MUMBLING THOM – A cœur ouvert

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Artiste aux multiples facette, Mumbling Thom, nous fait voyager par des mélodies pop-folk chamaniques électro-acoustiques, souvent solaires et enlevées, fortement influencées par la philosophie nord-amérindienne. Dans cette interview, il n’est pas question que de musique. En effet, il nous raconte son amnésie traumatique sélective et ses conséquences sur sa vie et son art.

Tu as pas mal de cordes à ton arc. Quelques mots sur ton parcours ?

J’ai commencé à seize ans en tant que saxophoniste dans un groupe d’acid jazz au sein duquel j’étais la section de cuivre à moi tout seul, puisqu’aucun soufflant ne s’entendait bien avec le batteur. Un jour, à la même époque, en rentrant chez moi, j’ai trouvé sur mon lit une imitation Les Paul que mon frère avait achetée dans un magasin discount. J’ai alors imaginé mes premières chansons sérieuses. Le jour où nous devions enregistrer une première maquette, le chanteur n’est jamais venu au studio. L’ingénieur du son m’a donc poussé devant le micro : ‘Ce sont tes chansons. Tu les chantes !’ Et j’ai continué à chanter mes propres compositions, tout simplement. Des années plus tard, j’ai découvert ‘L’inconnu Du Lac’ que toute la presse parisienne encensait. Je me suis dit que, si ce film que j’avais trouvé mal filmé, mal joué, mal monté, pouvait gagner des prix, je pouvais m’acheter une caméra et tourner mes propres idées sans risquer le ridicule. Je me suis ainsi construit en tant qu’artiste, chanteur, guitariste, compositeur et réalisateur au gré des hasards, je crois.

Comment est venu le nom de Mumbling Thom ?

La traduction littérale est ‘Thom Marmonnant’. Le marmonnement est presque une ruse de guerre. Quand on marmonne, notre interlocuteur nous demande presque toujours de répéter ce que l’on vient de lui dire. Et là, on obtient sa complète attention.

Quelques mots sur ton amnésie traumatique sélective. Comment l’as-tu découverte ? Quelles conséquences sur ta vie artistique ?

Mon amnésie traumatique sélective a été diagnostiquée, si j’en crois mes carnets, courant mars 2022. Je me suis rendu compte que ma mémoire dysfonctionnait quand mes proches ont commencé à faire référence à des propos que j’avais tenus et à des évènements que j’avais vécus au cours des derniers mois sans que cela évoque le moindre souvenir chez moi. Le jour où mon producteur m’a appelé pour me parler des nouvelles chansons que nous avions enregistrées au cours de sessions dont je n’avais pas le souvenir, j’ai vraiment commencé à paniquer. Lors d’une conversation surréaliste, il m’a lu au téléphone des messages que je lui avais envoyés et dont je ne me souvenais pas. Cette pathologie m’est venue à la suite d’un choc psychique violent : j’ai complètement craqué en novembre dernier et suis resté immobilisé sous benzodiazépines pendant sept mois. J’ai fini par réaliser que j’avais oublié pratiquement tout ce que j’avais vécu en lien avec les sphères émotionnelles et artistiques entre l’automne 2020 et début mai 2022. En tant que créatif, il est toujours difficile d’avoir une appréciation objective de son propre travail. Lorsque j’ai découvert les clips que j’avais tournés et les chansons que j’avais enregistrées pendant cette période, je ne pouvais que les accueillir pour ce qu’ils étaient et non pas pour ce que j’aurais souhaité qu’ils soient. Et j’ai trouvé le résultat bon.

Ce chamboulement a-t-il modifié ta perception de la vie, ta manière de composer ?


Je considère aujourd’hui qu’il s’agit d’une ‘heureuse’ pathologie dans la mesure où elle m’oblige à vivre le moment présent sans me perdre dans d’improbables ruminations.

Pour le neuroatypique que je suis, tout était sujet à cogitation, à générer d’interminables boucles mentales, à fabriquer d’improbables scénarii anxiogènes (qui ne se réalisaient jamais). Tout était ‘systèmes’ : à analyser, décortiquer, évaluer, qu’il s’agisse des codes sociaux, souvent incompréhensibles, ou de cette tendance, tout aussi incompréhensible, qu’ont certaines et certains à inscrire toute relation dans un rapport permanent de compétition ou de séduction. Mon amnésie, finalement, est une ‘expérience’ assez fascinante à vivre. Et bien qu’il m’ait fallu faire un travail personnel conséquent pour en arriver à cette conclusion, je peux l’affirmer aujourd’hui : ne pas me souvenir est une chance.

