Jeudi dernier, je me suis déplacé au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui afin d’assister à Jean Dit, une pièce peu banale qui a relevé le défi d’incorporer de la musique métal au théâtre. Étant autant amatrice de l’un que de l’autre, j’étais excessivement curieuse de voir se que produirait ce mélange pour le moins surprenant. La pièce, écrite et mise en scène par Olivier Choinière, tourne autour de la quête de la vérité à une époque où le mensonge et les fakes news sont plus d’actualité que jamais. Douze personnages y incarnent diverses couches de la société québécoise, allant de l’itinérant, au professeur d’école, jusqu’au chef d’État, et les représentent alors qu’ils se font endoctriner par un «culte» de la vérité.

La vérité, un culte?

Tout commence par un homme qui ne ment pas et qui aborde le monde en énonçant seulement la vérité tel qu’il la perçoit. Mais la vérité est plus dure à accepter qu’on ne le pense; souvent crue, parfois vulgaire, elle est toujours dérangeante. Pour introduire les gens à son idéologie, il utilise le jeu bien connu «Jean dit…», et au fil du temps il gagne des adeptes. La pièce se poursuit en démontrant comment le mouvement se propage. Du chum à sa blonde, de la mère à son fils… et progressivement, un réel culte naît de cette quête de vérité. Alors que l’organisation prend de l’ampleur, Jean cesse d’être un jeu et devient graduellement un maître spirituel.

La musique, qui occupe une grande place dans la pièce, est symboliquement associée au thème de la vérité, puisque comme elle, le death métal dérange et nous sort de notre zone de confort. Le groupe, élégamment nommé Jean Death, est composée de musiciens actifs de la scène métal québécoise, soit Sébastien Croteau au vocal, Mathieu Bérubé à la guitare, Étienne Gallo à la batterie, et Dominic Forest-Lapointe à la basse. Ensemble, ils forment l’élément central qui permet la manifestation des émotions dans le développement des personnages. Le métal est cathartique et se veut une partie intégrante du parcours pour atteinte la libération qu’amène l’acceptation de la vérité.

La scène comporte trois niveaux; le plus haut représente l’univers social, celui du milieu le privé, et au plus bas niveau se déroule les activités rituelles du mouvement. Considérant l’importance de la musique dans l’évolution des personnages, j’ai trouvé particulièrement intéressant que les musiciens eux-mêmes jouent au niveau du sol, soit l’endroit précis d’où émerge le développement personnel. Autrement, la scène est entièrement dépouillée, à l’exception de trois grands écrans sur lesquels on projette soit un lieu pour la mise en situation, soit les personnages. Dans ce contexte, la mise en scène s’harmonise bien avec le sujet de la pièce, qui se trouve dans l’imaginaire.

Une pièce déstabilisante

Jean dit n’est pas pour tout le monde. Alors que certains apprécieront le côté expérimental de la musique et sa façon de se fondre brutalement dans la pièce, pour d’autres, il s’agira d’une création artistique qui les poussera un peu trop loin de leur zone de confort. De la même façon, la pièce conjugue langage grossier, nudité, et moments déconcertants afin de porter son message. À ce niveau, le jeu des comédiens provoque d’authentiques malaises dans l’assistance qui parfois éclate de rire par l’incongruité de certaines situations. Chapeau aux comédiens, particulièrement Sébastien Dodge dans le rôle de Michel le sans-abris et Éric Forget dans le rôle de Luc le leader du mouvement, pour leur performance impeccable. La pièce ce veut une réflexion sur la vérité et le mensonge, et à ce niveau, il s’agit d’un franc succès. Ponctuée de symboles indiquant que la connaissance de la vérité pose problème, Jean dit nous rappelle qu’elle n’est pas un absolu, elle n’est qu’un point de vue. Alors qu’on ne devient un initié qu’au moment de se dévoiler et d’extérioriser sa souffrance, embrasser sa vérité transforme, pour le meilleur ou pour le pire.

En résumé, j’ai trouvé que Jean dit est une pièce intéressante, à la fois drôle et déroutante, qui réussit bien à nous déstabiliser et nous faire réévaluer nos repères. Bien que ça ne soit vraiment pas une performance que je recommende de voir en famille, je crois que l’amateur de métal qui s’intéresse au théâtre y trouvera facilement son compte. À l’inverse, l’adepte de théâtre qui ne connaît pas trop le métal en aura pour son argent et y récoltera une double ration d’émotion forte pour les 1 h 50 que dure la pièce.

Texte: Isabelle Sullivan

Crédit photo: Valérie Remise

Jean dit se produit au Centre du Théâtre d’aujourd’hui jusqu’au 17 mars 2018.
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