Longtemps, la vieillesse fut l’ennemi du rock. « J’espère mourir avant d’être vieux », cri du cœur des Who en 1965, fut celui de toute une génération. Certaines idoles ont exaucé ce vœu : Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison … accédant ainsi à une jeunesse éternelle à travers leurs enregistrements immortels. Aux survivants incombaient la lourde tâche de réaffirmer constamment leur pertinence à l’aube de leurs exploits passés. Les années ont passé et à 50 ans, puis à 60 ans, ces dinosaures donnaient trop souvent raison à leurs détracteurs, enchaînant disques décevants, entre autoparodie gênante et jeunisme navrant. On finissait finalement par leur être reconnaissant de laisser tomber la création pour se consacrer à des concerts rétrospectifs et à des rééditions soignées. Sauf que c’est mal connaître ces artistes et que les rockers brillent toujours au crépuscule. Au soir de leur vie, David Bowie et Leonard Cohen laissaient un bouleversant testament musical et semblaient plus inspirés que jamais, comme un signal donné à leurs contemporains et comme si la fin de vie était un carburant pour nourrir des œuvres qui ont du sens. En attendant le fossoyeur, Iggy Pop, lui (69 ans au compteur), est parti s’acoquiner avec Josh Homme (Queens Of The Stone Age) et nous a livré un remarquable Post Pop Depression d’une richesse et d’une délicatesse inouïe, abreuvé de son regard plein de compassion et de dérision sur le monde qu’il va bien falloir quitter un jour. Et voici que sort ces jours-ci le très attendu Gimme Danger. Dans ce documentaire, l’excellent Jim Jarmusch, à qui l’on doit notamment Dead Man avec Johnny Depp, rend hommage aux Stooges, le groupe de rock sauvage pionnier du punk emmené par Iggy Pop. Pour coller à l’urgence et à l’intensité du quatuor, le cinéaste américain offre un montage nerveux et une avalanche d’images, d’infos et d’anecdotes. Ce qu’il faut retenir en huit étapes :
1) Enfant, Iggy était fasciné par un show télévisé. Le présentateur humoriste invitait les enfants à lui envoyer des lettres, mais précisait qu’elles devaient être écrites en 25 mots maximum. Iggy en a tiré une leçon pour le futur : faire simple, court et direct pour ses propres chansons.
2) Son inspiration première ? Le vacarme industriel des usines de montage automobiles Ford de son enfance près de Detroit, dont on retrouve la trace dans la musique des Stooges. Mais un jour, Iggy en a « eu marre de jouer derrière un cul » et a réalisé que tout compte fait, taper sur des fûts n’était pas son rêve. Il a préféré en apprendre les rudiments à Scott Asheton.
3) Alors que ses parents et lui vivaient dans un mobil home à Ann Arbor (banlieue de Detroit), Iggy ne pouvait caser sa batterie volumineuse que dans le living room, où elle occupait tout l’espace. Chaque soir, il en jouait à faire trembler la caravane. « Mes parents ne se sont jamais plaint », remarque-t-il. Au bout d’un an, ils lui ont simplement cédé leur chambre pour qu’il puisse y installer son lit et son bruyant instrument.
4) « On était de vrais communistes », se souvient Iggy Pop au sujet de la vie qu’il partagea à Detroit avec les frères Asheton (Ron et Scott) au lendemain des émeutes de 1967. Vivant dans la même maison, ils partageaient tout : la nourriture, l’argent et même les crédits des chansons. « Mais nous n’étions pas politisés » précise-t-il. Contrairement aux membres du MC5, groupe de rock également de Detroit, « qui étaient des communistes bien plus sérieux que nous ». Iggy raconte d’ailleurs comment il a refusé, en se roulant par terre, que les Stooges accompagnent le MC5 à la Convention Démocrate de 1968, qui s’était terminée dans le sang. « Nous, on se tenait à l’écart de la politique, c’est pour ça qu’on était taxés de nihilistes », rappelle l’Iguane.
5) Direction Los Angeles pour leur second album, le monument incandescent de free rock qu’est « Fun House ». « On expérimentait une musique plus agressive, avec plus d’espace, comme ce que faisait Miles Davis et ce que faisait aussi James Brown avec Maceo Parker … mais sous acide », analyse Iggy Pop. « Le studio Elektra était merveilleux », dit-il encore. « Une seule pièce, un beau tapis. Et j’avais mon propre ampli. » Au Whisky à Gogo (Los Angeles) et au Fillmore (San Francisco) où ils se produisent alors, « personne n’avait jamais rien vu de tel ».
6) C’est à Los Angeles, durant l’enregistrement de « Fun House » qu’Iggy dégotte l’un des plus fameux accessoires de son look de scène. « Il y avait une boutique d’articles pour chiens, à Santa Monica. Un jour, j’y ai vu un collier pour chien rouge. Je me suis dit que ce serait génial de porter ce collier. Je l’ai acheté et je le portais tous les jours pour aller en studio. » Puis en concerts. Mais il est incapable aujourd’hui de donner un sens à ce look qui a essaimé plus tard chez les punks (nous, on pense bêtement à leur chanson « I wanna be your dog », non ?). En revanche, il sait pourquoi il apparaissait torse nu sur scène : parce qu’il avait remarqué que les pharaons égyptiens portaient rarement des chemises !
7) Au début des années 70, le groupe est usé, lessivé, et rongé par les drogues. « On jouait comme des pieds, parfois j’arrivais à chanter … parfois non ! ». Le label Elektra les vire. Une fois désintoxiqué, Iggy part à New York où David Bowie demande à le rencontrer puis le fait venir à Londres pour enregistrer. Si Bowie l’a sauvé du chaos, Iggy n’a pas de mots assez durs contre son manager Tony De Fries avec « son gros cigare » et « son manteau de vison ». « Il demandait un travail dément contre une part ridicule du fric. Je ne comprenais pas bien qui possédait quoi et avec qui j’avais signé. » En fait, « il ne nous a jamais voulu », assure-t-il.
8) L’industrie a « vidé le rock de son sang » dénonce Iggy qui dézingue, une fois de plus dans ce film, managers pourris et maisons de disques. Selon lui, l’industrie « a tout manigancé » pour ôter toute subversion au rock en l’amenant vers des bluettes inoffensives à la Crosby, Stills & Nash, qu’il fredonne un instant avec dédain. « La musique est la vie et la vie n’est pas un business. Je ne veux pas faire partie des gens glam, ni alternatifs. Je ne veux pas être un punk. Je veux juste être », résume l’Iguane dans le film.
Que l’on soit, ou non, fan de ce groupe de rock furax et mythique, on passe un grand moment avec Iggy Pop. Son charme, son intelligence, et son humour sont contagieux. A voir absolument.