En français dans le texte, comme elle l’a toujours fait en Suisse Romande, la chanteuse Jael Malli (ex-Lunik) fait le bilan de ses 20 années de carrière. Quarantenaire accomplie et affirmée, elle n’a plus rien à prouver et assume ses choix droite dans ses bottes. Elle suit son chemin et offre un joli album symphonique pour 2021 et afin de laisser un peu cette pandémie derrière nous.
20 ans de carrière, c’est pas rien ! Qu’est-ce que ça te fait ? A part des rides (rires).
Jael Malli : (rires) Oui des rides c’est sûr. Ça fait du bien parce que je pense que c’est pas si facile de durer dans le monde musical. C’est facile de faire un album ou deux, mais de continuer pendant des années, je peux dire que j’en suis fière. Il y a beaucoup d’artistes qui sont arrivés et qui ont disparu. J’ai eu beaucoup de phases où je doutais et où j’ai voulu tout arrêter, mais il y avait toujours quelque chose qui me tenait. Le temps est passé vite. J’ai 41 ans maintenant et ça fait la moitié de ma vie que je fais ça.
Qu’est-ce que Jael de 2020 dirait à la jeune Jael qui débutait sa carrière?
Je lui dirais de ne pas s’inquiéter de ce que les autres pensent de toi. Je lui dirais de savoir dire non aussi de temps en temps.
De quoi es-tu la plus fière et qu’aurais-tu souhaité faire autrement ?
Cette année, j’ai beaucoup repensé à ma carrière et ce que cela a signifié pour moi en tant qu’être humain. J’ai repensé à quels étaient mes rêves et quels étaient les rêves des gens autour de moi. Parfois, je me suis laissée emporter. Les années où j’ai eu le plus de succès n’ont pas forcément été mes années les plus heureuses. Ce que j’ai aujourd’hui me rend beaucoup plus heureuse. Il y a quelques gens qui regrettent Lunik parce qu’on avait plus de succès. Mais ce que j’ai trouvé avec mon projet solo correspond parfaitement à la version Jael 2021. J’ai le sentiment de faire ce que je veux et d’être en phase avec moi-même. Avec le recul, je vois à quel point je me suis adaptée pour contenter tout le monde. J’ai réalisé que c’était trop.
C’est peut-être aussi cela qui t’a construite et qui te permet d’être qui tu es maintenant ?
Oui tu as raison, c’est avec les années et avec de mauvaises moments que tu réalises pourquoi c’est difficile. Du coup, tu dois réfléchir sur toi-même et c’est comme cela que tu grandis. Il y a rien que je ferais différemment, mais c’est sûr qu’il eu des phases plus compliquées.
En parlant de phases compliquées, comment ça se passe pour toi la période covid en tant qu’artiste? As-tu pris ce temps pour créer ou as-tu plutôt subi ?
Durant la première vague, j’aurais dû faire trente concerts qui ont tous été repoussés. Il y eu des moments où j’ai eu vraiment peur. J’ai pensé que c’était la fin de ma carrière car j’avais besoin de l’argent de cette tournée pour enregistrer mon prochain album. Ça m’a parfois bloquée, mais j’en ai profité aussi pour passer beaucoup de temps avec mon fils qui a deux et c’était merveilleux. Dès le moment où j’ai su que j’avais de l’aide financière, je me suis dit que ça irait et que je pourrais enregistrer cet album symphonique. On pensait aussi que ça durerait 3-4 mois. J’ai continué à écrire quelques morceaux et travailler sur une émission de télé (ndlr : Sing my song). J’avais donc beaucoup de projets. En septembre, j’ai fait quelques concerts. Ces trois derniers mois, je me suis dit que si ça durait trop longtemps, ce serait vraiment pas cool parce que c’est long et ça commence vraiment à changer les gens, les interactions et ça me questionne. Les incertitudes sont difficiles. Où va-t-on ? Je me dis qu’on va apprendre quelque chose de cette situation, faire des choses différemment. Mais si ça dure plusieurs années, ça deviendrait vraiment compliqué. J’essaie de rester positive et optimiste et je verrai où en est la situation au printemps. Je suis quand même contente d’avoir réalisé cet album. Je ne me suis jamais ennuyé. J’ai pu voir les choses qui étaient importantes pour moi. J’ai pu aussi ralentir le rythme et constater à quel point on doit être flexible. Par exemple, j’ai dû changer la date du concert et de sortie de l’album qui étaient prévus le 31 décembre et 1er janvier. Et finalement ce n’est pas un drame. J’ai essayé de voir les bons côtés dans toute cette misère.
Pourquoi un album symphonique sachant que tout le monde le fait désormais ? Tu y pensais depuis longtemps ?
J’ai déjà enregistré un concert live avec un orchestre en 2017. Ensuite, on a été invités au Montreux Jazz Festival avec l’orchestre. Dès ce moment-là, je savais que je voulais refaire un travail avec ce mélange classique. Ma première idée était même de sortir pour chaque album, une version normale, acoustique et symphonique. Bon on s’est rendu compte que ça coûtait trop cher (rires), on a laissé tomber cette idée. Et puis elle est réapparue. J’ai pensé revisiter les morceaux de mon dernier album ‘Nothing ot Hide’ ainsi que d’anciens classiques de mon répertoire car je trouvais qu’ils avaient le potentiel pour une version symphonique. J’ai fait une liste de dix-sept chansons et j’en ai gardé treize.
