« La Source du Hardcore »
Malgré le style Hardcore qui fait office de thème, la soirée commence tôt et doucement. Les spectateurs, qui viennent sans doute de souper, comme moi, préfèrent admirer la scène de loin en sirotant leur bière. Quelques-uns, moins timides, s’approchent tout en se gardant une certaine réserve dans la posture et l’attitude. Mon intuition me dit que tout ça n’est que façade: maintes fois, je me suis fait surprendre par l’énergie d’abord dissimulée, mais qui finit tôt ou tard par tout faire exploser. Pas étonnant qu’on décide de se garder des forces: on aura droit à une soirée de longue haleine. Au total, 9 groupes originaires d’un peu partout dans la province fouleront les planches, allant jusqu’à l’état de New York avec Borrowed Time, en passant par Ottawa pour Life On Trial. L’organisateur m’informe qu’il y en aurait eu 11 s’il n’avait pas eu deux cancellations. On peut dire qu’il avait de l’ambition pour une soirée froide de février!
Quoi qu’il en soit, je me retrouve au bar à 18h, entourée d’une foule en grande majorité barbue et vêtue de chandails de groupes et c’est We All Rise qui ouvre la soirée. Sans vouloir faire de jeux de mots douteux, la formation est loin de tous les faire lever. Effectivement, l’ambiance manque à l’appel malheureusement pour les musiciens qui s’efforcent d’encourager la participation. Le chanteur s’avance jusqu’à l’extrémité de la scène pour compenser le manque d’activité au parterre et réduire la distance entre lui et son public. Je dois donc attendre qu’il recule pour être capable de l’attraper avec mon objectif au moment précis où il croise la lumière du centre. Le technicien de son, aussi préposé à l’éclairage, viendra plus tard à mon secours et profitera de la préparation du deuxième groupe pour y faire quelques ajustements.
Place maintenant à Wrong Beliefs avec des musiciens qui semblent tous être de ma grandeur. Quelques curieux prennent place au-devant lors des premiers accords. Avec ses shorts de sport, le chanteur me fait penser à un boxeur qui se prépare à l’assaut: il souffle à pleines joues, sautille, donne des coups. J’ai l’impression de l’entendre hurler « Adrienne »! Ses manières d’empoigner le micro sont aussi sauvages qu’originales.
La foule semble physiquement plus nombreuse, mais les encouragements sonores se font rarement entendre. Le groupe de Thetford Mines ne fait pas non plus dans les longs discours et ne semble pas s’embêter à soigner les transitions entre ses chansons. Il qualifie ses paroles d’anti-religieuses, mais je ne peux réussir à en capter assez pour corroborer l’affirmation. Un incident de bière survient: enfin un peu de mouvement dans l’assistance! On tasse les éclats à coups de pied et on continue!
Les groupes alternent à un bon rythme. Je ne regarde pas souvent l’heure, mais j’ai l’impression que l’horaire est respecté. On enchaîne donc avec The Undeniable Truth. Après l’anti-religieux, voici le religieux teinté d’une conscience humaine. Je m’explique: la formation de Québec décrit son style comme respectant les enseignements du Christ tout en acceptant l’humanité à travers de son égoïsme, de ses chutes et des échecs (traduction libre, source: Bandcamp). Suivant Dieu ou pas, ses membres font preuve d’une énergie débordante et appelant au soulèvement général. Ils pourraient sans nul doute mener des gens au combat, car on dirait que c’est précisément ce qu’ils font. Leur attitude me paraît engagée et convaincante. Plusieurs chanteurs s’échangent le deuxième micro, descendant de scène dès qu’ils ont passé le flambeau. Les adeptes de la danse à coups de poing s’en donnent à coeur joie et il faut dire que la musique y est propice. Je me tasse rapidement pour leur laisser le champ libre.
Les applaudissements se font entendre et les hochements de tête se multiplient. L’atmosphère commence à s’alourdir et c’est de bon augure! Pour un groupe qui se dit suivre le Christ, ils ne me paraissent pas très sages, mais on ne peut pas dire qu’il manque de prestance! Ils sont 4 mais déplacent de l’air comme 15. Le chanteur et ses musiciens se laissent complètement aller. Signe qu’ils sont rodés et qu’ils ressentent bien ce qu’ils font. On les sent présents, ce qui nous incite à en faire autant.
