C’est tout beau c’est tout chaud et c’est le programme d’Antigel! Une sorte d’oxymore de saison en somme.
Il y a quelques matins, j’étais à la conférence de presse du festival et un nom m’a fait oublier tout le reste : Kraftwerk. Ils ont réussi à faire venir Kraftwerk !!! Bon, ce n’est pas pour tout de suite, ce sera une sorte d’Antigel bonus au mois de mai. Toutefois, dès fin janvier, il y aura des concerts tous azimuts, de la danse, des performances, des brunchs et du yoga.
Je vous en reparle dans la première quinzaine de Janvier.
En attendant, je vous propose ma machine à remonter le temps personnelle avec mes articles sur l’édition 2019. Parfois, il faut laisser le temps de tout reposer puis y revenir plus tard, pour se remémorer, loin de l’agitation et de la foule déchaînée…
Comme annoncé à l’époque dans ma chronique sur Radio Lac, je m’étais promis cette année pour la 9e édition du festival Antigel d’aller voir Sophie Hunger (déjà sold out), les Viagra Boys, Feu ! Chatterton (pas pu malgré ma bonne volonté mais mon voisin du 8e m’a certifié que ce fut génial), Seamus Fogarty, Anna Calvi, Brigitte Fontaine, Yo La Tengo, Yann Tiersen et Altin Gün.
Voici ce que j’y avais vécu.
1er soir : Viagra Boys/Fontaines DC
Le vent souffle ce soir. Mon photographe exceptionnel pour ce concert tarde à venir. Moto récalcitrante ou loups sur le chemin, sans doute. Ils sont dans la salle également ou plutôt dans ce fameux bassin de la piscine du Lignon, vidée pour l’occasion.
Fontaines DC comme en 83 à Sheffield cogne la gueule aux 150 imprudents ici présents à coup de ceinturon post punk. Mais le plat de résistance, ce sont tout de même les Viagra Boys, qui commencent leur set avec ‘Research Chemical’. Curieux choix d’entrer directement avec leur tube. Le chanteur en slipouse de bain et lunettes noires tente de faussement nous apitoyer avec son histoire d’anniversaire de gamin dans une piscine où il n’avait pas été invité. Oh poor kid. En le voyant, on se dit aussi que l’endive de Maroon 5 peut illico se rhabiller, ses tatouages sont bien plus cool.
Pour la suivante, nous pouvons célébrer le grand retour du saxo, Madness style. La voix et la musique fait parfois penser aux UK Subs et look à la Lux Interior, proche de la caricature parfois. Changement d’ambiance avec ‘Just like you ‘, dans une sorte de désenchantement pop qui me fait penser aux romans de Brett Easton Ellis. Si Shane McGowan a un fils, c’est sûrement Sebastian Murphy des Viagra Boys. Même hargne débonnaire et tronche en biais. Ça sent la bière, la sueur et les crevettes, si bien que le chanteur va piquer une tête dans la piscine pendant un titre instrumental. On est en pleines Influences Neu, Hawkwind, Primal Scream période XTRMNTR.
Fraichement revenu de la flotte, il est accueilli par une sorte d’homme grenouille sorti du public qui débarque sur scène, lui tend une serviette puis plonge dans la foule qui le regarde bodysurfer. Mouvement de liesse dans le public lors de ‘Sports’ et son égrenage. This song is about doing weird shit in your basement. Marrant pour celle-ci, on dirait Springsteen reprenant les Clash.
Puis petit ventre mou comme le bide du chanteur pendant une bonne dizaine de minutes. Il s’agirait de varier le rythme de croisière un chouia.
On y vient avec un titre basé sur la basse comme souvent chez eux, avec un petit côté Cure 86-87. Basse /saxo vicieux égal show venimeux. Excellent premier concert de cette nouvelle édition! Ça devient une habitude, les concerts à la piscine sont les plus cool d’Antigel. Et pour la suite de la tournée je les invite impérativement à reprendre ‘Swastika eyes’ de Primal Scream en rappel, ce ne serait que justice.
2e soir : Seamus Fogarty- Chat Noir
Cette nuit sera a(eire)ienne, pop folk et bandonéon. Ces trois acolytes puis Seamus Fogarty avec sa bouille et dégaine d’Irlandais, ça fait cliché, mais te donne envie de fêter la St Patrick avec lui dans un pub. En plus il est roux.
