On ne sent jamais plus en vie que quand on vient de frôler la mort, de la tutoyer, mais si ce n’était pas le but initial. Des fois, la maladie choisit pour vous, elle vous prend, cherche à vous emmener de l’autre côté, là où tout semble plus clair – mais parfois le corps et coeur en décident autrement.
Walter Trout fait partie de ces personnes qui sont trop accrochées à la vie pour la laisser filer trop tôt. Mais plus qu’un monsieur, c’est aujourd’hui à l’artiste que nous rendons hommage. Un artiste qui, après avoir subi une transplantation du foie – est revenu sur le devant de la scène, bien en vie et bien debout, comme pour dire à la mort, ça sera pas ce coup-ci, il me reste des choses à dire, à vivre et à jouer.
Car l’artiste est avant tout un guitariste hors pair, qui a côtoyé nombre de légendes, tel que John Lee Hooker.
Rencontre avec l’américain Walter Trout qui vient de sortir son nouvel album – « Battle Scars » :
DRF : La question que tout le monde se pose, Mr Trout, comment allez-vous ?
WT : Je me sens vraiment bien – heureux – plein d’énergie. C’est un miracle d’être vivant. Je me sens comme je ne me suis jamais senti depuis des années.
DRF : Vous avez construit une carrière de premier ordre dans le domaine du Blues Rock – une carrière qui vous a amené à rencontrer beaucoup d’artistes importants, qui ont contribué à perpétuer ce registre. Mais que pensez-vous de la nouvelle génération du Blues ?
WT : C’est une super génération qui porte à merveille cette musique – dans tous les pays, je rencontre des gens, des jeunes surtout – qui ont parfois pas plus de 15 ans et qui jouent superbement bien le blues. C’est assez hallucinant mais ça montre que ce registre est toujours bien d’actualité. Mais il faut dire aujourd’hui que le business de la musique change. C’est plus dur de commencer une carrière, de devenir connu et d’en vivre. Mais en même temps, c’est une période excitante, car il y a plein de moyens par lesquels découvrir de la musique, surtout avec internet, et des sites comme Spotify par exemple.
DRF : J’ai lu quelques trucs drôles sur la toile – par exemple quand vous étiez guitariste pour John Lee Hooker, et que vous n’aviez qu’à jouer un accord de Mi sur scène parce qu’il n’y avait pas d’autre tonalité dans la setlist ; puis j’ai pu lire à quel point John Mayall était important pour vous…
WT : Sans John Mayall, je n’aurais jamais été celui que je suis aujourd’hui – et avoir été guitariste pour lui, en tant que sideman, c’est la meilleure chose que j’ai pu faire dans ma carrière. C’est en tout cas un très bon ami de longue date, qui m’a toujours soutenu, qui m’a laissé m’exprimer au sein de son groupe en tant que guitariste, ce que certains n’accorderaient pas.
Pour te donner une idée de l’homme, cet été j’ai joué dans des petits clubs du côté de Los Angeles avec mon groupe – et il est venu me rejoindre sur scène pour jouer quelques morceaux avec moi. C’est vraiment un super ami, je lui dois beaucoup.
DRF : Vous êtes en tout cas revenu sur scène cette année au Royal Albert Hall de Londres avec des milliers de personnes devant vous – quel a été votre sentiment à ce moment-là ? Est-ce que vous aviez peur de ne pas pouvoir faire ce concert ?
WT : Pour être honnête – j’appréhendais beaucoup ce moment – j’avais de l’appréhension mais j’étais quasiment sûre de pouvoir le faire. Je ne savais pas vraiment ce qui allait se passer mais j’avais tous ces gens, ma famille à côté de moi et mon groupe. A ce moment-là, j’étais prêt à tout, et j’étais vraiment sur le toit du monde.
DRF : Et puis vous avez sorti ces jours-ci un très bel album, avec des paroles très fortes où vous rendez hommage à votre femme, votre famille, au médecin qui vous a opéré… pouvons-nous dire que faire cet album a été la meilleure thérapie possible pour vous et que votre guitare a été votre meilleur médicament ? Les mots sont-ils venus facilement pour parler de ces « battle scars » ? (blessures au combat ndlr)
WT : Ecrire les paroles de cet album a vraiment été une super thérapie – les mots ont été une vraie guérison pour moi. Certains qui ont vécu cela ou bien une chose similaire, avoir frôlé la mort de cette façon… ils vivent un tel traumatisme qu’ils ont besoin d’un psy pour exprimer cela, pour s’en remettre. Je suis juste heureux d’être envie, et je voulais dire à quel point je le suis. Cependant, je voulais pas parler de ciel bleu, de soleil ou des fleurs, ça serait ennuyeux. Je devais parler de ces moments difficiles. Et ma femme m’a conseillé un jour, me mettre sur le lit où j’étais resté pendant des mois et de repenser à ce que j’avais vécu. Un coup, elle est sortie je dirais cinq heures de temps, elle avait un truc à faire… En cinq heures j’ai eu le temps d’écrire 6 chansons !
DRF : Impressionnant… C’est en tout cas une belle réussite !
WT : Merci beaucoup man…
DRF : Et maintenant, une énorme tournée européenne commence ? Est-ce que vous êtes prêt, excité ou même redoutez-vous un peu cette série de concerts ?
WT : Non, je suis très excité à l’idée de commencer cette tournée, de défendre ce cd, de jouer avec mon groupe – on accueille en plus un nouveau bassiste qui est très bon, ça préfigure de belles choses.
DRF : Avez-vous déjà d’autres projets pour la suite ? un artiste avec qui vous aimeriez jouer, un album tribute comme ce fut le cas pour Luther Allison, ou un album avec vôtre fils ?
WT : Un album avec mon fils, ce serait un super projet ! Mais c’est vrai que pour l’instant je veux vraiment me concentrer sur ce nouvel album et sur la tournée qui arrive.
DRF : Que peut-on vous souhaiter pour la suite, Mr Trout ?
WT : Oh vous pouvez me souhaiter d’être un bon mari, un bon père et encore beaucoup d’années à vivre et jouer
Touchant, dynamique et sincère, l’album de Walter Trout est d’ores et déjà disponible et s’inscrit dans la droite lignée de tout ce qu’on peut attendre et espérer de l’artiste : de la générosité, du feeling et des riffs de guitare à la pelle – merci à lui de sa gentillesse et de son temps.
« Battle Scars – Walter Trout – Provogue (2015)