Comment as-tu transformé ces morceaux ? As-tu fait es arrangements toi-même ?
J’ai travaillé avec le même arrangeur que pour l’album de 2017, celui de l’orchestre de Lituanie. Il m’envoyait des versions et je pouvais directement faire mes commentaires sur ce que je voulais garder ou non. Cette fois, il savait très bien ce que je voulais comme il me connaissait mieux.et pour l’enregistrement, c’est toujours mieux de pouvoir travailler avec le chef d’orchestre parce qu’il est musicien, il joue du violon, mais il a aussi fait de la musique rock alors il connaît les deux mondes. Ça m’a beaucoup aidé de l’avoir avec moi parce qu’il a pu traduire ce que je voulais dire en musique.
As-tu travaillé particulièrement ta voix à cette occasion ?
J’ai pas chanté classique, je voulais vraiment le mélange des deux. Mélodie, paroles, voix pop avec l’orchestration classique. C’est aussi pour ça que j’ai amené mon pianiste qui joue habituellement avec moi. Les morceaux, on pourrait les jouer en duo et ça fonctionnerait aussi. Mon batteur est présent aussi. Peut-être qu’en fermant les yeux, ma voix change naturellement avec toutes ces émotions de l’orchestre, cette chaleur, ce son organique. On est comme dans une bulle.
Justement, ça fait quoi d’entendre ses compositions en version classique ?
J’ai eu beaucoup de frisson et de larmes. C’est vraiment époustouflant. J’avais des émotions et plein de questions : est-ce qu’on a assez de temps, est-ce que je serai contente du résultat ? J’ai fait ça sans maison de disque, sans management, c’est vraiment mon truc que je finance moi-même et beaucoup de gens sont impliqués.
‘Reminded for Life’ qui ouvre l’album a été composée à cette occasion. Peux-t me parler un peu de ce morceau ?
En 2017, lorsque j’étais en Lituanie avec l’orchestre, je leur ai dit de venir jouer au Montreux Jazz avec moi et ils m’ont invité sur deux festivals lituaniens. Je suis arrivée là-bas avec mon époux et mon fils qui avait six mois. Il est tombé malade et on a passé la nuit à l’hôpital de l’enfance. C’était horrible, il avait des tubes partout et on ne savait pas ce qu’il se passait, personne ne parlait anglais. Le lendemain, tout allait mieux. A un moment, je suis passée dans les corridors de l’hôpital avec plein d’enfants. Je me suis rendue compte à quel point c’était un cadeau d’avoir un enfant en bonne santé. Normalement, on devrait s’en souvenir chaque jour. On a souvent besoin de vivre quelque chose de négatif pour réaliser la chance qu’on a. C’est d’ailleurs un peu ce qui se passe avec le covid. J’ai eu l’ide de ce morceau ce moment. Je l’ai écrite avec Cédric au piano et j’ai tout de suite pensé que je devais la jouer avec un orchestre et c’est pour cela que je l’ai gardée de côté jusqu’à maintenant.
Tu fais un duo avec Alizé Oswald (Aliose). Était-ce important pour toi cette incursion dans le monde francophone ?
Roman Chelminksi (qui a interprété la chanson sur ‘Nothing to Hide’) n’est pas très connu en Suisse romande, je ne sais pas si ça me sert mais j’aime sa voix. Je le connaissais, il a écrit les paroles et c’était une bonne histoire. Alizé Oswald est plus connue (chanteuse d’Aliose). Au cours de ma carrière, plusieurs personnes n’ont pas voulu me manager car je n’avais pas le ‘killer instinct’. Je fais les choses parce que j’y crois, je n’ai pas forcément de plan. On me dit que je suis un peu naïve. Mais j’ai toujours trouvé des gens qui m’ont suivi. Le succès ne m’a pas forcément rendue heureuse. Ça fait manger, mais comme j’y arrive avec ce que je fais, cela me suffit. La richesse ne m’intéresse pas.
En visionnant ta rétrospective, je me suis aperçu que tu avais fait passablement de duo ou featuring, notamment avec des artistes suisses ou de la scène électronique. Quel rapport as-tu avec cette scène electro ?
Lorsque je jouais avec Lunik, j’ai eu l’occasion de faire un duo avec le groupe Delirium. J’étais curieuse et en plus, on était plus proches de ce style-là. Ça me plaisait aussi de faire quelque chose sans mon groupe. Au début, je ne me sentais pas comme une musicienne. C’était eux, les gars, qui faisaient la musique et moi je participais. C’est la première fois que j’ai réalisé que je pouvais aussi faire quelque chose par moi-même.
Le 1er janvier sort l’album. C’est une date plutôt étrange étant donné les circonstances, vu que tout est fermé ?
Je pense que c’est le jour idéal. C’est un nouveau départ, une nouvelle année. On sort aussi le single ‘It’s Time’.