‘Les Romands sont gâtés’, prophétisait Jacques Monnier, le programmateur du Paléo, ‘il ne suffit plus d’annoncer une star et d’installer une scène pour rentrer dans ses frais, il faut leur proposer une vraie expérience.’ Les géniteurs de l’Antigel semblent être parvenus au même constat tant son caractère protéiforme tranche avec le formalisme de nombreux de ses cousins égrenés le reste de l’année. Comme la glace qui se craquelle en multiples plaques à la surface du lac à la fin de l’hiver, l’Antigel trouve son identité dans le morcellement de cette dernière, et la réaffirme à l’occasion de son dixième anniversaire.

Dans l’espace d’abord : comme le Palp en Valais, Antigel repense le concept du festival en occupant divers lieux éparpillés à travers le canton de Genève. Parfois c’est l’occasion d’amener de la musique dans un lieu qui n’en a pas l’habitude, comme au Bain Bleu – lieu inédit qui s’intégrera pour la première fois au festival en accueillant deux artistes électroniques qu’un public trié sur le volet – c’est déjà sold-out – appréciera dans les volutes de vapeur de ce spa à Cologny. L’aéroport de Genève, où se produiront les pionniers allemands de la musique électronique Kraftwerk, révèle l’opiniâtreté d’organisateurs que les contraintes techniques et logistiques ne font pas reculer.

La sympathie des programmateurs pour les musiques électroniques ne s’arrête du reste pas à ces seuls événements. La qualité du line-up des afters sises au Grand Central, à la Caserne des Vernets, organisées en collaboration avec le Motel Campo – espace genevois hybride entre galerie d’art contemporain et club techno – en témoigne : Skatebård, Tommy Four Seven ou encore Stanislav Tolkachev sont autant de noms dont le génie évanescent a été capturé par de précieuses sessions Boiler Room  retrouvables sur internet.

Enfin, avec Kraftwerk, le morceau le plus réjouissant de la partie électronique de la programmation sera sans doute la venue de Tony Allen et Jeff Mills. Le premier est un des percussionnistes les plus respectés de l’afrobeat, le second est un incontournable de la techno de Detroit ; leur association l’an dernier a donné naissance à l’un des plus rafraîchissants albums de musique actuelle sortis l’an dernier, susceptible de réunir ravers et quinquas amateurs de jazz.

Ceux-ci pourront aussi se risquer à The Comet is Coming, l’un des projets du saxophoniste britannique Shabaka Hutchings ; le virtuose est parvenu à ouvrir la porte des grands festivals de musique actuelle – Glastonbury ou, plus près de chez nous, du Kilbi Festival à Guin – avec son approche viscérale du jazz, lui livrant une énergie rock à la nouveauté moins abrupte qu’elle ne se l’annonce sur le papier.

Ces explorations ne doivent pas laisser penser que les programmateurs boudent les bonnes vieilles guitares. A côté des piliers du post-rock que sont Explosions in the Sky, mis au défi par leur première partie, Dan Deacon, c’est le folk en particulier qui sera à l’honneur. La frêle Pomme aura la responsabilité de défendre sa déclinaison francophone, avec une douceur que ne renieraient ni l’Islandais Ásgeir, ni Devendra Banhart, un des bijoux de cette programmation, qui flattera les oreilles genevoises de son folk à cheval entre les traditions musicales latino-américaines et country. David Eugene Edwards, la tête pensante de 16 Horsepower et Wovenhand, puisera plus profondément dans les racines folk américaines ; si l’on se demande à quoi ressemblera le concert, on ne craint pas la déception vu le CV du bonhomme.

C’est quasiment faire honneur à cette programmation dense, variée, éclectique – nous n’avons rien dit de toute la partie ‘Arts vivants’ du programme – que de rendre les armes et d’inviter avec véhémence le curieux à consulter la programmation sur le site du festival. L’offre est telle qu’il apparaît impossible de le quitter sans billet en poche.

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