Le public massif, attentif, peut-être un poil trop poli, mais quelques mots en français, deux-trois anecdotes et du banjo suffisent à le mettre dans leur poche.
Très vite, je me dis qu’une fois le concert fini je me ruerai acheter les albums pour apprendre quelques chansons comme ‘Ghost’ ou ‘Chicago’, très épurée, harmonica et voix qui fuit parfois. Un peu de faiblesse humaine est bienvenue. C’est aussi ce qu’on aime à Antigel, le fait qu’on soit souvent à mille lieux des grandes productions ultraléchées. On y va aussi pour la proximité et la sincérité des artistes.
Pour les fidèles du festival, avec Seamus Fogarty, il y a un côté Grant Lee Buffalo à Genthod, qui partirait dans plusieurs directions. ‘Heels over head’, dans sa structure aurait fait une parfaite chanson pop 80’s de qualité. Ils nous gratifient en plus d’une chorégraphie à la noix qui nous fait marrer.
Puis quand même une chanson country irlandaise pour pleurer dans sa pinte de Guinness. Ensuite une chanson assez épique avec longue intro et couplets parlés sur la fin dont je ne me souviens plus du titre. Seul à la guitare, Seamus Fogarty psalmodie ‘Song for John’. Il en parlait comme d’une anecdote un peu aigre sur John Mayall mais il semblerait qu’elle parle surtout du suicide d’un ami. Triste. Et fait penser un peu à Murray Head. Merveilleuse idée, ils jouent une instrumentale et invitent qui veut à venir sur scène pour raconter une histoire, un gag, déclamer un poème…
Mais personne n’a osé. Je ne pouvais pas, je prenais mes notes pour l’article.
Genève figurera malheureusement sur la liste des villes timorées. Dernière chanson avant rappel, folk crescendo très cool. En rappel, je me marre tout seul car je crois comprendre que la chanson qui suit s’appelle ‘Seems forever’ car il met du temps à accorder sa guitare. Elle est très belle, simple et touchante. Comme une maîtresse d’école de Killarney. Ou de Carlow Town. Cette dernière touche plus particulièrement le directeur d’Antigel, Eric Linder, présent dans la salle. Il sillonnait la campagne irlandaise en voiture lorsqu’il entendit cette chanson à la radio. Il y a quelques origines dans cette ville. Et c’est l’une des raisons qui lui donna envie de programmer Seamus Fogarty.
À la fin, comme prévu, j’ai acheté les deux disques.
3e soir : Anna Calvi-Alhambra
Depuis la nuit des temps et pour une partie de l’éternité sans doute, les bonnes volontés citoyennes, rassemblées en simulacre de société secrète, se retrouvent à l’Alhambra, expliquant la nervosité qui s’était emparée du public piaffant. Impatients de découvrir l’animal sur scène, nous sommes entrés dans la loge blanche, celle où se rencontrent les esprits qui régissent l’homme et la nature. En l’occurrence ce soir, une femme mi-bête mi-vampire, dont la présence se détache soudain de la lourde tenture rougeoyante invitant l’homme ici présent à entrer dans son monde obscure et onirique.
Les chœurs quasi-religieux annoncent le mariage païen qui va suivre.
La prendrons-nous ? Nous prendra-t-elle ? Il sera question de manifeste sur la liberté de genre, de pensée, de sexualité. Seule face à mille, sa voix chaude nous susurre l’amour sous les projecteurs rouge sang. L’amour qui s’enfui parfois et dont le vide n’est comblé que par les griffes de sa guitare.
Cette mélancolie omniprésente épie, menace à peine voilée. Envoûtante nimbée de rouge, nimbée de bleu.
Elle ferme les yeux. Moi aussi.
Par la seule magie de sa voix, la naïade nous entraîne dans un ballet bondien, au ralenti, au fond de la piscine, qui se transforme progressivement en langue de lave. Mon cœur crie dans la poitrine ; les spectateurs pressentent que l’équilibre fragile de leur univers déjà mis en péril est en train de définitivement basculer et anticipent un avenir de plus en plus incertain. Tragique même. Comme un mauvais présage, le liquide rougeâtre, goutte à goutte, étire le temps. Trop. Il nous faut un réveil. Mais c’est surtout cette voix au loin qu’elle module jusqu’à la stridence.
