Deep Purple
Machine Head fête ses 48 ans
Sorti le 25 mars 1972
Sept titres et seulement trente-sept minutes vingt-cinq secondes, l’album qui amena Deep Purple vers la stratosphère fut enregistré dans les couloirs d’un hôtel vide de Montreux, le Casino ayant brûlé lors du concert de Frank Zappa quelques jours avant l’enregistrement dans cette salle… Incendie au bord d’un de nos jolis lacs qui engendra d’ailleurs une chanson et un riff parmi les plus mythiques de l’histoire du hard rock…Et un autre titre avec un riff monstrueux de la part d’un des guitariste les plus extraordinaires qui soit, un claviériste magique et une-euh voix, mais une-euh voix…A réécouter. Urgemment. Sur CD. Ou Vinyle. En ne faisant que ça. Pas sur Brozi-stream et dans les transports publics. Et en entier. Car en plus tous les autres titres sont superbes.
Mais un peu d’histoire pour commencer :
Deep Purple, fondé en 1968, commence par enregistrer trois albums influencés par le psychédélique et le classique. Puis en Juin 1969 arrivent un nouveau chanteur, Ian Gillan et le bassiste Roger Glover, qui complètent le claviériste John Lord, le batteur Ian Paice et le guitariste Ritchie Blackmore. Blackmore et Lord étaient insatisfait de la musique produite et ayant écouté Led Zeppelin (le premier, sorti le 12 janvier 1969) voulaient se diriger vers du hard rock, d’où le changement de formation. En attendant leur quatrième album et vu leurs finances précaires, ils ont accepté de suivre pour une dernière fois John Lord dans ses idées classiques et jouèrent un concerto à Londres avec un orchestre classique. Ceci fait et préparant leur prochain album, ils engagent un nouveau producteur, Martin Birch (qui ne produira ensuite pas moins de sept albums d’Iron Maiden). In Rock sort en juin 1970, puis Fireball en juillet 1971. Le succès arrive enfin, tant par ces deux albums que par des singles, comme ‘Black Night’ ou ‘Strange Kind of Woman’.
Pour leur sixième album, ils ont loué le célèbre ’Rolling Stones Mobile’, studio installé dans un camion, et veulent enregistrer dans le casino de Montreux (sans spectateurs car fermé l’hiver), pour avoir un son qui se rapproche du Live, et pour la première fois prendre le temps d’écrire et enregistrer. Claude Nobs le leur a réservé pendant les 3 semaines de battement. Ils sont donc arrivés le 3 décembre 1971 et attendent de pouvoir prendre possession des lieux après le dernier concert de l’année, Frank Zappa le 4 décembre à 15h. Le camion studio et tout le matériel ont été garé derrière le bâtiment. Malheureusement pendant ce concert, un fan a envoyé dans la salle une fusée éclairante et y a mis le feu. Le chauffeur du studio camion a juste eu le temps de déguerpir et le mettre à l’abri.
Claude Nobs a réussi à trouver un autre lieu pour enregistrer, le ‘Pavillon’ à Territet. Sur plainte des voisins et à cause du bruit, notre gentille police est vite venue virer tout le monde, au moment précis où Deep Purple était en train d’enregistrer ‘Smoke on the Water’, mais les bon vieux roadies britons se sont mis derrière la porte pour la bloquer, le temps de finir ce titre. Claude Nobs a trouvé un autre hôtel fermé pour l’hiver, le Grand Hôtel de Territet, pour que l’aventure continue.
Le défi a tout de suite été pour Martin Birch de trouver où s’installer pour enregistrer. Il a mis la main sur l’endroit avec une acoustique parfaite, à la fin d’un corridor derrière le lobby vide, en calfeutrant les portes avec des matelas pour améliorer le son et mettant Ian Paice et sa batterie dans un décrochement du couloir.