La scène se démonte et se remonte à une vitesse hallucinante. Carey, vient ensuite. Je remarque un changement dans le style vestimentaire. Avec leurs lunettes sur le bout du nez et leur concept de mine d’amiante, on peut dire que ces punks d’East Broughton savent se démarquer. La voix éprouve vite quelques déraillements et doit laisser place à deux pièces instrumentales, le temps de se reposer. Petit pépin qui, au final, ne me déplaît pas du tout. L’ambiance s’apaise, mais le public reste accroché aux mélodies mélancoliques. Une vingtaine de personnes collées sur la scène semble s’imprégner du moment, en symbiose avec les musiciens. Le chanteur finit par revenir, mais devra s’avouer vaincu après trois chansons.
Go to White Castle fait son entrée et me pousse vers la sortie. Comme je ne suis pas très fan des couinements, j’en profite pour aller me restaurer. Je note quand même au passage que l’agressivité dont ils font preuve soulève la foule encore une fois.
Entre temps, passe Watch Your Step, un groupe qui mélange emo, métal et punk de Sherbrooke. Je reviens à temps pour les trois têtes d’affiche, à commencer par Life on Trial. Ce serait un outrage de ne pas mentionner la titanesque barbe grise du chanteur qui lui arrive en dessous de la gorge. Entre deux chansons, il explique à l’auditoire qu’il puise son énergie à même le public et l’enjoint de se déchaîner. Ses paroles ont leur effet. Les moins aventureux se retranchent vers l’arrière et j’en fais de même, ne serait-ce que pour protéger mon équipement. À un certain moment, j’aperçois l’un des amplis qui fait un vol plané. Beaucoup se sont découragés en cours de route. Ne reste devant que les plus casse-cou. Le chanteur n’hésite pas à se lancer en bas de la scène pour nous crier directement ses paroles au visage.
Les gens se dispersent après leur performance et Hour of Defiance doit les rappeler à l’avant. Malheureusement pour eux et pour Borrowed Time, la participation ne fera plus que se dégrader. Hour of Defiance garde malgré tout son énergie. Les guitares et la basse semblent former une ligne de défense derrière le chanteur, un peu comme au front. Plus qu’une cinquantaine de personnes pour assister au spectacle. Je repère néanmoins du mouvement à l’avant: quelques motivés se manifestent encore. Le groupe entame « Rejection », une chanson qui veut rejeter tout type de religion. Le thème me paraît d’actualité.
Borrowed Time se révèle être précis et professionnel. Les gars de Rochester (NY) performent tout de même avec coeur devant une assemblée éparse. Parmi les quelque cinquante personnes restantes, beaucoup sont des membres des groupes précédents qui se sont laissés tenter par une dernière bière. L’intimité du spectacle permet à deux-trois chanteurs de se joindre aux musiciens sur scène pour échanger quelques couplets avec eux. La soirée se termine en beauté et après les sept heures que je viens de passer, je m’étonne de la faible intensité de mon acouphène.
Des 180 personnes ayant indiqué participer à l’événement sur Facebook, la foule en aura peut-être atteint les trois quarts à son paroxysme. Malgré une programmation bien garnie, le rythme s’est maintenu toute la soirée et l’enchaînement entre les groupes s’est fait dans une rapidité et une efficacité remarquables. On peut également dire que le choix des formations était en harmonie avec la thématique: les amateurs de hardcore ont été servis! Les prestations ont plu, de façon générale, même si quelques groupes ont dû faire face à un public plutôt statique. La participation inégale des festivaliers contrastait avec l’énergie déployée par les musiciens pour enflammer la scène et la salle. Aucun groupe ne m’a cependant paru se démarquer, si ce n’est Carey avec son style différent et l’atmosphère de ses instrumentaux. Les deux groupes ayant reçu le meilleur accueil auront sans aucun doute été The Undeniable Truth et Life on Trial.
Texte et photos: Jessica Dufour
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