Avoir un mental plus silencieux, plus apaisé, plus tranquille est pour moi un cadeau inestimable : je peux enfin me concentrer sur mes limites et mes besoins, non négociables, les exprimer et être dans l’affirmation sereine. Je peux enfin apprécier tous les merveilleux moments que m’offre le quotidien et n’accepter dans mon espace que les rencontres authentiques. Et, pour ce qui est de la musique, tout est plus fluide, plus spontané, plus agréable. Je suis complètement libéré aujourd’hui de mon besoin de reconnaissance et peux m’installer dans le plaisir de l’instant, ce moment magique où une chanson prend naissance directement dans la guitare et continue de grandir en studio.


Une (des) rencontre(s) marquante(s) ?

Mon producteur, Serge Morattel, est certainement la rencontre la plus marquante et riche que j’ai pu faire au cours de mon parcours musical. C’est lui qui m’a suffisamment donné confiance en moi pour oser me lancer dans ce projet solo il y a dix ans et poser mes tripes sur la table à chaque album. Aujourd’hui, la relation en studio est tellement fluide que j’ai l’impression parfois que l’on communique par télépathie. Ensuite, les personnes avec lesquelles j’ai eu le plus de plaisir à travailler jusqu’à maintenant sont Elo Cinquanta, une actrice valaisanne avec qui la communication est si simple que je ne peux qu’imaginer l’impliquer dans de multiples projets à venir et Emma Louise Meny, une maquilleuse virtuose qui ne cesse de m’impressionner. Et je citerai, pour finir, Chloé Singer, une excellente dessinatrice, peintre, graphiste et illustratrice vaudoise (elle sait tout faire) qui a travaillé sur la pochette du dernier album. J’aime beaucoup la manière lucide dont elle pose son regard sur le monde.

Quelle est la place des femmes dans ta musique et tes clips ?

Mes rapports, sans que cela soit un choix conscient, ont souvent été plus simples, fluides et agréables avec les femmes. Ce sont la plupart du temps les femmes (ainsi qu’une poignée d’amis extrêmement précieux, bien évidemment) qui ont éclairé les moments les plus sombres de ma vie et c’est la raison pour laquelle je leur rends souvent hommage dans mes textes. Mes réalisations, quant à elles, traitent régulièrement du regard masculin sur le féminin. Je suis fatigué, en effet, de voir les femmes chosifiées dans les clips (et dans notre société en général) et je crois qu’il est important, en tant qu’homme, de les inscrire, à l’écran comme dans la vie, dans un rapport d’équité. Si mon travail artistique peut contribuer à changer le regard que portent certains hommes sur les femmes, alors j’en suis ravi.

Qu’est-ce qui t’intéresse dans la réalisation et le montage des clips ?

C’est difficile à expliquer, car c’est un processus très instinctif. En tant que parolier et compositeur, j’essaie toujours de traduire musicalement ce que je peux comprendre du monde extérieur, mais que je n’arrive pas à exprimer avec les mots du quotidien, soit par pudeur, ou tout simplement parce que certaines colères, tristesses ou joies sont presque de l’ordre de l’indicible. Et c’est pareil avec les images que je réalise et monte. Pour en revenir concrètement à la question, je suis incapable de te répondre de manière totalement satisfaisante : je n’ai jamais vraiment conscientisé mon intérêt pour la production de clips et, surtout je me refuse à le faire pour garder une certaine fraicheur dans mon travail artistique. En général, je me plonge dans un état méditatif, j’écoute la chanson que je souhaite mettre en images et je m’autorise à être surpris par ce que ma muse me dicte. Mon approche est très synesthésique : quelles couleurs, senteurs se dégagent de cette chanson ? Est-ce qu’elle provoque un ressenti tactile ? Comment solliciter les sens du spectateur ? Le réalisateur John Carpenter expliquait, lors d’un entretien télévisé, que le style est conditionné par la façon dont un artiste voit les choses et ce qui le préoccupe de manière viscérale. Dans mon cas, c’est peut-être comprendre les humains, leurs rapports au vivant et sublimer les corps sans les érotiser.

Qui t’inspire ?