Après chaque titre et pour savoir ce qu’en donnait l’enregistrement, il fallait sortir de ce couloir, entrer dans une chambre, sortir sur le balcon, l’enjamber pour passer sur le balcon d’à côté, rentrer dans l’autre chambre, passer deux portes, descendre un escalier en colimaçon, traverser le hall, puis l’arrière-cour, monter les marches du camion, ouvrir la porte, écouter la prise. Et évidemment Martin disait souvent : pas mal, mais vous pouvez m’en refaire une ? Et ainsi ils faisaient le chemin inverse… Tous les titres ont été enregistrés comme un Live avec le groupe qui joue ensemble, ce qui permet de s’écouter, se suivre artistiquement et d’explorer de nouveaux sons ; mais une prise doit bien-sûr être parfaite pour tous, car il n’y a pas de possibilité de juste refaire ou modifier une piste avec ce type d’enregistrement.
Machine Head est le surnom d’une tête de guitare électrique, et Roger Glover nous dit (dans le très bon DVD ‘Machine Head’ de la série Classic Albums, Eagle Vision, 2002) que c’est lui qui a eu l’idée du titre, ‘Machine’ et ‘Head’ pris séparément sonnent bien, et encore mieux ensemble. Et Machine fait penser au métal, le Heavy Metal était à ses débuts, même si Deep Purple faisait du Hard Rock. Il ajoute en souriant qu’au dos de l’album, il y a une photo de ‘Machine Head’, en fait d’une basse Fender Precision, mais que Roger n’en utilisait pas sur cet album, pour la petite histoire…
Les titres de l’album seront les suivants :
- Highway Star – 6:05
- Maybe I’m Leo – 4:51
- Pictures of Home – 5:03
- Never Before – 3:56
- Smoke on the Water – 5:40
- Lazy – 7:19
- Space Truckin’ – 4:31
‘Highway Star’ a été écrit dans un bus entre 2 concerts dans le sud de l’Angleterre : Ritchie Blackmore se promenait en grattant le riff de début, Ian Gillian a commencé à chanter dessus et voilà ; le soir même, ils le jouaient en concert !
Ritchie nous dit que ses solos étaient très spontanés en général, à l’exception de Highway Star. Martin Birch confirme que Ritchie lui a fait écouter plusieurs solos en train d’être écrits et qu’ils ont choisi celui-là, composé en fait lui-même de plusieurs parties de solos rassemblées, avec une partie Arpeggio un peu Mozaresque, précise Ritchie. John Lord ajoute que les paroles étaient parfaites, avec leur côté voitures-nanas qui passait très bien. Ce titre montre immédiatement l’étendue du talent de Deep Purple, une mise en route crescendo, clavier-guitare, la voix de Ian qui arrive et paf, Ritchie nous rentre dedans et coupe l’intro pour lancer la suite, qui comprend Ian Gillian au sommet de son art, John Lord qui nous conduit le titre avec son clavier et nous fait un superbe solo, et Ian Paice magique derrière sa batterie pour soutenir le tout. Puis peu après le milieu de la chanson, Ritchie Blackmore nous sort un solo stratosphérique, rapide, puis encore plus rapide, puis…Immense.
‘Maybe I’m Leo’ débute avec un John Lord au sommet de son art et qui nous pose un riff entraînant avec son clavier Marshallesque, qui immédiatement rentre dans les têtes et qui revient et revient pendant tout le titre. Chanson un peu plus lente, Ritchie nous pose un solo un peu plus classique au milieu puis à la fin mais toujours parfait. Belle piste de batterie tout le long.
‘Pictures of Home’ commence par un superbe solo de batterie de Ian, qui ensuite soutient le titre avec sa superbe piste de batterie, qui semble simple mais qui est en fait très travaillée comme à son habitude, Ritchie nous dit qu’il avait entendu une sorte de riff bulgare sur une radio longues ondes (!) qui lui a servi de base et idée pour le titre et sa partie de guitare, John Lord pose sa piste synthé rapide succession de notes ‘chromatiques’ et pour lui, c’est presque le meilleur titre de l’album. Et afin d’obtenir un son proche d’une guitare électrique, il branchait son synthé sur un ampli Marshall, ce qui est devenu sa marque de fabrique. Et Roger nous gratifie même ici d’un solo de sa basse du plus bel effet.
‘Never Before’ a été plus travaillé que les autres titres et est un favori pour le groupe, même si certains « critiques » le trouvent moins intéressant, démarre avec un groove qui saute de l’orgue à la guitare. Puis Ian Gillian a essayé pour son chant un son ‘double tracking’, très Beatles par moment, soit rechanter par-dessus une première prise pour en avoir 2, et il ne les mixe pas rapprochées et précises mais un peu plus souple, pour donner plus de caractère.
