Coque Vide 19 : désolé, mais pas désolé de m’en foutre

Avec la récente interdiction des manifestations rassemblant plus de mille personnes (et moins selon les cantons), la Suisse, capitale pharmaceutique de l’Univers, démontre qu’elle prend au sérieux la grave menace qui pèse sur ses citoyens, et fait la preuve qu’une fois de plus, ces derniers peuvent compter sur leurs institutions démocratiques pour garantir la protection de leurs intérêts comme de leur santé.

Si tu as pu lire ce premier paragraphe jusqu’au bout sans t’étouffer avec la mousse de ton IPA, copain, il n’y a que deux options. Soit tu n’en buvais pas à cet instant précis (y a du relâchement), soit tu en as déjà beaucoup trop ingurgité pour déchiffrer quoique ce soit d’autre que le post-it qui te rappelle le trajet canapé-plumard.

Pas ça, pas ici !

Note bien : si tu as en nos représentants une confiance inoxydable, ce n’est certes pas mécole qui t’enverra des bouts de rongeurs morts en poste restante. Chacun son délire : ça, la Terre plate ou les Droits Zhumains, finalement… Mais là n’est pas la question. Ce qui est central, et qui en dira long sur ton équilibre mental, c’est de savoir si tu as pu déglutir ton jus de quinoa équitable en lisant cette interminable première phrase dans les colonnes de Daily Rock.

Parce que maison-close-de-gentille-dame, s’il y avait bien UNE publication, UN SEUL ET DERNIER canard où tu pouvais, avec quelque légitimité, espérer échapper à cette psychose aussi spontanée et naturelle qu’un dialogue entre deux concurrents des Princes de l’Amour (maintenant que je sais que ça existe, ma vie est foutue), c’est bien celui-là !

Par Dionysos le Miséricordieux et par le Divin Jus de la Grappe de Saint Vincent, protecteur des vignerons et rédempteur des ivrognes, par pitié, pas ici ! Entre deux chros d’albums aux paroles guerrières et pochettes génocidaires, un petit billet sur l’importance de bien se désinfecter les paluches avant de pointer l’index et l’auriculaire ? Et pourquoi pas, en-bas de ce papier furibard qui n’a guère de chance d’être validé, un petit encart pour des masques FFP3 en similicuir clouté, histoire de faire bonne mesure ?

Le Grand Ctrl+Alt+Del ne viendra pas – hélas

Malgré l’ampleur conséquente de ma collection d’armes blanches, je ne possède pas de massue suffisamment lourde pour me battre les steaks du Coucouillovirus avec toute la vigueur qui s’impose. Le Covfefe1999 m’inspire une crainte aussi rude et puissante que l’érection qui me prend quand je pense à un Mike Tyson centenaire en train de déféquer dans une peluche de licorne.

Et mieux encore : non seulement je ne crois pas une seconde que la chose mérite qu’on s’en inquiète, je suis AFFLIGE à l’idée que l’humanité va très vraisemblablement manquer, une fois encore, une belle occasion de se manger dans la margoulette un fort salutaire Ctrl+alt+Del civilisationnel.

Pas que je souhaite, tel un nihiliste de Buffet de la Gare, l’extinction des trois quarts de l’humanitéfantasme étonnamment répandu, bien que rarement assumé, auprès des humanistes contemporains, pour qui le bien-être des maringouins prime sur l’avenir de leur propre espèce. Mais même si c’était mon souhait le plus ardent, il est évident que trois microbes même virulents n’y suffiront pas. C’est un miracle qu’il nous faudrait, et si Dieu existe, il nous hait (Evangile selon Slayer, 11 septembre 2001, American Recordings).

Pas de fins du monde pour les groupes de plus de 1000 personnes

Je n’affirme pas que le rythme de notre goinfrerie funèbre ne va pas connaître quelques hoquets. Et si je donne l’impression de cracher à la gueule des quelques 3000 familles déjà privées d’un frère ou d’une mère, mea maxima culpa. Mais il faut le gueuler à s’en retourner la gorge : c’est la peur de la pandémie, pas Gros-Bide19 en lui-même, qui en sera responsable. En arts martiaux comme en skate, apprendre à chuter avec décontraction est la meilleure garantie de se relever sans casse.

Oui, il se peut que tu doives attendre un chouia pour ton prochain fix de camelote en provenance de camps de travail pour mineurs illettrés. L’obscène opulence des supermarchés, dont ni toi ni moi ne parvenons à éviter complètement, pourrait subir une courte et radicale cure d’amaigrissement. Et si tu as un besoin impératif de certains médocs, comme l’agité qui te causes, et que pour ton malheur ils sont fabriqués dans Le Pire Du Milieu,  c’est sûr que ta vie risque de perdre en confort et en certitudes. Mais on appelle ça, justement, la vie. Un truc bordélique, fragile, éphémère, et où les certitudes absolues sont la Trinité que forment la Souffrance, l’Ennui et la Mort.

