la porte de la seconde partie.
Pendant que le public rentre dans la salle et patiente, le film Liberation Day est projeté contre le mur dont les hauts plafonds de cette ancienne centrale électrique à vapeur sont bien pratiques. On a ainsi droit aux aventures de Laibach en Corée du Nord, un récit vraiment invraisemblable que tous ceux qui aiment la musique (indépendamment de celle de Laibach peu présente dans le film en fin de compte) devraient voir. Entre deux silences, on perçoit vaguement derrière la porte ce qui ressemble à un soundcheck express.
Peu avant 22 heures, la première partie de la salle est bien pleine, avec même de nombreux Romands, quand les portes s’ouvrent. Au fond de la salle, la scène est entourée d’écrans pour des projections qui débutent rapidement, pendant que claviers, batteur et guitariste se lancent dans une intro instrumentale de plusieurs minutes, le temps de réaliser qu’il s’agit du dernier morceau de ‘Also Sprach Zarathustra‘. Si le soundcheck a été court, le son est néanmoins superbe, probablement grâce à un volume sonore raisonnable.
Vêtu d’un grand manteau rouge et de sa coiffe emblématique, Milan Fras rejoint ses compères sur scène pour ‘Ein Untergang‘. Sa voix est comme d’habitude impressionnante et quand il chante ‘Dunkel ist die Nacht‘ cela te donne plus de frissons que l’attente de l’ouverture des portes par -2°. Il enchaîne avec ‘Ein Verkündiger‘ du dernier album que l’on semble bien parti pour visiter ensemble si cela continue.
Difficile de ne pas remarquer que Mina Spiler n’est pas sur scène. On voit bien son mégaphone posé vers la batterie et on espère qu’elle est là. Il faut dire que, présente dans la nébuleuse Laibach depuis plus de 10 ans, elle s’est imposée avec le temps comme un élément essentiel du groupe slovène.
Le troisième morceau terminé, Milan se retire comme il est venu, d’un pas lent et assuré, le temps pour le groupe de jouer seul ‘Von Gipfel zu Gipfel‘, puis revient pour ‘Das Glück‘. Les premières cinquante minutes consistent ainsi uniquement en des extraits de ‘Also Sprach Zarathustra‘, avec comme sur le disque une alternance entre morceaux instrumental et prestations vocales de Milan Fras. La musique est relativement calme, pour ne pas dire minimaliste. On est bien loin des rythmes martiaux et des tubes EBM. Finalement, il faut attendre le 10ème morceau, ‘Vor Sonnen-Aufgang’, pour enfin voir arriver sur scène Mina Spiler chanter seule ce nouvel et dernier extrait pour la soirée de ‘Also Sprach Zarathustra‘.
Durant chaque chanson des projections accompagnent la musique sur le fond de la salle derrière le groupe, mais également sur les côtés. Visuellement c’est tout aussi bluffant que musicalement.
Cette première heure plutôt calme, mais très réussie, étant passée, place au Laibach que l’on connaît. Enfin, façon de parler car le groupe se lance dans deux morceaux inédits. Selon la setlist, ce sont ‘New Parnassus‘ et ‘Cold Song‘, mais toujours sans que Milan et Mina ne se retrouvent ensemble sur scène, ce qui est un peu dommage, le mélange des deux voix étant à mon sens juste parfait.
Le mégaphone est de sortie et Mina ne s’en prive pas. Pour cette deuxième partie, Milan a lui enlevé son manteau, signe que cela va chauffer un peu plus et ce sera effectivement le cas avec un surpuissant ‘Brat Moj‘, qui donnera un motif à quelques imbibés pour se bousculer un peu.
Si comme photographe, on se plaint souvent de l’absence de lumière ou au mieux d’un éclairage des artistes depuis l’arrière, avec Laibach, rien de tel. La lumière est frontale et celui ou celle qui chante est parfaitement éclairé. Cela donne aussi l’occasion au public de voir pour une fois le regard de l’artiste qui chante.
Bien que cette chanson soit régulièrement jouée depuis longtemps, Milan utilise toujours son cahier marqué ‘Kapital‘ pour les paroles du « Privilège des Morts » chanté (enfin récité) en français, avant un tout aussi ancien ‘Ti, ki izzivas‘. Cette deuxième partie de concert aurait pu être un best of des slovènes, mais il n’en est rien, le groupe préférant jouer des chansons plus rares. C’est ainsi que le set se terminera par un second extrait de ‘Kapital‘ avec une version revue (et je dirais même corrigée) de ‘Wirtschaft ist Tot‘ sortie il y a plus de 25 ans.
Le rappel mettra en lumière l’album ‘Spectre‘ avec deux extraits, d’abord ‘Bossanova‘, dont le titre n’est vraiment pas bien choisi, sur lequel Mina Spiler nous invite à courir pour nos vies. La soirée étant sold out, la salle pleine, ce n’était évidemment pas le moment de partir malgré la menace du sang sur les crochets ! Puis une de mes chansons préférées de l’album, même si curieusement elle n’était présente que comme bonustrack, ‘See That My Grave Is Kept Clean‘ avec une intensité incroyable pour clore le concert. Il aura fallu attendre le rappel pour véritablement voir sur scène les deux chanteurs ensemble. Le morceau fini, le groupe sera longuement applaudi et à cette occasion, Milan Fras présentera son groupe en silence en les désignant un par un avec ses bras.
Même si après 100 minutes magnifiques, il n’est pas possible de se plaindre, on aurait quand même rêvé d’un deuxième petit rappel avec des titres aussi costauds que ‘Tanz Mit Laibach‘, histoire de faire la transition avec le DJ set de Herr Liebe qui prenait le relais dans l’autre partie de la salle pour l’after-party.
A titre personnel, un samedi qui commence avec les premiers pas de ma fille de 10 mois et qui se termine par une prestation aussi grandiose d’un de mes groupes préférés dans une chouette salle, je vais m’en souvenir longtemps.