Le groupe britannique Slaves était de passage au Piccolo Rialto en ce lundi 6 mars. Totalement inconnu ici, le duo a toutefois beaucoup fait jaser ces dernières semaines pour les mauvaises raisons. Loin de moi l’idée de vouloir discuter politique lors d’une critique de spectacle, mais la situation nous y oblige.
Plusieurs personnes se sont franchement offusquées de la venue en sol canadien d’un duo d’hommes blancs qui s’appelle Slaves. L’auteur-compositeur et violoniste de Toronto, Owen Pallett, enjoint dans une lettre ouverte à ne pas se rendre au spectacle les considérant comme racistes pour l’utilisation du mot esclave pour nommer leur duo. On parle ici de réappropriation culturelle et ce serait en ce sens que l’utilisation du mot esclave serait considérée comme non respectueuse de l’histoire des noirs en Amérique. Le groupe se défend en spécifiant que le nom Slaves fait plutôt référence aux travailleurs du 9 à 5, esclaves de leur emploi. La réponse des offensées dit que le travail rémunéré de 9 à 5 n’est pas de l’esclavagisme et donc que l’utilisation de ce mot est non justifiée. Voici ici la publication qui demande le boycott du spectacle: http://bitterempire.com/an-open-letter-to-the-members-of-the-band-slaves/
Pour ma part, je ne savais pas que le mot esclave appartenait à une culture bien précise et que nous ne pouvions plus l’utiliser pour désigner autre chose que ce qui a mené à la guerre de Sécession. Esclave de son emploi est pourtant une expression utilisée couramment, comme celle de bourreau de travail d’ailleurs, je ne vois pas en quoi l’utilisation de ces expressions pourrait d’une certaine façon tourner en ridicule la condition des travailleurs africains vendus ou kidnappés et mis au travail forcé. Les mots ont plusieurs sens et chacun ne brime pas l’autre.
Mais à vous de juger.
Pour ma part, ça ne m’a pas empêché de me rendre au spectacle et de parler à Laurie Vincent et Isaac Holman afin d’en savoir plus.
À mon arrivée, il y a avait davantage de gardiens de sécurité que de spectateurs. L’ambiance était morne et stressante. Tous devaient vider leurs poches. Les organisateurs ont reçu des menaces qu’ils considéraient sérieuses, et on n’a pas voulu prendre de chance de se retrouver avec un second Bataclan. Ma vapoteuse en stainless a été inspectée pour être bien sûr qu’elle ne cachait rien. Si l’objectif était de dénoncer l’appropriation d’un mot (un nom commun), les menaces reçues laissaient plutôt entendre qu’une attaque violente serait possible. On peut ne pas être d’accord avec l’utilisation du mot, si c’est le cas il faudrait bannir de notre langage les expressions «esclave de mon travail», mais de là à vouloir assassiner des gens qui utilisent ce mot dans un sens métaphorique, il y a une grande marge.
D.R.: Est-ce votre première fois à Montréal? Qu’en pensez-vous pour l’instant?
Slaves: Montréal nous semble être une ville très accueillante, et très cool. Mais fuck qui fait frette man (traduction libre).
D.R.: La Grande-Bretagne c’est loin. Quelle est votre perception du Canada et plus précisément du Québec? Comment votre agent de spectacle vous a préparé pour cette tournée? Pensiez-vous voir des pingouins?
Slaves: Haha. Non nous ne croyons pas voir de pingouins ici, mais on a appris l’existence de la poutine, et soit certain que nous ne quitterons pas la ville avant d’y avoir goutter.
D.R.: Étiez-vous conscient que votre nom de groupe pourrait susciter une telle contreverse?
Slaves: Jamais de la vie. Est-ce que toi ça t’offusque? Est-ce que j’ai l’air de quelqu’un de raciste? Notre nom de groupe fait référence au travail de 9à5 que nous avions avant de former ce groupe. Nous étions esclaves de nos emplois, car ceux-ci nous empêchaient de faire ce qu’on voulait de notre temps. C’est évidemment utilisé dans un sens métaphorique et non-littéral, et je ne vois pas en quoi ça ferait de nous un groupe raciste. Au contraire, nous sommes tous esclaves du système capitaliste, et tous égaux par rapport à lui. Et jamais nous n’oserions comparer l’esclavagisme des Afro-américains à l’esclavagisme du système capitaliste. Ce sont deux choses très différentes, désignées par un même mot, et il faut être capable de faire la distinction. Nous n’avons jamais eu de problème comme celui-ci ailleurs qu’au Canada.
D.R.: Avez-vous l’impression qu’ici en Amérique vous devez recommencer votre carrière un peu à zéro?
Slaves: Oui effectivement, c’est le sentiment que nous avons. Et nous le voyons d’une façon très positive et excitante. Nous sommes de parfaits inconnus ici, même si nous avons du succès au UK, et de retourner jouer dans de plus petites salles de spectacles et se croiser les doigts pour qu’il y ait des spectateurs c’est vraiment motivant. Cette tournée est d’ailleurs plutôt courte et nous espérons, malgré le coût de l’opération, pouvoir revenir en Amérique plus longuement prochainement.
En première partie, le trio Pet Sun de New York, composé de deux guitaristes et d’un batteur, a donné une performance à oublier dans un style grunge-alternatif-pop assez dépassé rappelant Bush. Très peu originale et parfois assez croche. Infiniment décevant et terne.
La salle commençait à bien se remplir, 70 personnes environ attendaient impatiemment le duo punk Slaves qui s’est fait chaudement applaudir avant même de dire un mot. On a senti que les applaudissements voulaient surtout signifier: Nous aurions compris si vous aviez préféré annuler, mais merci d’avoir bravé les menaces et de vous présenter sur scène avec courage.
Le groupe enchaîne de courtes chansons avec une rythmique martelante jouée par un batteur debout. Ce dernier bûche sur son drum comme si sa vie en dépendait. Selon ses propres dires, il ne sait pas jouer. Incapable de trouver un batteur, il a empoigné des baguettes et s’est mis à jouer le plus fort qu’il pouvait sur une caisse claire, une cymbale et un bass-drum viré sur le coté, et ça fonctionne. Une de leurs pièces, l’une des meilleures de la soirée, intitulé Fuck the Hi-Hat, est une réponse aux critiques musicaux qui sont dérangés par leur instrumentation inhabituelle. Leur performance fut l’une des plus divertissantes et intenses que j’ai pu voir dans la dernière année. Pas très loin du punk des années 70, Crass, Sex Pistols, Dead Kennedys. Le spectacle fut plus que réussi, et le public tout à fait charmé.
Maintenant, on pourra au moins admettre que leur nom de groupe n’est effectivement pas le plus original. Ils auraient assurément pu trouver mieux, mais est-ce que ça mérite le boycott de leur musique? À vous de choisir, mais pour ma part j’ai découvert lundi dernier l’un des meilleurs groupes punks que j’ai eu la chance de couvrir et ne serait-ce que pour cette raison, je suis plutôt heureux que le spectacle ait eu lieu.
Texte: David Atman