J’ai lu il y a quelques années, ‘Se libérer du connu’ de Krishnamurti, une lecture qui m’a littéralement remué, secoué, et apporté énormément. Le livre pose la question de savoir si nos croyances nous appartiennent ou si elles ne sont que le résultat d’un conditionnement socio-éducatif et culturel. À partir du moment où l’on conscientise la chose, où l’on réalise que nous ne sommes que la compilation des croyances de notre entourage affectif, familial, professionnel, direct ou indirect et que, donc, l’essentiel de nos croyances ne nous appartiennent pas, on peut commencer réellement un travail de fond sur soi-même et partir à la recherche de qui l’on est vraiment.

Les auteurs réalistes américains m’inspirent également beaucoup. Leur authenticité, leur parler-vrai et cette émotion qui pointe sous la surface de leur prose. ‘Demande à la poussière’ est l’un des plus beaux livres que je n’ai jamais lus. C’est direct, simple et, pour toutes ces raisons, totalement magique. Chez Bukowski, j’aime son addiction aux mots qui claquent comme des caresses en pleine gueule. On pourrait ajouter Stephen King à cette liste, ne serait-ce que pour cette phrase qui sonne comme une profession de foi, mais que je cite de mémoire et donc de manière approximative : ‘Ne pas mentir au lecteur, c’est dire que les tueurs en série, aussi, aident les vieilles dames à traverser la rue.’

Mais ce qui m’intéresse avant tout, c’est le vivant dans tout ce qu’il représente. Nous avons tout à apprendre de l’observation de la nature et il semble irresponsable, délirant, suicidaire d’espérer que nous pouvons survivre seuls, en niant l’apport essentiel des autres espèces à la cohésion, la richesse et l’harmonie de ce monde. Ainsi, je n’ai jamais compris cette propension que l’homme occidental avait de penser ‘le bon sauvage’ avec une telle condescendance. Si je prends l’exemple des Indiens Kogis, ils ont mis au point au fil des siècles, des techniques de régénérescence des sols épuisés, voire agonisants. Il est important de réapprendre l’humilité et ces gens-là peuvent nous y aider.

Trois choses que tu voudrais changer chez toi.

En tout premier lieu, ma myopie. J’avais, par ailleurs, planifié une opération. Mais comme je fais des rêves prémonitoires inversés et que j’ai rêvé que l’opération était un succès, je l’ai annulée. Ensuite, je souhaiterais parfois avoir été câblé différemment et ressentir les humains avec moins d’intensité. Mon neuro-atypisme a été détecté il y a quatre ans. Si la nouvelle a été tout d’abord un choc, elle m’a donné quelques clés qui me manquaient pour me comprendre et comprendre les autres : je n’ai jamais saisi l’attrait de la ‘norme’, je n’ose pas dire la ‘normalité’, et me sens en permanence quelque peu décalé avec le monde dans lequel j’évolue.

Finalement, on m’a ainsi reproché d’écrire des chansons ‘trop adultes’ ou de proposer des textes ‘trop littéraires’, comprenant un vocabulaire ‘trop riche’. Ce qui est plutôt risible si l’on considère que, la plupart du temps, mes chansons me viennent lors de processus d’écriture automatique, dans des états méditatifs. J’aimerais, toutefois, de temps en temps pouvoir écrire des textes plus simples.

Tes prochaines actualités ?

Le nouvel album sortira le 21 mars 2023. Les précommandes ouvriront pour les fêtes de fin d’année. Il faut s’attendre à un disque solaire, positif et catchy. 11 titres pour 45 minutes de musiques sacrée, funk, pop, rock, prog, psyché et folk. Les paroles traitent de la mort de l’égo, de la guérison des blessures fondamentales, de la libération de l’enfant intérieur, de l’autoparentalisation, de la résilience, du temps guérisseur et de la quête d’individuation. Trois magnifiques chanteuses ont été invitées à participer aux sessions. Je suis en train de regrouper mes notes, mes démos et mes carnets de composition, afin de retrouver la chronologie des différentes étapes de fabrication de cet album (dont je ne me souviens pas avoir écrit ni enregistré les deux tiers). Je proposerai dès janvier 2023 une série de petites vidéos, en compagnie de Serge Morattel, l’arrangeur et producteur de ces 11 titres, dont la mémoire fonctionne bien, et nous tenterons de parler de l’histoire de chaque chanson.

Deux clips sortiront au cours des prochains mois pour préparer le lancement de l’album.

https://www.instagram.com/mumblingthom/

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N° 151 - Avril 2023

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