Et tout s’inverse.
Le vent souffle dans les arbres, le train accélère la cadence. Les bucherons sont de sortie. On s’attendrait presque à voir débarquer Nick Cave et sa Red Right Hand. Gonflées de désir, les silhouettes entrent dans la chambre rouge, reluquent sa tenue écarlate, lui jetant un ‘I’ll be your man’ vicieux.
Ainsi au cœur de la nuit Calvi se transforme en la Juliette Lewis de Strange Days, pantelante et guerrière. Reprenant Polly Jean. Voit-elle un nain dansant, un manchot vieillissant ou les flammes incandescentes qui l’enveloppent, gluantes ? Ma main se tend, elle veut l’extirper de ce brasier.
Trop tard, elle hurle à en faire exploser les verres de notre si précieuse photographe. Au bord de cette béance, sur ‘Paradise’, elle trouve la force de monter d’un cran, puis d’un autre et d’un autre. La fin du set sera-t-elle dédiée à Zeena Schreck et Radio Werewolf ? Mais la gorge de la démiurge se desserre comme par magie. Le rouge tampon se fait plus doux, plus chaleureux. Le nain se frotte les mains, tout n’est qu’illusion.
‘If I were a devil’s plan ; Was made to torment man ; It was you, night and day, every day,Jezebel. ‘
On lève les yeux, moins d’une heure s’est écoulée, le set pris par les cornes du diable. Anna, Jezebel, c’était toi.
4e soir : Yo La Tengo-Alhambra
Emu, Eric Linder nous présente son groupe préféré, celui qu’il avait programmé il y a 25 ans au PTR, Yo La Tengo ! Je n’avais que 10 ans en 85 et étais passé par la suite à côté de ces pionniers de l’indie rock tendance noisy inclassable. Pour l’instant, c’est très minimaliste, hypnotique parfois mais un peu longuet. On aimerait que ça explose un peu plus. En gros pour le moment, j’ai plutôt l’impression d’assister à une sorte de jam qui dure et dure avec des petites variations soniques chichiteuses.
Le concert est divisé en deux parties et cette première est constituée principalement de rock soft sous cocktail héro Xanax. Le public lui aussi est scindé au moment des applaudissements. Une partie scande des bravos quand l’autre ne bronche pas. Le problème avec ce style c’est qu’on ne sait jamais vraiment quand le morceau est terminé et quand on devrait applaudir. Et on a peur d’être impoli. Mince ce n’était que la première ?
Les harmonies vocales du trio sur cette belle country folk sont tout à la fois profondes, caverneuses et aériennes. Georgia Hubley, la batteuse qui ressemble de loin à l’actrice Patricia Arquette, et Ira Kaplan, le chanteur à guitare, sont très touchants. Couple à la ville ils abordent gentiment la soixantaine. Et laissent songeur… On devrait pouvoir quitter l’Alhambra, s’allonger dans le désert et manger des champignons tout en regardant la voie lactée. C’est peut-être le côté Phish, fameux groupe de rock psyché de la même période qui m’inspire ces pensées et m’amène par tiroir à trouver que cette prochaine chanson aquatique pourrait parfaitement illustrer un documentaire des années 50 sur de futures villes sous-marines. Une autre rappelle l’amour perdu et les chansons qui font à présent du mal. Ici, les passages lunaires nous renvoient aux Flaming Lips et la voix de la batteuse à Kim Deal. Alors que celle-ci évoque les premières chansons des Peter Monkeys à la recherche de la pop perdue.
L’influence inconsciente ou non de Yo La Tengo m’apparaît sous une lumière nouvelle et me donne envie de les retrouver sur disques. Même si je baille encore parfois un peu. Beaucoup même. Comme dans ces longs tunnels de larsen, guitare/nappes de clavier /2-3 cymbales, un peu lourds à la longue. Si on est sympa ou un peu chamanique on peut y voir le mythe de l’homme pluie dans la hamada.
La deuxième partie débute sur les chapeaux de roues avec un Ira Kaplan proche du savant fou activant des logigraphes kubernétiques. D’ailleurs un type debout dans les coursives à notre gauche semble être lui-même manipulé, pris de la danse de Saint Guy.
