Le phénomène m’avait attirée, puis désintéressée. La jeune Billie Eilish semblait révolutionner le monde de la pop – simplicité, tendance grime, un caractère bien trempé, des visuels réfléchis et élaborés à merveille, et un style vocal qui fait disparaître la mélodie pour privilégier la rythmique. Après quelques interviews qui m’ont fait réaliser que c’était une gosse de bourge qui n’avait rien à dire, et que son frère réalisait tous ses morceaux, je me suis retrouvée à la ranger dans la case ‘artiste pop qui va disparaître dans 2 ans’, et à chérir Lorde et me demander quand cette dernière sortira son prochain album, car elle, elle a du talent.
Puis je me retrouve à me demander si Madonna a jamais écrit un seul morceau.
Et pourtant ce dimanche soir de janvier, voilà que ma curiosité a été piquée à vif : Eilish se retrouve croulant sous les Grammys : artiste de l’année, album de l’année, single de l’année… Mais que se passe-t’il ? Pourquoi la jeunette a emballé la presse et le public ?
Direction l’écoute de ‘When We Fall Asleep Where Do We Go ?’
On commence par une petite intro déconne où l’artiste plaisante en studio, avant d’attaquer sur l’excellent ‘Bad Guys’. La production est impeccable, et ce titre a de quoi halluciner les producteurs de par son côté élaboré et minimaliste. Ensuite, on se retrouve à alterner les ‘killers’ et les ‘fillers’ – entre morceaux hyper radiophoniques (‘Wish You Were Gay’, ‘You Should See Me In A Crown’…) et les morceaux qui se veulent un poil plus sensible et qui puent le Lorde-Wannabe (‘When The Party’s Over’) – le seul problème étant que le timbre de voix d’Eilish n’a pas de saveur particulière et que n’importe qui avec une année de cours de chant pourrait faire l’équivalent. L’hilarant ‘8’, chanté au yukulélé avec une voix de bébé fait tomber les masques et se démarque bien de la production super américaine. Somme toute ‘When We Fall Asleep Where Do We Go’ est clairement bien foutu.
Le cas Billie Eilish / Grammys est probablement le plus représentatif de la musique contemporaine : ici, on a un produit élaboré à la perfection qui arrive à surprendre et plaire dès la première écoute, avec une complexité sous-jacente au goût de reviens-y. Son côté goth a de quoi attirer quelques rockeurs aventureux, et cet album parle de paralysie du sommeil, bien courant et terrifiant chez la classe moyenne que nous sommes. Ici pas de flambeau à porter, pas de cause à défendre, juste un produit parfaitement calibré pour ensorceler nos cerveaux sans peine aucune. Les visuels claquent, les chansons percutent, et en moins de deux ans, voilà une pop star qui arrive à devancer des artistes comme Lana Del Rey, Ariana Grande ou Lady Gaga à la course aux trophées, et qui se retrouve derrière le prochain titre phare de James Bond.
L’être humain est désormais une machine pavlovienne que les grands médias connaissent comme leur poche et en font ce qu’ils en veulent. La propagande n’est pas que politique, elle s’insinue jusque dans nos oreilles et dans nos Grammys. [LN]