Le chamane, l’enfant-batteur et le Baba Yaga nous convient ce soir au Solstice d’Hiver et accessoirement à la dernière date de leur tournée triomphale.
Rien n’est laissé au hasard, surtout pas une date pareille.
L’expérience de l’album donnait accès à un trip mental solitaire ; le concert devient cette fameuse cérémonie collective de figures sans nom.
Dans une lente mélopée qui s’aère, s’étire, se déploie, danse et danse encore. Toujours cette complémentarité entre cérébrale et viscéral, entre apaisement et charges émotionnelles puissantes. On ferme les yeux, on se sourit.
Rien ne sert de vouloir faire un compte-rendu titre par titre, ce n’est pas un concert mais une liturgie.
La scénographie tout en sobriété, pénombre parfois striée de zébrures soniques et lumineuses rend les Dieux très humains. Les rides de sagesse se creusent, les yeux mi-clos sont sereins, les grimaces sont d’effort et de joie.
Le côté mystique et magique est renforcé par la caractérisation des demi-divinités sur scène.
Frantz possède réellement cette aura chamanique, une force intérieure tranquille qui rugit par éclats.
L’enfant-batteur qu’est Bernard est ce qui peut y avoir de plus noble et d’exemplaire pour un groupe de ce calibre et de cet âge, un mélange de puissance, maestria et d’espièglerie.
Cesare est une énigme, comme s’il avait été lui-même créé par un esprit indien, de bois, de terre et de laine.
Cette trinité hante la scène, flottant éthérée puis s’incarnant violemment. Comme si elle voulait transmettre au public qu’il fallait élever son esprit pour ensuite pouvoir vraiment et pleinement vivre sur terre. Il faut parfois ces électrochocs pour le comprendre et enfin le mettre en application.
C’est une transmission générationnelle à laquelle nous assistons, d’ailleurs toutes sont représentées. Et tous ressentent ce passage de témoin de manière différente selon le vécu. Pourtant ce qu’il est transmis là aussi n’est pas un clash mais au contraire une communion. Le nombre des années n’est rien à partir du moment où il y a compréhension, ouverture et construction commune.
Le présent permettant une réactualisation du passé autrefois sacrifié ou mal géré.
C’est ça la force de la musique de ce groupe, réfléchir et ressentir. Les deux sont indissociables, presque malgré nous.
Les chamanes appellent à la communion avec le monde des esprits.
En interview, ils utilisent souvent cette image de trip psychédélique sans drogue.
Ou une dose bienveillante de DMT qui nous aide à ouvrir certaines portes que l’on croyait parfois fermées ou inexistantes.
On ne sait vraiment d’où vient cette musique, puisant son essence dans le blues ancestral, le chant des esclaves se déchaînant, muant en abstraction industrielle, comme ces peintres qui ne croyant plus en l’homme voulurent l’éloigner de la toile. Déconstruire pour tout reconstruire.
Partir du même matériau devenu enfin noble par les différentes épreuves, transmutations et le transfigurer. Le Grand Œuvre. Reconnaître le changement.
Ce voyage s’opère au-delà des dimensions physiques d’espaces et de temps.
Cette musique nous invite à célébrer cette (seconde) nature, à guérir nos âmes, à nous respecter, à nous retrouver et embellir nos existences. Renouer le lien entre nous, nous-mêmes et réapprendre ensemble l’harmonie.
Elle nous donne la clé offerte par Saint-Exupéry, dans la bouche du Renard : « L’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le cœur ».
Encore une fois cette date du 21 décembre n’est pas anodine.
La synthèse de la raison et de la connaissance intuitive. La manifestation du divin dans chacun d’entre nous qui veut s’éveiller.
Les Young Gods sans aucune ironie pourraient reprendre le « Bon Dieu » de Brel et ces lignes « Mais toi tu n’es pas le bon Dieu, toi tu es beaucoup mieux, tu es un homme ».
On est encore en plein dans cet état de conscience modifié, sans plantes rituelles mais avec l’hypnose de la batterie, du sampler de quelques cordes métalliques et vocales.
N’ayez plus peur pourrait être scandé par le groupe, le Solstice d’Hiver vient pour la conjurer, la transfigurer. La lumière heurte le corps et projette son ombre, la réfracte ou la décompose. Post Tenebras Lux.
Comme l’effet spécial extraordinaire qui vient brouiller la scène faisant apparaître le trio comme le héros de Woody Allen joué par le regretté Robin William, tout flou, tout brouillé.
Oui car tout est flou dans un voyage initiatique, on ne comprend rien puis peu à peu, les ombres deviennent figures, prennent forme. Même si on n’y comprend toujours rien, si tout semble parfois absurde et vain, il doit y avoir un sens. Un accès à la conscience et à l’harmonie. En y mettant du sien.
Cette soirée de solstice nous convie donc à un embellissement.
Lumière des yeux ou du cœur, clarté visible ou invisible.
Dans la mythologie, la porte des dieux, en relation avec le solstice d’Hiver, donne accès aux « grands mystères » qui mènent l’être de l’état humain à l’état spirituel.
Il est dit aussi que grâce à l’action de la lumière, les raisins sont porteurs de l’espérance d’une lente transformation intérieure et que c’est en transmutant son eau intérieure par incorporation de la lumière que le fruit de la vigne va mûrir, après que le Soleil ait franchi la « Porte des Hommes » pour s’engager sur le « Chemin des Dieux ».
Dans un océan de jubilation, c’est le cadeau d’avant Noël que les trois rois mages soniques nous font ce soir et pour les jours à venir.
« Juste regarde aussi loin que juste est vrai, laisse-nous encore écouter notre chanson, regarder les signes entre les lignes et laisser le temps prendre son rythme ».
Texte : Frédéric Saenger
Photos : Flavia Viscardi