Il y aura ensuite un peu de tout :
Une chanson bien cool très rock indé mais trop de larsen à la Sonic Youth.
Une ballade à la Neil Young/Pavement mais salie par des excès bruitistes pénibles et inutiles. Je ne sais pas ce que je suis devenu, mais je ne suis plus sensible à un gus qui pendant des plombes massacre sa guitare comme un gamin de 16 ans. La batteuse et le bassiste sont un peu les grands frères/sœurs de Kaplan. Ils le laissent s’amuser à faire du bruit et s’exciter dans son coin, tout en restant, eux, parfaitement stoïques dans ce capharnaüm sonique. Mon voisin et photographe me glisse que c’est sûrement la musique la plus blanche qu’il ait écouté depuis longtemps. Ça me fait rire car c’est très vrai. Il y a aussi de la pop jazzy super cool avec plein de cowbells que je déteste d’habitude. Un petit aparté un peu surréaliste à la Seinfeld. Une reprise du Velvet Underground, mais j’ai un doute. De nouveau un moment surbruitiste où il donne sa guitare dans le public pour des larsens à mille ! 10 minutes plus tard…boring. Une reprise gentillette des Zombies. On se réveille avec une excellente reprise de ‘Beautiful world’ de Devo emmenée par James McNew le bassiste. Juste parfaite ! Puis ils nous quittent sur la reprise toute simple et belle de Hank Williams, ‘I’m so lonesome I could cry’. De circonstance aujourd’hui…
5e soir : Yann Tiersen-Alhambra
Salle pleine à craquer pour son premier concert de la journée. Le disque, ‘ALL’, étant sorti la veille, je le découvre sur scène. Il s’assied seul au piano, timide.
Bonsoir. On répond bonsoir. Par habitude. Il est 14h.
Une grande mélancolie se dégage immédiatement de sa musique. Lui aussi a l’air triste. Un peu absent. Tout comme moi ; trop rapidement mon esprit se met à vagabonder. C’est un peu ce que je redoutais, le cocon de la mélancolie qui pousse à la réflexion et l’autoanalyse pas franchement agréable. Est-ce que ma plus grande erreur n’est-elle pas d’avoir peur d’en faire une ?
Il a l’air aussi de s’embêter. Pas très causant. Le concert est sûrement un peu trop tôt. Cette représentation a été ajoutée dix jours auparavant pour faire plaisir à ses très nombreux fans. Mais peut-être se réserve-t-il pour ceux qui ont acheté leur billet en premier, il y a des mois. Ah, je ne savais pas que le Revox était une invention suisse. C’est bien il y a quand même un côté ludique. Le cri des cormorans le soir au-dessus des dunes et celui d’enfants qui jouent sur la plage. Ca me fout un peu le bourdon. C’est très nostalgique et un peu simplet. Et je crois que si je me laissais happer totalement par la musique et l’ambiance je me mettrais à pleurer.
Un vrai Dimanche de pluie.
Je me ressaisis et m’énerve un peu dans mon coin. Il y a tout de même un côté un peu putanesque de la part de Tiersen. Sa musique très élémentaire (les virtuoses ou simplement les amateurs éclairés doivent l’avoir en horreur, comme Clayderman en son temps) joue sur des ficelles un peu grosses pour rappeler l’enfance et le temps qui s’enfuit. Ils sont quatre à présent sur la scène. Comme des choristes de luxe. Très beau passage en langue bretonne. On me fait d’ailleurs remarquer que ça aurait pu être du Sigur Ros en plus chaud. Et les images de vagues et de lichen qui défilent sur grand écran renforcent l’idée d’un Artus Bertrand de la chanson. Je bats un peu des paupières devant cette secte new age bretonne bien loin du Yann Tiersen presque punk noisy que j’avais apprécié il y a une douzaine d’années à Paris. Pas franchement non plus le même trip qu’Amélie Poulain qu’il faudra bien que je vois un jour. Il faudrait que je me renseigne auprès du labo où j’avais donné de quoi assurer ma descendance pour savoir pourquoi je ne reçois plus de facture annuelle. Parfois ce sont des tableaux de plusieurs titres qui se suivent et on ne sait trop quand applaudir, victimes que nous sommes du syndrome yolatenguiste. Et même quand il joue ses « tubes », le public ne trouve pas forcément ses marques.