Pour faire un majeur à cette dernière, nous trimballons entre nos jambes de quoi assurer la suite du cirque après notre propre destruction. Et pour encaisser les deux premières, nous avons le bastringue, les potes et les formes de musiques les plus brutales et irrévérencieuses qui ont jamais résonné à la surface de notre pauvre caillou spatial. C’est de ça, uniquement de ça dont Daily Rock devrait parler.

Le thermomètre n’est pas cassé, il est pourri

Tu feras remarquer, clodo de luxe, mon ami, mon frère, que des raisons objectives de s’inquiéter se ramassent à la pelle mécanique du côté de Wuhan. Les plus grandes quarantaines de l’histoire humaine connue, des hôpitaux massifs prétendument construits en quelques semaines, des lanceurs-d’alerte bouclés sans préavis, des drones pulvérisant va savoir quelle horreur sur la population civile sans son consentement… Si les Chinois s’en inquiètent à ce point, n’est-ce pas la meilleure preuve qu’il est temps d’empiler les boîtes de ravioli et les rouleaux de PQ industriels ?

Eh bien non. Précisément non. Parce que tous ces phénomènes constituent, dans le contexte d’un omnipotent Etat communiste totalitaire ne relèvent pas d’un contexte de panique mais d’une terrifiante routine. Les héritiers de Mao (dont les bustes et portraits ornent encore les coins les plus reculés du pays, comme j’ai pu le constater personnellement) n’ont pas renié leur foi révolutionnaire en convertissant à l’économie de marché. Ils l’y ont intégrée, adaptée à leur sauce locale, à l’image de l’empire romain tolérant les cultes les plus exotiques du moment que les fidèles rendaient hommage à la divinité de l’empereur. Mais tu te fous de tout ça, et tu as bien raison parce que ça sonne concours-de-bite littéraire. Revenons donc à nos méchouis grippés.

                 Pour finir sur une note colorée, gaie et primesautière

Restons donc optimistes, tournés-vers-l’avenir et créatifs, comme de Bons Citoyens, immunisés contre toute mauvaise pensée, tout amalgame et toute téoriduconplo. Si la crise devient inévitable, détends-toi et survis, en te focalisant sur ces quelques pépites de sagesse rustique :

  • Oui, la panique télécommandée du monde politique et associatif va nous priver de pas mal de concerts, et elle menace même la simple survie du journal où je te dégobille tout ce qui précède dans la rétine. Mais elle a avant tout supprimé pour au moins un an le Salon de l’Auto, répugnante kermesse pétrolâtre où les beaufs se pressent en troupeaux compacts pour baver sur des carrosseries qu’ils ne pourront jamais se payer (si tu y vois un double sens sexuel, c’est toi le dégueu, pas moi).
  • Un con qui a peur est un con qui te fout la paix, surtout s’il a le trouillomètre si bas qu’il se claquemure chez lui. L’espace urbain respire mieux, l’autoroute redevient roulable, les files d’attente pas encore interdites se raccourcissent, accroissant mécaniquement la longueur de ton temps libre. C’est retrouver sur le bitume un peu de cette sensation, désormais si rare, de tracer le premier sillon dans la neige vierge de quelque station alpine.
  • Toujours pas rasséréné ? Souviens-toi alors qu’en 1908, il a suffi qu’un gros cassos’ dérouille sa famille pour que toute la production d’absinthe soit prohibée sur notre territoire. Que dix ans plus tard, malgré 50 à 100 millions de morts, la grippe espagnole n’a pas brisé le capitalisme en pleine ascension. Qu’en 2002, le SRAS – tiens ! une autre spécialité chinoise ! – a liquéfié les tripes de tous les dirigeants politiques d’Occident, pour se limiter à 800 morts (et à de juteuses transactions en vaccins presque aussi utiles que des gri-gris en ossements de pigeon).

Maintenant tu respires un grand coup par le nez, tu t’ouvres une bibine à température hivernale et tu me mets « Adapt and Overcome » de Madball  (Legacy, 2005) à un tel niveau sonore que tes voisins sauteront par la fenêtre et iront courir nus par les rues dans l’espoir de choper un virus qui leur fera sortir les poumons par les oreilles. Merci et à la tienne. [VL]

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N° 152 - Mai 2023
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