Grâce, intensité, déprime, apaisement, fougue, errance, amour, haine, la vie et surtout la musique de Chan Marshall racontent tout cela depuis plus de vingt-cinq ans. Alors périodiquement, un peu comme si elle souhaitait se détacher de sa propre écriture tourmentée, elle se glisse derrière les mots et les notes des autres pour dévoiler une facette différente d’elle-même. Sa troisième livrée de reprises aborde ses souvenirs par des moments qui ont marqué son existence. Il y a les yeux de sa grand-mère qui brillent en écoutant Billy Holliday (‘’I’ll Be Seeing You’’), et le souvenir de perte d’être cher qui resurgit comme à l’écoute de ‘’A Pair Of Brown Eyes’’ des Pogues. Il y a l’adolescence qui frémit dans l’obscurité d’une séance de cinéma et découvre ‘’Endless Sea’’ d’Iggy Pop et plus tard la jeune artiste les poches vides qui glisse un dollar dans jukebox pour écouter, et réécouter encore ‘’Here Comes a Regular’’ des Replacements. Mais là où Cat Power ose plus encore poser un regard bien à part c’est lorsqu’elle fixe son propre travail droit dans les yeux avouant qu’en chantant ‘’Hate’’, et ses phrases disant se détester et vouloir mourir, elle s’est toujours sentie nerveuse et inquiète. Consciente des mauvais jours mais aussi de la possibilité d’arranger les choses, elle livre une version ‘’Unhate’’ plus apaisée. Comme à son habitude, l’artiste propose une collection de chansons très homogène, se risquant avec beaucoup d’élégance à déstructurer les originaux pour les dessiner à son image. Contournant par-ci la mélodie et le texte de Lana Del Rey (‘’White Mustang’’) ou dépouillant par-là le travail de Nick Cave pour en pousser toute la tension vers la lumière (‘’I Had a Dream Joe’’). Souvent proche de la nudité, les orchestrations laissent émerger une voix d’une fragilité imposante, d’une beauté extrême. [Yves Peyrollaz]
Note: 5/5