Au fait, combien y a-t-il de fauteuils dans la salle ? Je me demande aussi si ce n’est pas la première date de la tournée ce qui expliquerait cette impression de répétition générale pour happy fews un Dimanche après-midi. Pas loin, ce n’est que la deuxième. Beau moment où il joue du piano et de l’accordéon simultanément. Curieusement il ne chante plus, laissant ce rôle aux choristes hommes ou femme. C’est dommage j’aimais bien sa voix sur ‘La Noyée’ ou ‘La Terrasse’, au début du siècle. Est-ce qu’à force de chercher l’introuvable on finit par perdre l’essentiel ? Encore un enchainement de saynètes, mais ont-elles un sens ? Si on ne le voit pas, autant se laisser emporter.
J’y arrive à moitié.
227 !
227 sièges il me semble. Mais je ne peux pas me retourner ni voir le balcon.
Il faut vraiment que je me détende. Aujourd’hui je me sens comme Yann et le temps breton, maussade. Ah quand même un rappel. Ce n’était pas si évident. Le public envoûté applaudit longuement. Les révélations de ce concert, ce sont surtout le choriste à la Corse et sa complice irlando-bretonne. Leurs voix sont superbes (surtout celle de la rousse païenne. Le type fait un peu comédie musicale, belle voix mais sans beaucoup d’aspérité) et apportent la chaleur qui manque à Tiersen. Nous sortons dans la brume, je reste groggy. A la manière d’un Yann Tiersen qui se serait pris une murge magistrale la veille et regretterait d’avoir accepté de faire deux concerts de suite et s’être levé si tôt.
Pas assez de réponses pour beaucoup trop de questions…
6e soir : Brigitte Fontaine et Laurent C.-Alhambra
La soirée la plus « différente » du festival. Laurent C et son orchestre ouvrent le bal. Au premier abord, dans la même veine qu’Adieu Gary Cooper et tous les trucs Bongo Joe/Cheptel. Toute la candeur des années 80. Soit on aime soit on déteste, mais pour l’instant on reste dubitatif. Variété française lorgnant sur un petit côté rock prog pas désagréable desservie malheureusement par un son pas toujours à la hauteur et l’impression de nous retrouver dans une MJC de Maubeuge en 87. Le public applaudit timidement mais poliment pour les encourager un peu tant ils semblent tendus comme des strings et peu à l’aise sur cette trop grande scène.
On se pose des questions, sont-ils une famille de potes de Brigitte Fontaine qui aurait formé un groupe pour assurer ses premières parties ?
C‘est malheureusement très bancal, la scène de l’Alhambra n’est absolument pas adaptée pour l’instant à ce groupe qui peine à se l’approprier et partager son univers.
Un ami (le fameux voisin du 8e) m’envoie sms sur sms et menace de monter sur scène pour arrêter le massacre. Nous, ça nous fait rire, surtout qu’à ce moment le bassiste pousse nerveusement du coude la guitariste pour pouvoir faire les chœurs. C’est très naïf et semble sincère, genre variété rock 80’s avec coupe mullet du chanteur en prime. On se moque un peu mais en fait ça nous rappelle tellement de souvenirs…C’est peut-être le soudain coup de vieux qui embête certains. Quelques titres restent dans la tête dont le très entraînant ‘Pa-pa-pa’. Le groupe est touchant mais ce n’est pas du niveau d’Antigel. Dernières paroles du chanteur en quittant la scène : « Merci pour votre indulgence »
Ça me fait de la peine pour eux.
Ils n’étaient tout simplement pas totalement prêts et trop impressionnés face au public de l’Alhambra. On ne peut absolument pas leur en vouloir et une fois rentré, j’ai écouté plus tranquillement leur album que je remets de temps à autres. Pendant l’entracte, une dame d’un certain âge bien calée dans son fauteuil sort des insanités et se marre avec sa copine. Elles pourraient être les sœurs de Brigitte Fontaine. La pénombre se fait et surgit soudain la prêtresse caïman-phoenix. La messe peut commencer. De même durée. Entre psaumes et liturgies pour défroqués. Brigitte Fontaine harangue la foule de fidèles, s’en prend à elle malicieusement, distribue les bons points et clins d’oeil alors que son vicaire tisse des mélodies tantôt hard rock flamenco tantôt blues sec. La complicité est parfaite entre les deux, presque maternelle. Brigitte Fontaine se rassied sur son trône.