‘Smoke on the Water’ est un riff que Ritchie Blackmore a écrit dans l’excitation du moment à Montreux, nous dit-il. Il était important de le garder simple. Il se rappelle que Pete Townsend lui a dit une fois : « garde les choses simples pour mieux embarquer le public avec toi ». Smoke on the water est très simple mais unique et instantanément reconnaissable, un peu comme les 4 notes de Beethoven. A la différence des guitaristes amateurs qui le jouent, les cordes sont en fait pincées, précise Ritchie.
Roger Glover nous raconte que Ritchie jouait ce riff en boucle, le relançant en cours de morceau. Et pour le titre, Roger dormait et l’a pensé en se réveillant. Puis il a essayé de se le rappeler et il l’a prononcé, ‘Smoke on the Water’ ! Au petit déj, il a mentionné le titre à Ian Gillian, qui lui a dit : parfait pour une chanson sur les drogues. Et comme le dit Roger, les Deep Purple étaient anti drogues (mais pour la picole). Donc ils ont mis ce titre de côté. Mais comme à la fin il leur fallait un titre de plus sur cet album ils se sont dit, si on utilisait ce titre pour raconter ce qui est arrivé avec l’incendie du casino ? Car le vent descendant de la montagne poussait la fumée de l’incendie sur ‘Lake Geneva’, comme se le rappellent Ian et Martin. Et ainsi est né un monument du Hard Rock avec un des riffs les plus connus et écouté sur notre petite planète.
‘Lazy’, titre un peu boogie, jazzy, John s’amuse au début du titre avec un son très orgue et très sombre par moments, avant d’être coupé brutalement par Ian Paice et sa batterie et qui lance ainsi superbement le rythme du reste du titre, suivi par Ritchie et un de ces riffs super entraînant dont il a le secret. Voix très soft de Ian G, qui joue même de l’harmonica.
‘Space Truckin’ : John domine le début du titre avec son synthé, accompagné par un superbe Ian Paice, avant que Ritchie arrive avec un son simple et répétitif, presque vicieux, et là il lance un riff brutal, dont Ritchie nous dit que l’inspiration est la musique de la série ‘Batman’ des années soixante. Seul un génie peut nous sortir ça, c’est sûr. Il était allé jouer ce projet de riff plein de doutes vers Ian G pour avoir son avis, il a aimé, Ritchie a ensuite suggéré timidement quelque chose comme ‘Come On’ pour démarrer les paroles ; Ian s’est souvenu en même temps d’un dessin animé ‘Truckin’, a rajouté ‘Space’ pour coller à l’époque et voilà !
L’album ‘Machine Head’ a ainsi été enregistré en 3 semaines et 3 jours, tout est simple, rapide, on va vite à ce que l’on recherche, sans trop essayer de choses ni trop se creuser la tête ni rajouter des fioritures, c’est ce qui fait sa beauté et sa force.
Machine Head peut ainsi être vu comme un album pivot dans la carrière de Deep Purple, les amenant au sommet du Hard Rock naissant. Il met en avant les cinq talents exceptionnels qui composent ce groupe, mais aussi de part ce type d’enregistrement, tous jouant ensemble plutôt que séparément comme dans un album studio classique, il permet aux cinq de se sublimer et de s’attirer mutuellement vers des sommets. Pour beaucoup, ce ‘Line-Up’ de Deep Purple, appelé ‘Mark II’ et qui ne durera que quatre ans ne fut jamais égalé tellement il était parfait. Ritchie Blackmore qui vient d’ailleurs de se séparer de sa femme teutonne qui l’avait attirée vers leur groupe de sons médiévaux et qui donc revient à ses amours hard-rockeuses, dit qu’il n’est pas contre une reformation, mais pour un seul et unique concert, pour les fans uniquement et pas pour une tournée mondiale de fin comme tant d’autres. Prions les dieux du rock pour que cela arrive.
‘We all came down to Montreux, On the Lake Geneva Shore…Smoke on the Water, Fire in the sky’
[Jean-David Jequier]