On ne sait pas bien si tout est millimétré ou improvisé. Franz des Young Gods, dans le secret des autres dieux, me livra une autre explication. Mais cela est une autre histoire… Puis comme pour souligner mes analogies religieuses, le guitariste (ancien de Bashung) déclame’ La Bonne du curé’.
Plus trivialement à présent nous rejoignons la cuisine et sa drôle d’odeur
« J’ai perdu la raison et le chemin – J’ai gagné l’art de délirer sans fin ». Faire marrer et charrier. Tel pourrait être le credo de Brigitte Fontaine, auteur-compositeur, romancière, poétesse, trublionne. Etre humain hors-norme et assez génial dans son genre. Parfois elle prend une sorte d’accent antillais comme sur la fameuse ‘Lettre à monsieur le chef de gare de la tour de Carol’ et je n’arrive pas à savoir si c’est volontaire ou pas. Ce qui ne choque absolument pas tant elle fait penser à une vieille blues woman sur son rocking chair. Cette lionne qui nous parle reprend même un bout de ‘Que je t’aime’ sans que cela soit ridicule. Telle une Darth Vader terrienne, elle finit de nous hypnotiser avec le formidable blues sonicyouthien. « Le vertige me prend Au détour de la rue Au rivage aveuglant Ou je dors demi nue Mais je ne voudrais pas Changer encore de gîte Ne désespérons J’apprendrai bien les rites On s’habitue à tout Terriens je suis à vous J’fais un genre J’fais un genre humain ».
Brigitte Fontaine a dit.
7e soir Cyril Cyril /Altin Gün-Usine
Nous nous retrouvons avec Sabrina redevenue amicalement ma photographe du soir à l’étage pour un meilleur point de vue et pour éviter la fournaise d’une Usine chauffée à blanc par la world music 2019 de Cyril Cyril. Duo composé d’un excellent batteur (Plaistow, Insub Meta Orchestra) et du chanteur banjoïste, le fameux Cyril de Bongo Joe. Leur blues du désert et la fusion rappelant parfois Gnawa Diffusion, creusent leurs sillons insidieusement se transformant lentement en sorte de jam hippie dans laquelle tu verrais débarquer des dreadeuses blanches de retour d’un séjour au club Med de cap Skirring et se prennant pour des mamas danseuses sénégalaises.
Altin Gün, on nous avait pas menti sur la marchandise, du rock psyché turc. Ambiance film policier 70’s à la cool à Istanbul. Mais bizarrement, j’ai l’impression que la communauté turque ne s’est pas spécialement déplacée en masse. Nous sommes plutôt entre amateurs éclairés ouverts d’esprit.
C’est vraiment bon, très dansant, presque disco et funky par moments, genre Belmondo dans sa bulle orange qui écoute du Moroder ou du Roger Troutman. Le clou du spectacle, c’est ce bon pote, sorte de Jean Yann à la bougonnite tout autant souvent de façade, qui, le sourire aux lèvres, tapote le rythme des chansons sur le coin du bar. Flairant le bon coup, Antigel a semble-t-il co-programmé cette soirée prévue depuis un moment par Kalvingrad. Que grâce soit rendue aux deux organismes. Il faut être honnête, Altin Gün et les excellents musiciens dont certains de Jacco Gardner, c’est du bon mais tout n’est pas spécialement géniallissime, il y a aussi des chansons variéto-loukoums qu’on pourrait entendre dans un taxi de Kusadasi. Le dernier quart d’heure nous plonge dans une sorte de rave 90’s avec jeux de lumière, snapping dance et sensualité à la Ofra Haza. Très étrange et fun.
Conclusion
En résumé, ce festival fut saignant et poignant. Insensé. Intense. Parfois longuet puis palpitant. Hypnotique et sacrément humain après tout.
On avait faim et froid, des plaies, des blessures.
Une sacrée envie de vivre et de tout réparer.
L’envie de croire qu’une tuante saison en enfer était déjà bien assez pour mériter enfin un peu du bleu du Paradis.
Et avancer, main dans la main, vers la prochaine édition.